Reporterre rejoint le mouvement collectif #HelloQuitteX : le 20 janvier, nous quitterons le réseau X. Hervé Kempf, le directeur de la rédaction, explique notre choix et appelle à une « autodéfense numérique populaire ».
Lundi 20 janvier, Donald Trump sera président des États-Unis. Dans son gouvernement, une figure pèsera lourd : Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, devenu, comme Trump, un fasciste. Musk possède le réseau X, qu’il a transformé, après l’avoir racheté en 2022, en un Niagara d’insultes et de contre-vérités. Depuis plus d’un mois, un mouvement collectif de médias, d’ONG, de personnalités se sont engagés à quitter ce réseau. Avec elles et avec eux, Reporterre quittera X le 20 janvier, pour faire front commun, ne pas laisser confisquer le débat public et bâtir ensemble une alternative.
Cette décision s’est prise en deux temps. D’abord, fin novembre, à la suite de l’action pionnière du Guardian, qui avait annoncé le 13 novembre qu’il ne posterait plus sur X, nous avons réfléchi en équipe. Et avions décidé, « pour le moment », de rester sur X, en expliquant en transparence cette décision. Les départs se faisaient alors au compte-goutte, sans coordination, nous doutions que des choix isolés puissent peser dans le rapport de forces.
Nous écrivions : « Les médias commencent à se sentir solidaires et à mener des actions communes. Il nous faut réfléchir collectivement, et si nous devons quitter tel ou tel réseau ou faire pression, le faire ensemble, pour peser vraiment. »
Ils ne sont forts que de nos faiblesses
Depuis, nous avons continué à réfléchir, à discuter avec des médias amis et avec des acteurs de la société civile, à entendre ce que nous ont écrit en commentaires des lectrices et des lecteurs. Et les choses ont rapidement évolué, le mouvement collectif a pris de l’ampleur et du sens, avec l’idée, portée par HelloQuitteX de partir ensemble. Musk a affiché son soutien à l’extrême droite européenne, envers le leader anglais Nigel Farage comme avec l’AfD, le mouvement fasciste allemand. Même si des arguments pouvaient encore plaider pour rester sur X — ne pas ignorer les 4,8 millions de Français qui y vont tous les jours — l’équipe a choisi sans ambiguïté de partir.
« Il faut marquer un coup d’arrêt »
Partir en masse — des dizaines de médias le font, mais aussi des associations, des organisations, des politiques, journalistes, influenceurs… et des citoyennes et citoyens ! —, c’est se donner la chance de peser, d’affaiblir X, et de faire reculer sa culture de brutalité. Il s’agit de transformer le rapport de force : ces potentats, ces milliardaires, ces oligarques sont engagés dans une bataille pour nous imposer leur vision libertarienne et techniciste. Trump, Musk, Zuckerberg, Thiel, et leurs comparses assument une inégalité monstrueuse, ils nient la catastrophe écologique, ils veulent régir le monde par l’intelligence artificielle et par les machines.
Alors, il faut marquer un coup d’arrêt. Et se dire que quitter X n’est pas la fin de l’affaire, mais un des actes qui engagent la contre-attaque.
Urgence politique : la liberté de l’information
Si X voit peu à peu ses utilisateurs et utilisatrices le délaisser, le message sera clair pour les maîtres des réseaux numériques : laisser sans frein se déverser les injures, les mensonges, les fausses informations les exposera au boycott. Car tous ces gens ne sont forts que de nos faiblesses. Quand le Tribunal suprême fédéral du Brésil a suspendu X en raison du non-respect de la loi, Musk, malgré sa morgue et sa vanité, a plié et a changé le comportement de X dans ce pays. Un puissant mouvement citoyen contre X donnera ainsi des forces aux dirigeants européens pour suivre l’exemple du Brésil et ne pas céder aux Musk et autres capitalistes ivres de leur puissance.
Car X n’est que la pointe la plus avancée du fascisme technocapitaliste. Facebook et Instagram, qui appartiennent à Zuckerberg, Google, LinkedIn, YouTube, TikTok, fonctionnent selon les mêmes logiques techniques et suivent la même pente politique. Zuckerberg multiplie les marques d’allégeance à Trump et a annoncé à la suite de X l’assouplissement de la modération sur Facebook. Faudra-t-il quitter Facebook ? La question se pose déjà.
Avec une particulière acuité pour les médias : ils dépendent en bonne partie de ces réseaux, qui leur apportent du trafic. C’est pourquoi, là encore, il est urgent qu’une discussion politique s’engage sur la question de la liberté de l’information, des règles des réseaux, de la constitution de « réseaux de service public », comme il existe des radios et télévisions de service public.
Se rendre autonomes
Nous devons faire grandir une culture de l’autonomie en matière d’information. Élaborer une autodéfense numérique populaire, nous interroger sur nos pratiques, nous émanciper des outils qui nous aliènent, capturent notre attention, nous transforment en produits marchands.
Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à avoir compris que, derrière leur séduction et leurs qualités pour communiquer, les réseaux numériques sont des outils de surveillance et de désinformation. Il nous faut développer les moyens alternatifs d’accès aux actualités :
- soutenir, lire et faire connaître les médias indépendants ;
- s’abonner à leurs lettres d’information ;
- choisir des réseaux moins nocifs que les dominants, et aller sur Bluesky ou, mieux encore, Mastodon — sur lesquels Reporterre est présent depuis longtemps. Pour cela, la plateforme HelloQuitteX peut vous aider ;
- utiliser les flux RSS, qui permettent de suivre les publications de vos médias préférés, d’organisations gouvernementales, d’associations, etc. Ils sont libres des algorithmes opaques des réseaux sociaux qui décident à votre insu de ce que vous allez lire.
Comme dans tous les domaines de la vie, il nous faut reconquérir l’autonomie face au capitalisme. Il nous veut divisés, individus, particules manipulées par leurs machines. Ensemble, nous recréerons du collectif, de la communauté, de la coopération. Et de la joie. Bye bye, X !