Inondations à Cannes REPORTERRE

Le 23 septembre au matin, une rue commerçante s’est retrouvée soudainement sous les eaux. Avec la répétition attendue de ces orages violents, la ville devra se battre contre l’« urbanisation incohérente » de son environnement.

Chacun sa comparaison. Pour décrire le boulevard de la République sous les eaux, lundi matin, une dame dit « apocalypse », un agent municipal préfère « fleuve ». 40 mm de pluie y sont tombés en une demi-heure. L’eau est montée, les voitures ont flotté, les caves ont été inondées. Dans cette artère commerçante de Cannes, la boulangerie, le coiffeur, le Picard et la pharmacie avaient tous les pieds dans l’eau lundi.

« République, c’est la convergence, c’est le point le plus bas, décrit Thierry Migoule, directeur de cabinet du maire de Cannes. On est en aval du bassin grassois, du Cannet, de Mougins. L’eau continue de couler de haut en bas. S’il pleut autant dans tous les centres-villes, il y aura le même phénomène. » Les images de cette fin septembre rappellent les inondations mortelles de 2015, qui avaient déjà frappé la bande littorale des Alpes-Maritimes. De quoi questionner la capacité des villes de la Côte d’Azur à encaisser ces fortes pluies, qui risquent de se répéter.

Vigilance jaune dans la vallée bétonnée

Les eaux sont à peine redescendues que les polémiques montent. D’abord, avec le maire de Cannes, le LR David Lisnard, qui a critiqué Météo-France pour avoir déclenché une vigilance jaune, alors qu’il faut un niveau orange pour que l’alerte soit diffusée directement aux collectivités.

Puis, c’est le contre-feu : des experts accusent plutôt l’urbanisation galopante de la région. L’eau n’arrive pas à se frayer un chemin sur cette Côte d’Azur vallonnée et bétonnée. « L’exposition augmente car la surface de zone habitable en zone inondable augmente, affirme le climatologue Christophe Cassou sur X (ex-Twitter). La vulnérabilité augmente avec cette artificialisation et des politiques d’aménagement qui accélèrent la concentration des eaux pendant les pluies intenses provoquant des inondations pluviales. »

Des décennies d’urbanisation

La Côte d’Azur est urbanisée depuis plusieurs dizaines d’années. Plus d’un million de personnes logent sur une frange côtière étroite de 15 kilomètres, coincée entre mer et montagne. « On aurait pu s’attendre, avec une croissance démographique qui se tarit, à un arrêt de l’extension de l’urbanisation. Mais, il y a un décalage, dit Giovanni Fusco, directeur de recherche au CNRS en aménagement urbain, basé à Nice. Il y a une réduction de la taille des ménages, une augmentation du niveau de vie, une demande de résidences secondaires liée à l’activité touristique. Alors, vous avez encore une augmentation de surface urbanisée. La question posée est, ajoute-t-il aussi, celle de la qualité de l’urbanisation produite, et pas seulement de la quantité de la surface urbanisée. »

Même si cette urbanisation n’est pas systématiquement synonyme d’artificialisation des sols, « il faut oser préserver les zones humides, insiste l’élue écologiste niçoise Juliette Chesnel. Ce sont des choix : il faut du courage politique. » Le sujet de la gestion des risques climatiques majeurs n’est pas nouveau à Cannes. Dès 2014, le maire David Lisnard a créé une délégation municipale dédiée. Après les inondations inouïes de 2015, trois programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) ont été actés, prévoyant un investissement de 150 millions d’euros sur 18 ans.

« Aujourd’hui, on ne peut plus construire dans les collines »

« On a élargi le cours d’eau de la Frayère, on a mis des pompes dans le secteur le plus bas, où convergent les eaux de ruissellement, on a positionné des pièges à embâcles pour éviter que les arbres obstruent », énumère le directeur de cabinet, Thierry Migoule. Lundi, ces travaux nous ont permis d’éviter le pire. Dans le secteur de la Bocca, l’eau était pratiquement à ras bord, mais la Frayère n’a pas débordé. Ça a porté ses fruits. »

Le PLU a été modifié : « Aujourd’hui, on ne peut plus construire dans les collines, poursuit-il. On a limité et on a même débétonisé, désurbanisé certains endroits. Sur un point bas de convergence des eaux, l’agglomération a acheté un bâtiment, a démoli et a mis un bassin de rétention. »

Lors du conseil municipal de juin, la ville a acquis un terrain de 5 192 m² afin de le protéger du bétonnage. En parallèle, elle mise sur le volet pédagogique : les propriétaires des vallons sont contraints d’entretenir leurs parcelles, les commerçants sont fournis en batardeaux, les habitants sont sensibilisés par l’école, par SMS, par haut-parleurs. « Le maire a aussi mis en place la rétention à la parcelle, précise Michel Tani, directeur général des services de l’agglomération Cannes-Lérins. L’eau récupérée des toitures et des gouttières est maintenue sur la parcelle pour s’infiltrer. Cela n’existait pas en 2014. »

Des efforts trop tardifs ?

C’est « trop tard » estime Jeannine Blondel, présidente de France Nature Environnement 06. « Les terres agricoles ont complètement disparu. Ce sont elles qui devraient faire éponge, assure-t-elle. Cannes est l’une des rares communes de la Côte d’Azur qui essaie de faire quelque chose pour freiner les inondations. Mais ce n’est pas assez. Les bassins versants sont artificialisés. »

Dominique Henrot est le responsable du Parti communiste français à Cannes, tête de liste de gauche aux dernières municipales. Pour lui, il est « indéniable » que la ville fait des efforts. Mais elle souffre de sa géographie et de son passé : « Ceux qui sont aux affaires aujourd’hui ne peuvent pas être responsables de l’incurie de leurs prédécesseurs, même si politiquement, ils sont du même bord, estime-t-il. Cette urbanisation incohérente n’avait jamais considéré la nécessité d’un calibrage adapté des eaux de pluie vers la mer. Ça conduit à cette situation, que le réchauffement climatique ne fait qu’aggraver. » Rien qu’au mois de septembre, les Alpes-Maritimes ont été placées en vigilance orange à deux reprises.

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