» Sur le bout des langues  » chronique de Michel Feltin-Palas

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SAC, POCHE, PONCHON ET CORNET…

La francisation du pays fut lente, très lente, notamment dans les territoires éloignés de Paris. Les variétés régionales du français en sont aujourd’hui l’illustration.

Quel est le point commun entre un cabaret, une langouste, un échantillon, un câble, une quiche et un cadet ? Réponse : tous ces mots sont des régionalismes qui ont « réussi ». En clair, des termes issus d’une langue parlée dans une zone géographique éloignée de Paris et qui, au fil du temps, sont parvenus à gagner l’ensemble du pays.

Certains de leurs cousins ont une carrière plus localisée. Ils sont encore vivaces, mais restent cantonnés à leur pays d’origine : trisser (éclabousser) dans l’Est, carotte rouge (betterave) dans les Alpes, gave (torrent) en Gascogne, dracher (pleuvoir fortement) dans le Nord, cagouille (escargot) dans l’Ouest… D’autres, enfin, ont encore moins de chance : ils ne sont plus utilisés que par quelques anciens et disparaîtront sans doute avec eux.

Ce lexique singulier n’est pas seulement pittoresque. Il nous rappelle une vérité souvent oubliée : la francisation du pays fut lente, très lente, notamment dans les campagnes, les milieux populaires et les régions les plus éloignées de la capitale. Et logiquement, plus cette francisation a été tardive, plus les particularismes lexicaux sont aujourd’hui nombreux.

« Il a fallu attendre la deuxième partie du XXe siècle pour que tous les territoires soient « conquis » par le français », rappelle Mathieu Avanzi, un jeune linguiste qui a eu l’excellente idée d’interroger les locuteurs par le biais d’internet et de proposer des cartes limpides sur l’extension géographique des différents régionalismes. Dites-vous plutôt pigne ou pomme de pin ? Pelle, ramassoire ou ramasse-bourrier ? Sac, poche, pochon ou cornet ? Un travail minutieux qui a donné naissance à un livre au retentissement mérité (1), qu’il poursuit aujourd’hui sur un blog foisonnant et passionnant.

Quand son influence se limite au vocabulaire, le français régional est généralement jugé avec sympathie. Tout change quand il concerne la grammaire et la syntaxe. « J’ai personne vu » (Savoie), « J’attends sur le facteur » (Alsace), « Je reçois de l’argent avec mon père » (Bretagne)… Ces formulations correspondent souvent mot à mot à des transcriptions des langues historiques, à la manière d’un Britannique qui parle d’une « blanche maison ». Elles sont néanmoins considérées comme des fautes insupportables en France, où l’on est éduqué selon l’idée qu’il n’existe qu’une seule manière de « bien » parler.

Ces variétés de notre langue nationale auront-elles encore cours dans cinquante ou cent ans ? Si Mathieu Avanzi, en scientifique exigeant, ne se prononce pas, il est sérieusement permis d’en douter. L’urbanisation, les changements de région, le rôle normatif joué tant par l’école que par les médias, le déclin des langues minoritaires : tout semble se conjuguer pour favoriser une forme d’uniformisation. Et d’appauvrissement.

(1)   Atlas du français de nos régions, par Mathieu Avanzi. Armand Colin.

. Michel Feltin-Palas ( L’EXPRESS ) .

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