À moins d’un an des élections municipales, le maire de Lyon Grégory Doucet détaille à Reporterre pourquoi et comment il souhaite continuer à porter un projet écologiste dans la capitale des Gaules.
Grégory Doucet a été élu maire de Lyon sous l’étiquette EuroNTERVIEWpe Écologie-Les Verts en 2020.
Reporterre — Vous êtes candidat à votre succession en mars 2026. Un projet écologiste a forcément besoin de deux mandats pour se mettre en place ?
Grégory Doucet — En 1976, [le journal] Le Progrès titrait en plein mois de juillet sur une grosse canicule : « 34 °C affichés au thermomètre ». En 2023, au mois d’août, on a eu douze jours consécutifs de canicule avec un thermomètre qui a même atteint 41 °C. Les chiffres sont extrêmement parlants : on a besoin de transformer la ville, notamment pour l’adapter aux nouvelles conditions climatiques qui sont en train d’évoluer à vitesse grand V.
C’est ce que nous avons engagé depuis 2020. En votant l’état d’urgence climatique au début du mandat [en 2021], on a fixé un cap dont on n’a pas dérogé depuis. Il y a eu des transformations de l’espace public, avec notamment une végétalisation et une progression de la nature [et donc de la fraîcheur] en ville.
On a déjà retrouvé 14 hectares de sols végétalisés et perméables depuis le début du mandat. On plante énormément, deux fois plus que lors des mandats précédents. Parmi les projets engagés et programmés, il y a encore une vingtaine d’hectares de perspectives de végétalisation. Donc oui, il faut continuer.
Votre ancienne adjointe à la culture Nathalie Perrin-Gilbert se présentera contre vous aux élections municipales. L’union des gauches s’effrite-t-elle à Lyon ? Est-ce qu’une alliance au premier tour est devenue impossible ?
Je suis à la tête d’une majorité qu’on peut qualifier de plurielle, qui est similaire au Nouveau Front populaire. Il y a dans ma majorité des écologistes bien sûr, mais aussi des socialistes, des communistes, un représentant de la gauche républicaine et sociale, un représentant de L’Après, ici et là des Insoumis dans les arrondissements…
On a été capables depuis cinq ans d’être une majorité qui respecte toutes ses composantes, qui produit des politiques publiques au service de l’intérêt général, qui partage l’ambition de faire avancer de concert la transition écologique, la justice sociale et la démocratie.
Mon intention est de faire l’union au premier tour avec celles et ceux qui auront aussi à cœur de faire l’union. Certains veulent jouer la carte de l’aventure personnelle, mais ce qui m’importe, c’est l’union et le collectif. C’est être ensemble qui nous donne du pouvoir d’agir.
C’est d’ailleurs ce que nous cherchons à renforcer auprès des Lyonnaises et des Lyonnais : leur donner du pouvoir d’agir, faire en sorte que les gens puissent aussi être des acteurs de la transition écologique.
Votre projet implique de nombreux travaux d’aménagement, qui sont mal perçus par certains habitants, qui se plaignent de travaux qui créent des embouteillages, des chiffres d’affaires réduits pour les commerçants… Que leur répondez-vous ?
Oui, certaines personnes se plaignent, mais il faut aussi écouter les gens dont la satisfaction est élevée, voire très élevée. Des commerçants voient au contraire leur chiffre d’affaires conforté, voire amélioré, du fait de certains travaux.
Un exemple concret : on vient de terminer l’aménagement d’une rue parallèle à la grande rue de la Croix-Rousse, elle est devenue piétonne. La très grande majorité des riverains et des commerçants sont satisfaits de cet aménagement. Parce que c’est beau, tout simplement, et parce que c’est apaisé, donc le flux de personnes qui s’engagent dans la rue est plus important.
« Il y a une vraie évolution des mobilités »
La transformation de la ville a plusieurs objectifs : l’adaptation au changement climatique, comme je le disais, et le développement de transports en commun. Les gros travaux qui ont actuellement lieu à Lyon et à Villeurbanne sont pour un nouveau tramway, le prolongement d’une ligne existante, un bus à haut niveau de service… Cela implique des rails à poser, du câblage, des voiries qui ne peuvent plus être circulées, etc. Donc oui, cela peut créer beaucoup de congestion à certains endroits.
Mais la circulation automobile baisse dans la métropole de Lyon, et en particulier dans le centre-ville. [Depuis 2019], le trafic automobile a baissé de 22 % à Lyon intramuros, avec en parallèle une augmentation de l’utilisation des vélos de plus de 60 % et une hausse de la fréquentation des transports en commun. Il y a une vraie évolution des mobilités.
À l’échelle nationale, les zones à faibles émissions (ZFE) sont très critiquées, accusées de renforcer les inégalités. À Lyon, quelle est votre position ?
La mauvaise qualité de l’air tue. C’est donc d’abord une question de santé publique. Tous les pneumologues disent que la mauvaise qualité de l’air a un impact sur les maladies pulmonaires. Un rapport de Santé Publique France a estimé le coût, à l’échelle nationale, de la mauvaise qualité de l’air en France : c’est 16 à 17 milliards d’euros par an. Il estimait aussi qu’on pourrait réaliser 11 milliards d’euros d’économies en améliorant la qualité de l’air dans ce pays. Ça vaut le coup d’aller les chercher.
Je constate une amélioration de la qualité de l’air très significative à Lyon depuis que les véhicules classés Crit’Air 4 et 5 ne circulent plus dans la ZFE : -23 % de dioxyde d’azote, -11 % de particules fines. Ce n’est pas suffisant, mais on est passé sous le seuil réglementaire des 40 microgrammes par mètre cube de dioxyde d’azote pour la première fois en 2024. On est sur une bonne trajectoire.
ZFE : « C’est évident qu’il faut plutôt aider les gens à changer de véhicule »
Pour que les ZFE ne créent pas d’inégalités, on a mis en place avec la Métropole de Lyon des dérogations « petits rouleurs » pour les gens qui utilisent leur voiture une fois par semaine, ou encore pour les travailleurs qui ont des horaires décalés. Mais on ne peut pas être les seuls, on a besoin d’un portage national.
C’est évident qu’il faut plutôt aider les gens à changer de véhicule. Or, l’État a abandonné le sujet, il n’a pas joué le jeu. Quand il a décidé de supprimer la prime à la conversion, les ménages les plus modestes se sont retrouvés en très grande difficulté.
C’est à nous, pouvoirs publics — et pas simplement la Ville et la Métropole de Lyon — de donner du « pouvoir d’agir », de créer les conditions pour que chacun puisse devenir acteur de la transition écologique et adapter sa mobilité.
L’ancien patron de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas, prompt à critiquer l’écologie « punitive », dessine le projet d’une candidature aux élections de 2026. Êtes-vous inquiet que ce candidat de « l’ancien monde » réussisse à capitaliser sur le mécontentement des Lyonnaises et des Lyonnais ?
Ce sont vos mots, pas les miens. Non, je ne suis pas inquiet. À l’heure qu’il est, Jean-Michel Aulas n’est pas candidat et on ne parle pas encore de projet. Moi, ce qui m’importe, c’est de pouvoir rendre des comptes sur ce que nous nous sommes engagés à faire.
On avait identifié dans notre plan de mandat 583 actions, qui allaient de travaux de voirie jusqu’à la rénovation des écoles. Sur ces 583 actions, on en a réalisé 389, bien plus de la moitié. Et 95 % auront été soit réalisées, soit seront en train d’être réalisées, soit programmées d’ici à la fin du mandat ou au début du prochain.
On a par exemple encore énormément de travail à faire sur les 207 écoles que compte Lyon — bientôt 208. On est intervenu sur presque la moitié d’entre elles, pour établir des rues aux enfants [des espaces piétonnisés devant les écoles], des cours nature, des rénovations thermiques des bâtiments…
Nous aurons investi 321 millions d’euros sur le bâti scolaire d’ici à la fin du mandat. Ensuite viendra le temps de la préparation d’un programme, d’une campagne, etc.
Vous avez été critiqué pour avoir déclaré vouloir augmenter le nombre de caméras de vidéosurveillance à Lyon, alors que vous aviez affirmé auparavant que la ville était déjà assez équipée. Est-ce un changement de stratégie politique opportuniste ? Quel est votre projet écologiste sur la sécurité ?
La sécurité est d’abord une question de justice sociale, l’insécurité touche prioritairement les plus vulnérables. Et, en vous disant ça, je vous l’affirme ici : la question de la sécurité est d’abord une valeur de gauche. Si je dois résumer notre approche en une phrase, c’est « l’humain d’abord ».
Il faut privilégier la présence humaine, c’est pour ça qu’on a augmenté le nombre de policiers municipaux à Lyon. La sécurité s’établit en étant appuyée sur deux jambes : la prévention — avec des acteurs qui vont des médiateurs de rue aux associations d’éducation populaire — et la sanction, quand des incivilités ou des délits sont commis.
« Les caméras de vidéosurveillance doivent être utilisées de manière raisonnée »
Sur la question de la vidéosurveillance, on a eu une approche méthodique. Première étape : on a acheté des caméras nomades pour nous permettre de tester si c’était nécessaire à certains endroits. Deuxième étape : on a lancé un dispositif d’évaluation de notre système de vidéosurveillance, par notre inspectrice générale des services. Elle a conclu au bon niveau d’opérationnalité de notre système de vidéosurveillance. Au cours des années, on a aussi identifié de nouveaux sites qui nécessitaient l’implantation de caméras fixes.
J’ai donc saisi le collège d’éthique à la ville de Lyon — mis en place par mon prédécesseur, que nous avons réactivé en arrivant — pour lui soumettre des propositions de nouvelles implantations. Il doit maintenant rendre un avis. Les caméras de vidéosurveillance peuvent être un outil pour assurer la sécurité mais je suis aussi garant des libertés publiques. Elles doivent être utilisées de manière raisonnée, dans un souci de proportionnalité. Il faut trouver le bon équilibre entre les deux.
Vous avez été placé en garde à vue le 9 avril dans le cadre d’une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics. Ne craignez-vous pas que ça entrave votre campagne pour les élections municipales ?
La chambre régionale des comptes a pointé 24 emplois à la Ville de Lyon [qui existaient déjà avant l’élection de Grégory Doucet] comme étant potentiellement des emplois politiques [et pas des agents administratifs], ce que nous récusons. Quand bien même on ne partage pas l’avis de la chambre régionale des comptes, elle est notre autorité de contrôle, donc je tiens à préciser que nous avons fait disparaître ces emplois. Les personnes concernées se sont vu confier d’autres missions dans les différentes directions ou délégations de la ville.
Je me suis mis à disposition de la justice pour répondre à toutes ses questions. J’ai confiance dans la justice de mon pays. Il y a le temps de la justice et il y a le temps politique : pour le moment, on est dans le temps de la justice. Quel impact tout cela pourrait avoir sur les élections, c’est un peu tôt pour le dire.