Sondage IFOP : 71 % favorables au fédéralisme

À l’heure où la Corse et la Nouvelle-Calédonie négocient avec Paris des statuts particuliers qui vont très loin dans la logique d’administration « à la carte », que pensent les Français de cette politique de différenciation visant à adapter l’action publique aux spécificités géographique, historique, ou socioculturelle locales?

 

Cinquante ans après les événements d’Aléria (21 août 1975) qui ont marqué la naissance du nationalisme corse et amorcé une première vague de décentralisation, quel est l’état de l’opinion sur la décentralisation et les revendications régionalistes, notamment sur le projet de loi devant prochainement octroyer à l’île de Beauté une « autonomie dans la République » ?  

 

Pour y répondre, l’Ifop a réalisé pour le mouvement Régions et Peuples Solidaires (R&PS) une grande enquête dont l’intérêt est d’offrir des évolutions de l’opinion sur près de 30 ans mais aussi des données fiables pour les régions à forte identité (Alsace, Bretagne, Catalogne nord, Corse, Pays basque nord, Pays de Savoie) les plus concernées par ces sujets. 

 

La France connaît aujourd’hui un tournant majeur dans son rapport à l’organisation territoriale. Loin de rester cantonnée aux militants, l’aspiration à davantage de pouvoir régional se généralise et s’affirme comme une revendication transpartisane. Alors qu’en 2012, seule la moitié des Français considéraient que les collectivités locales manquaient de pouvoir, ils sont désormais 68 % à partager cet avis. Ce désir de décentralisation traverse toutes les catégories sociales et politiques, avec des taux particulièrement élevés chez les seniors (73 %), dans les zones rurales (75 %) ou encore chez les électeurs de Marine Le Pen (79 %). Il s’accompagne d’un plébiscite en faveur d’une adaptation des lois aux réalités locales, soutenue par 73 % des Français, et d’un intérêt croissant pour le fédéralisme : 71 % y sont favorables, une proportion impensable il y a encore quelques décennies, notamment en Alsace (86 %), en Bretagne (78 %) ou en Corse (76 %). 

 

Cette évolution s’exprime aussi dans une remise en cause de la carte des régions dessinée en 2015. Le redécoupage voulu par François Hollande est largement rejeté : 68 % des Français souhaitent une réforme tenant compte des spécificités historiques et culturelles. Dans les territoires « maltraités » par cette réforme, le rejet est massif : 84 % en Alsace, 72 % en Bretagne. L’Alsace incarne cette révolte avec 80 % de ses habitants réclamant une sortie du Grand Est, contre 68 % en 2019. En Corse, trois quarts des habitants soutiennent le projet de loi d’autonomie, un taux qui grimpe à 87 % chez les jeunes. La tendance se retrouve ailleurs, comme en Savoie, où 51 % des habitants veulent une région spécifique (contre 41 % en 2000), ou en Bretagne, où 48 % souhaitent le rattachement de la Loire-Atlantique. À l’échelle nationale, 51 % des Français approuvent l’autonomie corse et la création d’un statut particulier pour le Pays basque divise à parts égales (50 % favorables). 

 

Parallèlement, les revendications culturelles connaissent un soutien exceptionnellement stable et fort. La reconnaissance officielle des langues régionales rassemble 77 % des Français, un niveau quasiment inchangé depuis 1999, et qui atteint des sommets dans les régions concernées : 93 % en Corse, 91 % au Pays basque, 90 % en Alsace. L’école est perçue comme le vecteur central de cette transmission : 84 % des Français plébiscitent l’enseignement de l’histoire régionale et 81 % souhaitent que chaque élève puisse apprendre une langue régionale. Dans les régions à forte identité, l’idée d’un enseignement obligatoire fait son chemin, avec 76 % de soutien en Corse, 78 % en Alsace et 66 % au Pays basque. Cette institutionnalisation progressive illustre une volonté de préserver et transmettre ces particularismes au-delà des clivages politiques ou des effets de mode. 

 

Derrière cette montée en puissance du régionalisme se dessine enfin un rejet quasi profond du centralisme. Neuf Français sur dix estiment que l’État central est trop déconnecté des réalités locales, et 82 % dénoncent une couverture médiatique trop concentrée sur Paris. Seuls 35 % jugent que le gouvernement prend en compte les besoins de leur région, avec des niveaux critiques en Catalogne (24 %) et en Corse (30 %). Cette défiance nourrit une affirmation identitaire de plus en plus marquée : 27 % des Français se disent aujourd’hui principalement attachés à leur région, contre 23 % en 2011, et jusqu’à 57 % en Corse ou 47 % en Bretagne. Dans certains territoires, l’identité régionale dépasse même l’identité nationale, 54 % des Corses se considérant d’abord comme Corses.  

 

Loin d’être un simple folklore ou l’apanage de minorités militantes, ce regain régionaliste s’affirme comme une véritable dynamique majoritaire qui pousse à repenser l’organisation territoriale française. Comme le souligne François Kraus, directeur du pôle politique et actualité à l’Ifop, la « demande de décentralisation dépasse désormais les cercles militants et traverse toutes les générations ainsi que tous les courants politiques. Certaines aspirations, comme la reconnaissance des langues régionales, se révèlent d’une stabilité remarquable dans le temps, signe de leur enracinement profond dans la culture politique nationale. Cette évolution met en lumière l’émergence d’identités territoriales alternatives, capables de questionner le modèle jacobin sans remettre en cause l’unité du pays. Elle esquisse, au contraire, les contours d’une France plurielle où la diversité culturelle et territoriale est perçue comme une richesse à valoriser, notamment par les jeunes générations, annonçant une transformation durable du lien des Français à leur territoire ». 

 Document de l’IFOP

 

Cette étude d’opinion a été réalisée par Francois Kraus et Nicola Gado 

 

L’enquête a été menée auprès :
– d’un échantillon national de 2 000 personnes, représentatif de la population vivant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus ;
– de 7 échantillons « régionaux », représentatif de la population âgée de 18 ans et plus vivant dans chacun des territoires suivants :
Alsace-Moselle (500 personnes)
Bretagne historique (500 personnes)
Corse (504 personnes*)
Pays de Savoie (500 personnes)
Pays Basque nord (534 personnes*)
Catalogne du Nord (500 personnes)
Espace Occitan (518 personnes)

La représentativité a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par catégorie d’agglomération et…
– … par région pour l’échantillon national
– … par département (Alsace-Moselle, Bretagne historique, Corse, Pays de Savoie, espace Occitan) ou par commune (Pays Basque nord, Catalogne du Nord) pour les échantillons « régionaux ».

Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 11 au 25 juillet 2025.
*Pour un meilleur respect des quotas, quelques dizaines d’interviews y ont été réalisées par téléphone.

 

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