» Sur le bout des langues  » , chronique de Michel Feltin-Palas

PETITE APOSTROPHE QUI EN DIT LONG

Après le verdict de la cour d’Appel dans l’affaire Fañch, la commune de Penmarc’h – officiellement Penmarch – a décidé de retrouver son apostrophe.

Après la bataille du tilde, la guerre de l’apostrophe ? On n’en est pas là, mais la démarche rappelle inévitablement l’affaire Fañch, ce prénom traditionnel breton initialement refusé par la Justice et que la cour d’appel de Rennes a finalement accepté ce 19 novembre.

Voici les faits : la commune de Penmarch, dans le Finistère, a décidé de modifier son appellation et d’être officiellement enregistrée sous le nom de Penmarc’h. Le conseil municipal a voté à l’unanimité une délibération en ce sens le 26 octobre.

Un détail ? Pas aux yeux des élus. « Ce sont nos concitoyens qui sont à l’origine de cette demande, explique la première adjointe, Marie-Claire Dupont. Ils y voient un symbole de l’identité bretonne. » Il est vrai aussi que ce petit « signe diacritique » (qui distingue), comme disent les spécialistes, a pour vertu de modifier la prononciation, un peu comme la cédille en français. « Beaucoup de gens disent « Penmarche » au lieu de « Penmar ». La différence entre le /ch/ français et le /c’h/ breton a pourtant été établie en 1650 par le Jésuite Julien Maunoir, qui réforma l’écriture en breton, précise Bernez Rouz, le président du Conseil culturel de Bretagne. Cette orthographe se retrouve sur de nombreux documents anciens, notamment dans le cadastre napoléonien ». D’ailleurs, au quotidien, la municipalité utilise déjà l’apostrophe, que ce soit sur son site internet, le fronton de la mairie ou les panneaux d’entrée de ville.

Le problème ? L’Etat a toujours écrit le nom de la commune à la française et changer les habitudes de l’administration n’est pas si facile. Comme dans un livre de Courteline, le dossier doit d’abord faire l’objet d’une délibération du conseil municipal, puis recueillir l’avis motivé du directeur départemental des archives, celui du directeur départemental de La Poste, faire l’objet d’une autre délibération du conseil départemental, avant d’obtenir l’avis du préfet. C’est tout ? Vous voulez rire ! L’ensemble de ces documents doit être ensuite adressé à la « commission consultative de révision du nom des communes », placée auprès du ministre de l’Intérieur. Lequel ministre, ainsi éclairé, refuse ou approuve ledit changement et transmet son avis au Premier ministre, qui peut alors – sonnez clairons, résonnez trompettes ! – prendre un décret publié au Journal Officiel.

Encore, la démarche a-t-elle été « simplifiée » (sic) en juillet 2018 : jusqu’alors, la demande devait également être soumise au Conseil d’Etat. La jurisprudence de la haute instance administrative, cependant, fait encore foi. Selon celle-ci, deux critères peuvent justifier une telle modification : éviter un « risque sérieux d’homonymie » et « rétablir une dénomination historique tombée en désuétude ». En revanche, toute demande fondée sur des considérations touristiques ou économiques est rejetée. Bref, c’est un véritable parcours du combattant que vient d’entamer la petite commune finistérienne.

Impossible, toutefois, n’est pas breton. La preuve ? La commune de Plouezoc’h a obtenu le rétablissement de l’apostrophe sacrée en 2002, deux ans après une première délibération en conseil municipal. Une « victoire » qui, en l’occurrence, n’enthousiasme pas le maire actuel, Yves Moisan : « Cette orthographe n’est pas admise dans les adresses internet, et cela nous pose des problèmes : beaucoup de nos interlocuteurs commettent des erreurs lorsqu’ils nous écrivent ». Le précédent sert néanmoins d’encouragement pour Penmarc’h, même si, sollicitée par l’Express, la préfecture du Finistère refuse encore à ce stade de se prononcer sur ses chances de succès.

La question est sensible : derrière l’orthographe de nos villes et de nos villages se dévoile souvent le passé culturel de territoires qui n’ont pas toujours parlé français. « Quand le Tour de France est passé, l’été dernier, des inscriptions ont été dessinées au sol entre l’église et la mairie. Elles faisaient le lien entre l’absence de l’apostrophe du nom de la commune et le ñ de Fañch rejeté alors par l’Etat », se souvient Michel Cotten, le maire de Tourc’h (officiellement Tourch…), à quelques encablures de Penmarc’h. De la même manière, la mairie de Rennes et un procureur un peu jacobin zélé avaient refusé le prénom Derc’hen, avant de devoir faire machine arrière. Problèmes typiques d’un pays officiellement monolingue alors qu’il est historiquement plurilingue…

. MICHEL FELTIN-PALAS / L’EXPRESS

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