Les Nations unies se réunissent jusqu’au 1ᵉʳ décembre à Busan, en Corée du Sud, pour tenter d’aboutir à un traité sur la pollution plastique. Henri Bourgeois-Costa, de la Fondation Tara Océan, plaide pour un texte ambitieux.
175 pays, plus de 2 000 négociateurs et observateurs, 7 jours de discussions… Après Bakou et la COP29, toute l’attention se tourne cette semaine vers Busan, en Corée du Sud. S’y déroule un autre sommet crucial pour l’avenir de notre planète, celui devant aboutir à un Traité international sur la pollution plastique.
Cette cinquième session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-5) devrait en théorie être la dernière. Au cours des deux dernières années, les pays des Nations unies se sont déjà retrouvés à Nairobi, Paris puis Ottawa.
Si rien n’est fait, la production de plastique triplera d’ici à 2060, selon l’OCDE. La Fondation Tara Océan, qui travaille depuis des années à sensibiliser grand public et décideurs sur l’ampleur du fléau que représente la pollution plastique, sera présente à Busan. Henri Bourgeois-Costa, son directeur des affaires publiques, a répondu à nos questions avant son départ pour la Corée du Sud.
Reporterre — Pouvez-vous nous rappeler les enjeux principaux de cette semaine de négociations qui s’ouvre à Busan ?
Henri Bourgeois-Costa — Pour le moment, on a un brouillon de texte — un « draft » — issu de la précédente session de négociations à Ottawa. Ce document énorme comprend un peu toutes les options possibles puisque l’essentiel du texte ne fait pas l’objet d’un accord, et présente donc des visions assez radicalement opposées entre, d’un côté, les pays de la coalition de Haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique [1] et, de l’autre, les « Like minded countries » (« les pays qui pensent pareil »), représentant les intérêts pétroliers. On est donc face à un texte qui dit un peu tout et son contraire.
Le président du comité, Luis Vayas Valdivieso, a tenté de proposer une nouvelle voie avec ce qu’il a appelé un « non-paper », c’est-à-dire un document dans lequel il a essayé de synthétiser les choses et de poser les fondamentaux de ce que pourrait être un texte. Mais il l’a fait sans mandat particulier. Ainsi à Busan, les discussions se feront soit sur le texte officiel, soit à partir de ce « non-paper ». Mais certains États pourraient très bien demander à ce que ce dernier soit jeté à la poubelle, puisque officieux.
Que pensez-vous de ce « non-paper » sur le fond ?
Nous sommes beaucoup d’ONG, mais pas uniquement, à souligner son manque d’ambition. L’idée du président, c’est évidemment de rassembler largement. Sauf qu’à vouloir rassembler trop largement, il n’y a plus beaucoup de contenu. Ce texte traite essentiellement des aspects déchets, recyclage, prévention et mécanismes financiers. Mais il n’aborde pas du tout ce qui crispe, à savoir les enjeux de réduction de la production, la question des toxiques et encore moins celle du carbone qui reste un tabou absolu. Même notre ministre a estimé que ce texte méritait d’être largement enrichi.
Un consensus semble impossible en l’état des positions.
Par nature, il ne peut pas y en avoir. Mais je ne pense pas qu’il faille en tirer une conclusion négative. Quand il y a consensus, soit on se retrouve avec des textes ambitieux, mais pas forcément déclinables sur le terrain parce que l’application est laissée au bon vouloir de chacun, soit on aboutit à un texte contraignant, mais dont l’ambition est extrêmement faible. On imagine difficilement que des États dont l’économie est 100 % basée sur le pétrole ou quasiment — je pense aux pays du Golfe en particulier — signeraient un texte ambitieux.
Pour nous, embarquer l’ensemble des pays n’est pas forcément une finalité en soi. L’enjeu, c’est d’embarquer les pays qui sont pertinents, structurants sur la question des pollutions plastiques, à savoir les pays occidentaux qui entraînent cette consommation. Et puis aussi la Chine. Même si elle ne fait pas partie des pays moteurs, l’espoir est encore permis car c’est un pays qui transforme le plastique, pas un pays qui en produit. L’enjeu est moins crucial pour elle que pour un État pétrolier.
Quant aux États-Unis, ils nous ont apporté une énorme bouffée d’espoir juste avant les élections, avec un vrai changement d’attitude de l’administration et des négociateurs, et des prises de parole très encourageantes. Désormais, la proximité du futur président avec les intérêts de la pétrochimie risque clairement de nous compliquer les choses.
Quels sont les sujets qui achoppent aujourd’hui ?
La réduction de la production. Une étude du laboratoire de Berkeley publiée récemment modélise les résultats des différentes options de réduction qui pourraient être prises à Busan. Elle montre bien qu’une politique qui serait axée uniquement autour du recyclage et de l’amélioration de la collecte n’apporterait pas du tout de résultats suffisants. Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat [limiter la hausse des températures bien en dessous de 2 °C], elle évalue qu’il faudrait baisser la production de 75 %.
Plusieurs hypothèses économiques montrent que 50 % de réduction de la production serait déjà tout à fait possible à atteindre, ne serait-ce parce que notre production a complètement explosé. Le Pérou et le Rwanda se sont fixés un objectif de réduction de 40 % à l’horizon 2040. Ce sont les seuls qui ont posé un élément chiffré pour bousculer un peu la discussion, à Ottawa. 40 % de réduction d’ici 2040, c’est revenir à la production de l’année… 2015. Nous appuyons cette proposition, non pas qu’elle soit satisfaisante en elle-même, mais elle nous semble un point de départ intéressant de discussion.
Que craignez-vous si aucun accord n’était trouvé ?
Notre grande crainte, c’est plutôt qu’on se laisse piéger par la tentation d’un texte à tout prix. Le secrétariat des Nations unies nous donne des signes un peu inquiétants d’une volonté allant dans ce sens. Or, un traité arraché à Busan risque d’être un peu pauvre, de ne pas traiter la problématique tout au long de la chaîne, de l’extraction pétrolière jusqu’au consommateur.
Aujourd’hui, toutes les hypothèses sont encore sur la table : de l’échec complet et de la fin des négociations à une poursuite des discussions, avec, par exemple, le lancement d’une sixième session. Autre hypothèse intéressante : avoir une négociation multilatérale en dehors du cadre onusien, avec des pays qui concentreraient leurs efforts à convaincre la Chine sur un texte plus ambitieux, plutôt que de perdre du temps avec des pays qui, de toute façon, ne voudront rien entendre sur les sujets principaux.