CHRONIQUE – Le 20 mai, les Québécois commémoraient ce qu’on pourrait appeler le 40e anniversaire du référendum perdu de 1980 sur l’indépendance.
Par Mathieu Bock-Côté
Il y a quelques jours à peine, le 20 mai, les Québécois commémoraient avec quelque nostalgie ce qu’on pourrait appeler le 40e anniversaire de leur étrange défaite, soit celui du référendum perdu de 1980 sur l’indépendance. Les souverainistes y obtenaient un décevant 40 %. C’est un idéal politique qui avortait alors, celui du Québec libre, pour reprendre la formule du général de Gaulle. Réanimé intellectuellement dans les années 1920, après une éclipse de quelques décennies, le combat pour l’indépendance s’était imposé au cœur de la révolution tranquille des années 1960, et représentait le débouché naturel de l’aventure québécoise.
Sans l’indépendance, l’histoire du Québec semblait soudainement désorientée. Le soir de la défaite, René Lévesque, le chef historique du camp souverainiste, chercha à garder l’avenir ouvert en disant: «Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de me dire, à la prochaine fois.»
On sait aujourd’hui les conséquences catastrophiques de cette défaite. Le Canada, après avoir maté l’insurrection souverainiste québécoise, entrepris de se redéfinir intégralement, avec la mise en place d’un nouvel ordre constitutionnel annonçant la mise en place du régime diversitaire. Au fil des ans, le Canada tendra à se définir de plus en plus comme une utopie multiculturaliste se déployant sous le signe d’un fondamentalisme droit-de-l’hommiste, un discours qui s’accentuera après le deuxième référendum sur l’indépendance, celui de 1995, remporté de peu par Ottawa, avec 50,6% du vote, grâce à l’appui massif des populations immigrées, alors que la majorité historique francophone, elle, votait oui à plus de 60%.
L’immigration massive a historiquement servi à noyer le fait français au Canada, et sert aujourd’hui à marginaliser progressivement les francophones au Québec même, qui y voient leur proportion diminuer constamment, comme s’il fallait les rendre minoritaires chez eux. On pourrait parler d’un coup d’État démographique.
Un Québec normalisé
On croit aujourd’hui le Québec normalisé dans un Canada qui se présente comme le paradis sur terre. La presse internationale imagine les indépendantistes comme une vieille troupe condamnée à l’extinction politique. Les choses sont plus complexes, et on assiste plutôt à un renouvellement du nationalisme québécois (le terme n’a aucune connotation péjorative au Québec et réfère simplement au désir d’affirmation nationale), sous le signe de l’autonomisme et de la critique du multiculturalisme.
François Legault, l’actuel premier ministre, qui a longtemps milité pour l’indépendance avant d’y renoncer, a ainsi fait voter par l’Assemblée nationale, en 2019, une Charte de la laïcité à travers laquelle le Québec exprimait sa propre vision de l’intégration des immigrants. Il s’est attiré pour cela la critique virulente du Canada anglais qui juge cette loi scandaleuse. Le tout pourrait se transformer, d’ici à quelques années, en crise constitutionnelle, comme si l’affrontement entre le régime diversitaire et le principe national prenait forme à l’intérieur même du Canada. Le lien fédéral sera à nouveau remis en question.
Les petites nations rappellent le lien inextricable entre culture et politique, entre identité et souveraineté
La cause des petites nations semble paradoxale. Pour les uns, elle témoigne de la volonté qu’ont les peuples de persévérer dans leur être en accédant à la pleine existence politique. Pour les autres, elle relève d’un régionalisme exacerbé. Il faut garder à l’esprit que toutes les situations ne sont pas interchangeables. L’essentiel est ailleurs: les petites nations rappellent le lien inextricable entre culture et politique, entre identité et souveraineté. Pour qu’il y ait un jour un Québec indépendant, il doit y avoir encore un peuple québécois. On pourrait dire la même chose de n’importe quel autre pays. Un pays ne saurait se fonder exclusivement sur des valeurs universelles qui par définition, ne sauraient le caractériser. Il s’ancre dans une expérience historique, une culture enracinée et ne saurait être absolument indifférent à la population qui le compose. Aujourd’hui, toutes les nations occidentales en font le constat même si le régime diversitaire assimile au racisme la simple conscience de cette réalité.
Le combat québécois, en Amérique, est celui d’un État-nation enclavé dans une fédération emportée dans un délire postnational et multiculturaliste qui mène à l’échelle d’un continent une expérimentation idéologique de moins en moins démocratique. Le Canada traite le Québec comme un résidu détestable et l’accuse de suprémacisme ethnique dès qu’il cherche à définir son existence dans ses propres paramètres existentiels.
C’est aussi celui d’une nation qui poursuit à sa manière depuis plus de quatre siècles l’aventure de l’Amérique française aux marches de l’empire américain. Le Québec incarne la cause de la diversité du monde. L’histoire demeure ouverte et il se pourrait bien que si elle s’accélère, dans une dizaine d’années, on commémore moins le 50e anniversaire d’une triste défaite référendaire que le premier pas vers la création d’un nouveau pays indépendant en Amérique.