La vie en 2050 avec 50 °C REPORTERRE

Les températures, qui dépassent 40 °C en France, vous paraissent insupportables ? Imaginez ce que la vie pourrait être par 50 °C, en 2050. Notre journaliste a fait le test dans un camion simulant ces conditions extrêmes.

Misy-sur-Yonne (Seine-et-Marne), reportage

Si vous pensez que les températures de cette mi-août sont insupportables, que l’air devient pâteux en flirtant avec les 40 °C, vous n’avez rien vu. Pour les plus masos d’entre nous, dont je fais partie, il est possible d’aller expérimenter la vie à 50 °C, durant trente minutes de lente mais assurée liquéfaction.

Le camion Climate Sense est l’invention un brin sadique de Christian Clot, un explorateur qui adore plonger le corps humain dans différentes situations extrêmes pour mieux étudier ses limites. Entre des virées dans le désert ou dans l’Arctique et une descente dans une grotte sans repère temporel, il convie ses congénères dans ce camion sensoriel. De l’extérieur, le lieu de torture ressemble à un conteneur posé là, par erreur, entre le 33 tonnes de marchandises et le stand d’info. Dedans, c’est un sas pour le futur : parois blanches, lumière neutre, pas un centimètre d’ombre.

50 °C : cette température semble surréaliste pour l’été 2025. Pourtant, elle pourrait bien être atteinte en France d’ici 2050, d’après Météo-France. Ailleurs dans le monde, c’est déjà une réalité : la Turquie a rejoint fin juillet le cercle de moins en moins fermé des pays où le thermomètre a dépassé 50 °C.

« Personne ne tiendra à ce rythme »

Quand la porte du camion se ferme, l’air entre dans ma bouche comme une gorgée de sèche-cheveux. L’ensemble donne l’impression d’embrasser le destin d’un légume qui va confire à basse température. Au fond de l’espace exigu, trois tapis roulants sur lesquels l’explorateur nous invite à marcher dix minutes. « Il est 8 heures, un jour de 2050, vous allez travailler et vous marchez à l’ombre. Il fait déjà 50 °C… »

En l’espace de deux minutes, le corps met automatiquement en place ses systèmes de refroidissement : vasodilatation des vaisseaux sanguins pour évacuer la chaleur, sudation abondante, respiration plus rapide. Ma complexion tourne au pivoine. Ma peau se transforme en membrane suintante, les cils collent, les gouttes de sueur chaude perlent du front au cou. Je me dis que dans ces conditions, jamais je n’irais au travail à pied. En congélateur sur roulettes, peut-être.

Le cerveau reste alerte. Les premières minutes, on observe, on plaisante, on note mentalement ce qui se passe. Dans un coin de ma tête, une conviction s’impose : « Personne ne tiendra à ce rythme, aucun enfant ne pourra aller à l’école, aucun salarié ne pourra travailler en extérieur, les sociétés humaines seront au ralenti. » Et dans le futur, on se demandera pourquoi des journalistes allaient jouer à vivre dans ces conditions !

Après dix minutes, nous voilà arrivés au travail. Nous suons à grosses gouttes. Entre deux activités, ma consœur de la radio Mouv’ nous sert un verre d’eau. Effet inattendu du liquide réchauffé à 50°C : je renverse ma timbale sur la table… qui sèche en 30 secondes. L’eau chaude doit-elle devenir la boisson de la fin de ce siècle ?

Un chewing-gum dans le cerveau

C’est le moment de mesurer notre dextérité en montant un château de cartes ou en faisant passer un anneau d’un bout à l’autre d’un parcours sans toucher le tube central. Raté. Et re-raté. La fatigue se fait sentir et les cartes s’effondrent sur la table. Les ressources physiologiques commencent à être sollicitées : la température interne grimpe, le rythme cardiaque augmente. On transpire tellement que le risque de déshydratation s’installe. Le sang, détourné vers la peau pour refroidir l’organisme, irrigue moins efficacement les organes, dont le cerveau.

Dernière étape de l’expérimentation. Là, il s’agit de résoudre des énigmes taillées pour un enfant de 12 ans. Mais au bout de vingt minutes à 50 °C, il y a comme un chewing-gum dans le cerveau, les pensées ralentissent, les phrases perdent leur architecture. La chaleur altère les capacités cognitives et le phénomène devient tangible.

Les neuroscientifiques parlent de diminution de la conduction nerveuse : les messages circulent plus lentement, la mémoire immédiate se brouille, l’attention se fragmente. Les participants parlent d’un « flou mental », d’une incapacité à organiser leurs idées. Les informations entrent… et s’écrasent mollement contre les parois. Pourquoi suis-je là ? Mon voisin lit les énigmes. Je regarde ses lèvres bouger en étant incapable de relier le début à la fin de sa phrase. Et tout cela, à jeun !

La sensation d’avoir visité une planète hostile

Passé ce cap des trente minutes, la confusion peut s’installer, accompagnée d’un risque de coup de chaleur : nausées, vertiges, désorientation. Dans un environnement réel, ces symptômes peuvent mener à la perte de conscience, voire à la mort si la température interne du corps dépasse 40 °C. Quand la porte s’ouvre, l’air extérieur — pourtant chaud — paraît léger, respirable. On sort avec la sensation d’avoir visité une planète hostile : la nôtre, en 2050 ! La plupart des personnes récupèrent en quelques minutes, mais il m’aura fallu trois heures pour recouvrer ma jugeote.

En mettant au point ce semi-remorque de l’enfer, Christian Clot comptait nous faire toucher du doigt ce qu’est la vie à 50 °C. « On voit à peu près ce que ça donne, ne serait-ce que les premières minutes en entrant dans un sauna, mais personne ne sait tout à fait ce que signifie vivre et travailler sous de telles températures », dit-il

En simulant trois situations de la vie courante, la marche du petit matin, les jeux d’adresse et les énigmes à résoudre, le camion Climate Sense permet de tracer quelques futurs fondus. Interrogés à la sortie de l’expérience sensorielle, les participants sont invités à désigner les VIP qui devraient vivre cet inconfort. Bah, tous les Pascal Praud, Donald Trump et autres climatosceptiques, pardi !

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