Alors que la France promeut l’atome à la COP28 de Dubaï, la Commission européenne préfère parier sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
Dubaï (Émirats arabes unis), envoyé spécial
À la COP28 se livre une bataille sans pitié entre sources d’énergies décarbonées. Dans la synthèse de son sixième rapport d’évaluation, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) rappelle que si nous voulons avoir de bonnes chances de stabiliser le réchauffement à +1,5 °C, nous devons diminuer de 43 % nos émissions de à gaz à effet de serre entre 2019 et 2030. L’un des principaux leviers de cette décarbonation sera le remplacement du pétrole, du charbon et du gaz [1] par des sources d’énergie « décarbonées » : renouvelables mais aussi nucléaire.
Dans le centre des expositions de Dubaï, les lobbyistes des deux camps font feu de tout bois. Le premier round s’est produit le 2 décembre. À l’initiative de la France était organisé un happening, on ne peut plus officiel, consacré à l’atome. Les pontes tricolores de l’énergie avaient fait le déplacement. Luc Rémont, patron d’EDF, et Jean-Pierre Clamadieu, boss d’Engie, étaient au premier rang.
Tripler le parc nucléaire mondial
Sur scène, Emmanuel Macron, président de la République, a fixé son ambition : tripler la capacité de production mondiale d’énergie nucléaire entre 2020 et 2050. Ce qui porterait à environ 1 200 GW la puissance totale du parc au mitan du siècle. Le tout a été décliné dans une déclaration dont la forme singe une décision de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Pratiquement au même moment, la présidente de la Commission européenne participait, elle aussi, à un événement parallèle. Cette fois, il n’était pas question d’énergie nucléaire. Ursula von der Leyen a proposé que le monde triple la capacité de production d’électricité d’origine renouvelable d’ici à 2030, éolien et solaire en tête. Avec pour objectif de porter ladite capacité installée à 11 000 GW.
L’ancienne ministre de la Défense de l’Allemagne a aussi proposé de doubler le rythme mondial de l’amélioration de l’efficacité énergétique, lequel passerait de 2 à 4 % par an. Cette déclaration a reçu le soutien de 118 gouvernements.
Programme illusoire
La démarche française interroge. La déclaration affirme s’appuyer sur l’analyse du Giec pour fixer sa trajectoire. L’argument est biaisé. Son rapport sur la stabilisation du réchauffement à 1,5 °C mentionne de nombreux scénarios énergétiques possibles, dont un seul table sur un triplement de la capacité nucléaire d’ici à 2050. Comme à leur habitude, les auteurs du réseau mondial de scientifiques ne font aucune proposition ni recommandation.
Autre remarque : tripler la capacité de production nucléaire en vingt-six ans semble totalement illusoire. Actuellement, seuls deux pays construisent en (petite) série des réacteurs : la Russie et la Chine. Ces deux pays ont la main-d’œuvre, le savoir-faire et, surtout, une abondance illimitée de capitaux. Ce n’est pas le cas de la France.
Chapeautant l’industrie nationale nucléaire, EDF est lourdement endettée (à hauteur de 64,5 milliards d’euros, à comparer aux 46 milliards d’euros de capitaux propres) et son parc de réacteurs tournera au ralenti pendant longtemps. Ces deux facteurs limitent très fortement son accès au marché des capitaux (banques, fonds d’investissement). Il n’est pas non plus certain que la Commission européenne autorise l’État à financer une partie du futur programme nucléaire français — encore moins à l’export — en raison des règles encadrant les aides d’État. Bruxelles et Paris s’opposent aussi depuis plus d’une décennie sur l’organisation de l’hydroélectricité dans l’Hexagone. EDF n’est pas en odeur de sainteté au sein de l’exécutif communautaire.
La France, comme bien d’autres pays, souffre d’un manque criant de professionnels : ingénieurs nucléaires, techniciens et ouvriers spécialisés. Ce qui explique, en partie, l’accident industriel de la construction de l’EPR de Flamanville. Reconstituer ces compétences prendra, encore une fois, du temps.
Pas étonnant, dans ces conditions, que la déclaration française n’ait été signée que par vingt-deux pays [2], dont aucun n’est capable d’engager un programme nucléaire d’ampleur, ni chez lui, ni à l’étranger.
Rédigés par l’Agence internationale de l’énergie, soutenus par la présidence émiratie de la COP28, les objectifs portés par la Commission européenne figureront à coup sûr dans la déclaration finale. Ce qui n’est pas du tout certain pour le programme français. Le 2 décembre, au cours d’une conférence de presse, Emmanuel Macron a souhaité qu’il soit « annexé » au futur accord de Dubaï. L’ambition faiblit déjà.