60 mairies gérées par des listes citoyennes REPORTERRE

Une soixantaine de mairies sont gérées par des listes citoyennes depuis 2020. Dans un rapport, Fréquence commune détaille les succès et les limites de cette nouvelle façon de faire de la politique.

En 2020, des dizaines de listes participatives emportaient la tête de mairies. En cinq ans, certains habitants ont réussi à proposer une alimentation bio dans les cantines, d’autres se sont réappropriés une station de ski de moyenne montagne, et même des forêts. En bref, ils et elles ont réparé, à leur échelle, la démocratie.

C’est le constat dressé par Fréquence commune, à l’issue d’un travail de terrain, dans un rapport titré « Prendre le pouvoir pour le partager » publié le 12 mai. Cette coopérative soutenant les « habitants qui réinventent la démocratie locale » a dressé un bilan sous forme de manuel pratique foisonnant d’exemples. Il explore plus précisément les pratiques, les défis et les apprentissages de celles et ceux qui, à l’échelle municipale, ont tenté de faire de la politique autrement.

Les autrices ont réalisé 127 entretiens individuels auprès de 21 communes. Qu’elles s’appellent « citoyennes » ou « en commun », en 2020, plus de 600 listes participatives étaient candidates aux élections municipales. Face à une offensive réactionnaire étouffant l’espace médiatique sur les questions de sécurité et d’immigration, l’enjeu était d’ores et déjà de taille pour ces citoyens déçus et malmenés par le quinquennat d’Emmanuel Macron.

En sous-texte, il s’agissait d’entériner la synthèse entre « les transitions sociale, écologique et démocratique ». Au total, 66 communes concrétisaient cet élan, que ce soit au sein de villages de 300 habitants comme à Vaour dans le Tarn, ou de plus de grandes villes telles que Poitiers, dans la Vienne, et ses 90 000 habitants.

Répartition du pouvoir

Les listes citoyennes et participatives se sont souvent construites « sur la base d’une dénonciation de l’élitisme du personnel politique et de son hyper-professionnalisation », notent les autrices de ce rapport. À la lecture, ce que l’on retient est qu’il n’existe pas un modèle clefs en main de la démocratie participative, mais plutôt une variété des formes de gouvernance, de modes d’organisation et de prises de décisions.

Pierre angulaire de ces listes : elles s’affranchissent des logiques hiérarchiques et pyramidales pour tendre le plus possible vers l’horizontalité, une répartition du pouvoir dans laquelle chacun peut contribuer, décider et prendre ses responsabilités au sein d’un collectif. Des personnalités émergent selon leurs compétences, tout en veillant à ce que leur expertise ne se transforme pas pour autant en argument d’autorité.

Les concepts de sociocratie, selon lequel voix des participants sont équivalentes, et l’holacratie, un concept visant à l’efficacité des organisations dans un but commun, forment le socle de ces modes d’organisation. En guise de boussole, on trouve la notion de ce qu’Elisabeth Fau, directrice des études et recherches de la coopérative Fréquence commune appelle le « travail associé ».

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« Les équipes travaillent en veillant à chaque fois à mêler la légitimité élective des élus aux contraintes techniques des agents publics territoriaux, ainsi qu’à celles des experts de la société civile. C’est en croisant ces différents regards et légitimités qu’elles arrivent à tendre vers une décision d’intérêt général. »

La politique ne se cantonne pas au conseil municipal

À Chambéry, près de 60 000 habitants, les élus sont organisés en pôles thématiques. Du côté de Castanet-Tolosan (14 903 habitants), en Haute-Garonne, ou à Vaour (328 habitants), l’ensemble des élus endossent soit le costume de conseiller, soit d’adjoint et fonctionnement en binômes ou trinômes avec une charge de travail équivalente. À Foix, commune de 9 472 habitants en Ariège, les élus de la liste Foix en commun.e siègent de façon tournante au conseil municipal. Les deux élus minoritaires changent aussi tous les deux ans.

« Ce que l’on retrouve de commun, c’est la volonté de politiser d’autres espaces que le conseil municipal afin que les décisions ne se prennent pas dans le bureau du maire entouré uniquement de ses adjoints, résume Cléa Fache, chargée d’étude au sein de Fréquence commune. Il y a cette volonté que le conseil municipal ne soit pas simplement une chambre d’enregistrement en y réintroduisant la délibération. »

 

Dans le processus de décision, à l’instar de Prades-le-Lez (Hérault), ou encore la Crèche (Deux-Sèvres), deux communes de respectivement 6 207 et 5 732 habitants, certaines listes citoyennes et participatives ont instauré un fonctionnement selon trois instances : un groupe pour l’équipe municipale majoritaire dans lequel sont prises les décisions politiques, des groupes de travail composés d’élus, d’agents et d’habitants, et d’un bureau chargé de l’exécution dans lequel on trouve le maire, ses adjoints et le directeur général des services.

Pour trancher, l’équipe utilise la méthode de la décision à zéro objection (Dazo), celle-ci permet d’aboutir à une proposition finale pour laquelle personne n’a émis d’objection, autrement dit, pour laquelle personne n’identifie un risque majeur pour le collectif ou pour soi.

Le bénévolat : un frein pour les plus précaires

Les listes participatives ont aussi accompagné une féminisation des élus, avec 39 % de tête de listes féminines contre 23 % dans les listes municipales classiques. Bien que les municipalités ne soient pas exemptées de violences sexistes et sexuelles, cette féminisation a permis la mise à l’agenda de certaines questions, telles que la création d’un congé menstruel à destination des membres des services internes.

Nombre d’outils émergent pour faire vivre la voix des habitants. À Poitiers, en plus des budgets participatifs, l’assemblée citoyenne, ou les conseils de quartiers, il existe un droit à l’interpellation citoyenne, visant à faire porter une revendication auprès des élus.

 
Une microforêt urbaine et comestible, née en 2023, à Poitiers. Le projet a émergé au travers des budgets participatifs de la Ville. Collectif des dunes

Au fil des mandats, des freins ont peu à peu émergé face aux difficultés à mobiliser les habitants. Pour prendre en compte les inégalités sociales et territoriales, plusieurs communes participatives ont employé la méthode du tirage au sort du cadastre couplé à un travail d’information via le porte-à-porte. Dès lors, peu importe que les personnes soient inscrites ou exclues de listes électorales, elles sont considérées comme légitimes. Force est de constater que seuls 30 % des personnes tirées au sort sont venus à la première réunion.

Il faut dire que, par définition, la démocratie requiert de pouvoir dégager un temps bénévole impossible pour les habitantes et habitants précaires. Pour pallier ces difficultés, des communes réfléchissent à instaurer un dispositif sur le modèle des jurys d’assises pour lesquels une indemnisation existe, et qui permettrait une reconnaissance de ce travail citoyen.

C’est ce qu’a initié la ville de Poitiers en 2023 en accordant une indemnisation, sous conditions de ressources, de 41,22 euros par réunion pour les participants dont le quotient familial est inférieur ou égal à 1 000 euros.

Du bio pour les cantines scolaires

Les autrices du rapport documentent plusieurs exemples de réappropriation de communs par les habitants. « Dans un contexte de montée des discours d’impuissance du niveau municipal, de démission en masse des conseillers ou des maires, ces listes citoyennes et participatives ont réussi à enclencher une vision écologiste de transformation des politiques publiques », souligne Elisabeth Fau.

Dans le Morbihan, pour répondre aux revendications de parents d’élèves démarrées en 2019, la municipalité d’Auray (14 222 habitants) a acheté des terres agricoles pour ouvrir sa ferme bio, et a construit sa propre cuisine centrale communale grâce à laquelle elle produit 700 repas livrés dans les quatre cantines scolaires de la ville. Au total, l’opération représente 14 % du budget d’investissement du mandat.

Trouver l’équilibre avec les partis politiques pour ne pas se faire influencer par les jeux de pouvoirs, repenser des attributions d’indemnité plus équitables, et expérimenter le comaire, (soit le partage de la fonction) figure parmi les pistes de réflexions portées par les autrices du rapport. Angers, la gauche et les citoyens espèrent prendre la place de Christophe Béchu, Angers Coopérative, initiative citoyenne lancée en septembre.

À Chartres, les écologistes et un collectif citoyen ont lancé début mars Chartres en commun, une initiative visant à porter une candidature commune et un programme rédigé en concertation avec les habitants. Dans le Tarn, les opposants à l’A69 envisagent aussi de mettre le cap sur les municipales.

« On dénombre d’ores et déjà près de 165 nouvelles listes citoyennes et participatives en vue de 2026, c’est porteur d’espoir », conclut Élisabeth Fau. En août 2024 ont eu lieu les rencontres nationales des listes et communes participatives à Vaour. Actions communes et Fréquence commune, les organisatrices, espèrent que plusieurs milliers de communes tenteront bientôt l’initiative. À condition que les logiques politiciennes ne reprennent pas la main d’ici là.

La carte des mairies citoyennes :

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