Attendu depuis des décennies, le projet d’autoroute Toulouse-Castres bénéficie de nombreux soutiens de la gauche, dont celui de la présidente de la région Occitanie, la socialiste Carole Delga. Une position incohérente, selon la Nupes.
Lors du week-end de mobilisation les 22 et 23 avril des opposants à l’autoroute Castres-Toulouse, le nom de la présidente de la région Occitanie est revenu plusieurs fois dans les prises de parole pour critiquer sa position. « Nous demandons à Carole Delga d’arrêter de jouer sur deux tableaux, en communiquant sur les améliorations ferroviaires tout en soutenant la construction d’une autoroute. C’est en totale contradiction », expose Aline, porte-parole du collectif La Voie est libre, lors d’une conférence de presse le 22 avril.
L’élue du Parti socialiste (PS) a toujours appuyé le projet, bien qu’on ne l’ait pas entendu sur le sujet depuis deux mois, alors que les travaux ont démarré début mars. Mercredi dernier, une action de Dernière rénovation aspergeant la façade de l’hôtel de région de peinture orange a forcé la collectivité à réagir.
Dans un communiqué de presse, la Région « condamne les dégradations » et rappelle au sujet de l’A69 : « Tout au long de sa conception, les habitants du Tarn, dans leur grande majorité, comme les acteurs économiques, ont manifesté leur attente vis-à-vis de ce projet. »
Mais au sortir d’un week-end de mobilisation sans précédent contre l’A69, la position de la Carole Delga est devenue intenable pour bon nombre d’élus de gauche. À commencer par certains de sa majorité, rassemblés dans la liste Occitanie Pays-Catalan Écologie (OPCE). Dans un communiqué, ces derniers apportent leur soutien « à la lutte contre ce projet climaticide, anachronique et antisocial » et tendent la main à la présidente de Région : « Il est encore temps de faire marche arrière. » Il ne voient pas dans ce renoncement un aveu de faiblesse, « mais bien une preuve de clairvoyance et de courage ». Les élus régionaux communistes ont également pris position contre l’autoroute.
Benjamin Assié dit ne pas vouloir « rester sourd aux mobilisations citoyennes ».« On a toujours été contre cette autoroute », précise Benjamin Assié, président du groupe OPCE, présent samedi lors de la mobilisation à Saïx. L’élu dit ne pas vouloir « rester sourd aux mobilisations citoyennes » et rappelle que lors de la campagne pour les dernières élections régionales, José Bové avait proposé une consultation des habitants sur ce sujet. Une idée restée lettre morte.
Des contradictions politiques flagrantes
La position de Carole Delga est d’autant moins compréhensible, qu’elle entre en contradiction avec des engagements « sur les énergies renouvelables, la bio, le ferroviaire », énumère Benjamin Assié. La mise en place des TER à 1 euro est l’exemple majeur de sa volonté de développer le transport ferroviaire dans sa Région. « Je veux faire du train le moyen de transport privilégié car il est plus écologique et plus économique », a-t-elle tweeté le 14 avril dernier.
Plus surprenant encore, la présidente de la région Occitanie a pris publiquement position contre l’implantation d’une centrale d’enrobage à bitume à Gragnague, alors même que l’installation pourrait bien servir à fabriquer le bitume de la future A69…
« Remettons les choses à leur place : qui a la clé du projet ? C’est l’État », souligne Benjamin Assié. Le dossier a d’ailleurs aussi bien avancé sous Nicolas Sarkozy (mise en concession autoroutière) que sous François Hollande (lancement de l’enquête publique), avant d’être concrétisé pendant la présidence d’Emmanuel Macron (déclaration d’utilité publique).
Le 22 avril, 8 200 manifestants étaient réunis à Saïx. À la place de l’autoroute, la liste Occitanie Pays-Catalan Écologie est favorable à l’aménagement de la route nationale existante, la RN126. Une préétude sur le sujet avait d’ailleurs été financée en 2016, juste avant l’enquête publique, financée par quinze communes de la vallée du Girou opposées à l’A69, deux communautés de communes… et la Région.
« Dans le Tarn, il faut être pour cette autoroute pour être élu »
« On voulait prouver qu’aménager la route nationale suffisait : on n’expropriait que 90 hectares de terre contre 400, on maintenait l’axe gratuit, on préservait le cadre de vie des riverains et le financement public était moindre », indique Sabine Mousson, maire de Teulat sans étiquette. Mais cette préétude est tombée aux oubliettes, le gouvernement en a fait fi et la Région a continué de clamer que la seule solution était la création d’une 2X2 voies.
Au sein du conseil départemental de Haute-Garonne, les lignes bougent : quelques élus communistes et du parti Génération·s ont récemment affiché leur opposition à l’A69, derrière le socialiste Gilbert Hébrard. Ce dernier, également maire de Vendine, l’une des communes concernées par le tracé de la future A69, a toujours été « fermement opposé » à ce chantier et l’a répété vendredi dernier lors d’une conférence de presse, espérant ainsi ouvrir un dialogue plus large au sein du conseil départemental.
Les travaux ont démarré début mars. © Alain Pitton / ReporterreAux côtés de Carole Delga, l’autre allié socialiste de poids à l’A69 est le président du conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond. Moins frileux pour défendre ce projet, ce dernier assure que l’autoroute « facilitera la vie de nombreux Tarnais », « favorisera l’attractivité de nos entreprises et sécurisera nos emplois ». Des arguments également présentés par les élus locaux de tous bords politiques, dont le député tarnais Renaissance Jean Terlier. Le projet permettrait également de désenclaver le sud du département, alors que le nord dispose de sa propre autoroute reliant Toulouse à Albi.
L’agglomération de Castres-Mazamet à l’inverse est le seul bassin économique de 100 000 habitants en France à ne pas être relié à une autoroute ou une ligne TGV. « Dans le Tarn, il faut être pour cette autoroute pour être élu », commente Gilbert Hebrard.
Allégeance au groupe Pierre Fabre
Pour le président du département et la présidente de la Région, il s’agit aussi de se ranger aux côtés du groupe Pierre Fabre, l’instigateur même du projet d’autoroute. L’entreprise pharmaceutique qui rayonne à l’international pèse aussi dans le milieu économique local en employant environ 3 600 personnes en Occitanie.
Mais Carole Delga et Christophe Ramond semblent bien seuls au sein de la gauche pour porter le projet d’autoroute Toulouse-Castres. La mobilisation du 22 avril l’a montré, avec la participation de nombreux élus La France insoumise (LFI) et Europe Écologie-Les Verts (EELV), membres de la coalition Nupes — que dénigre Carole Delga.
« Non, la gauche ne peut pas soutenir cette autoroute, certifie le député LFI des Bouches-du-Rhône, Manuel Bompard, avançant dans le cortège des manifestants. L’incapacité de la présidente de la région Occitanie et du président du département du Tarn à comprendre que ce projet est inutile et dangereux montre que leur prise en compte des enjeux écologiques est beaucoup trop lente. »
Une vision de l’écologie dépassée
« Si la présidente de Région veut être écologiste, qu’elle cadence plus de trains sur la ligne Castres-Toulouse », suggère Karen Erodi, députée insoumise du Tarn. L’élue rappelle le coût prohibitif du futur péage : « Les gens essaient de survivre aujourd’hui. Un Tarnais ne pourra pas dépenser 300 euros par mois pour emprunter une autoroute. »
« Vouloir désenclaver un territoire par la route c’est rendre les habitants dépendant de leur voiture. Alors que le coût de l’énergie augmente, c’est dangereux socialement et économiquement », prévient Sandrine Rousseau, députée EELV de Paris, en marge de la manifestation de samedi.
Sandrine Rousseau : « C’est dangereux socialement et économiquement. » Pour le sénateur écolo Thomas Dossus, venu lui aussi soutenir la mobilisation à Saïx, l’écologie n’est pas le point fort des socialistes. « Tout n’a pas été intégré dans leur logiciel, commente-t-il. Ils pensent encore que l’unité de déplacement c’est la voiture, y compris dans les territoires ruraux. Mais ce sont aux services de se rapprocher des habitants. »
En parallèle, selon Mediapart, le ministère des Transports serait en train de réexaminer le dossier de l’A69. Le signe que le gouvernement recule sur la question ? « Les lignes bougent, commente Manuel Bompard. Carole Delga et Clément Beaune [le ministre des Transports] sont mis au pied du mur entre les paroles et leurs actes : l’opportunité de renoncer à ce projet, c’est maintenant. »