La recherche mondiale mise en cause par Trump REPORTERRE

Travaux censurés, scientifiques empêchés, données inaccessibles… La purge de Donald Trump dans les sciences affecte les chercheurs français et leurs études. Les climatologues craignent de ne plus pouvoir travailler.

C’est un cataclysme qui n’en finit pas de déferler sur la communauté mondiale des climatologues. Les attaques massives menées par le président étasunien Donald Trump contre les sciences dites « de la durabilité », dont celles du climat, ont des conséquences pour la recherche partout dans le monde. En France, de nombreux chercheurs oscillent entre sidération et craintes pour l’avenir.

« La situation m’affecte au niveau personnel : je connais très bien nos collègues aux États-Unis avec qui nous collaborons étroitement sur les cyclones tropicaux et leur lien avec le changement climatique. Ce sont les plus grands spécialistes du sujet, je me suis formé en interagissant avec eux », témoigne Davide Faranda, climatologue, chercheur au CNRS à l’Institut Pierre-Simon Laplace. « Ils sont sous le choc et travaillent dans une situation chaotique. Les menaces de fermetures de programmes ou de licenciements les empêchent de planifier quoi que ce soit. »

Les scientifiques les plus précaires, doctorants ou postdoctorants notamment, comptent parmi les plus menacés par les coupes budgétaires. Mais aucune institution n’est à l’abri, pas même les plus emblématiques : l’Observatoire du Mauna Loa, à Hawaï, qui mesure le CO2 dans l’atmosphère depuis 1958, est sur la sellette. Le gouvernement étasunien envisagerait de fermer en août prochain le bureau qui le gère sur place, selon une note fédérale récupérée par le New York Times.

« Mauna Loa est un site historique, pionnier. C’est celui qui a mis en évidence la hausse du taux de CO2 dans l’atmosphère. Le symbole serait extrêmement douloureux pour les climatologues, c’est comme si on arrêtait de financer le Louvre en France », souligne le climatologue Robert Vautard, coprésident du groupe de travail 1 du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Sauver la continuité des mesures climatiques

Perdre les capacités d’observer le climat est ce que redoutent le plus les climatologues, tant l’ensemble des sciences du climat dépendent des observations. Elles sont indispensables pour vérifier et améliorer les modèles qui projettent les scénarios climatiques du futur, mais aussi pour comprendre les zones d’ombre restantes sur l’évolution de plusieurs sous-systèmes climatiques, dans un contexte de réchauffement qui ne fait qu’accélérer.

« La continuité des données d’observation est très importante. Même un trou de quelques années peut être dommageable, dit Robert Vautard. Imaginons par exemple que nous n’ayons pas les données des anomalies des années 2023 et 2024, qui ont pulvérisé les records de température : elles sont primordiales pour mieux comprendre les évolutions en cours. »

Or, pour observer l’ensemble du globe, la collaboration internationale est indispensable. Et les États-Unis ont toujours été un acteur majeur en la matière. C’est le cas, par exemple, dans l’observation des océans. Ceux-ci ont jusqu’à présent absorbé plus de 90 % de la chaleur générée par le changement climatique, et la compréhension de leurs mécanismes de régulation constitue un front de science crucial pour la climatologie.

« On préfère ne pas penser
au scénario du pire »

Le programme international Argo, qui a permis le déploiement de 4 000 flotteurs sur l’ensemble des océans, récoltant des données abondamment citées dans les rapports du Giec, est ainsi financé à plus de 50 % par les États-Unis. Au travers, entre autres, de l’Agence étasunienne d’observation océanique et atmosphérique (NOAA).

Lorsque celle-ci a reçu l’ordre de Washington de couper tout contact avec ses collègues internationaux, dont ceux de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), les craintes d’une perte d’accès aux données et d’une baisse des financements de la flotte Argo ont été exprimées par le PDG de l’Ifremer.

« Pour l’instant, nous n’avons pas été impactés directement, rassure Claire Gourcuff, responsable scientifique de Euro-Argo, la partie européenne du projet qui finance le quart des 4 000 flotteurs. C’est une des forces d’Argo : les observations sont partagées avec toutes les équipes dans le monde, via deux centres qui centralisent toutes les données, l’un aux États-Unis et l’autre en France. »

Les données continuent — pour l’heure — de circuler, mais quid du renouvellement des flotteurs, dont la durée de vie n’excède pas 5 à 7 ans ? Les Européens, qui gèrent de nombreux flotteurs en Atlantique, pourraient difficilement combler un retrait étasunien du Pacifique. Perdre une partie du réseau de flotteurs serait d’autant plus dommageable que, avant le séisme Trump, l’ambition était au contraire d’augmenter le nombre et la performance des flotteurs, pour répondre aux interrogations des océanographes et des climatologues.

« On préfère ne pas penser au scénario du pire, dit Claire Gourcuff. Pour l’instant, on n’a pas trop de retours de nos collègues américains. Nous en saurons sans doute plus lors de la réunion scientifique annuelle d’Argo qui se tiendra à San Diego, en Californie, en avril. En attendant, tout fonctionne toujours très bien pour Argo. »

La menace des destructions numériques

Les craintes des chercheurs ne concernent pas seulement les nombreuses collaborations autour de l’observation de la Terre. L’étage supérieur, celui des simulations climatiques, est également touché. La construction de modèles dépend de l’accès aux données climatiques.

Les climatologues redoutent que les serveurs où celles-ci sont stockées soient victimes « d’autodafés numériques », de suppressions radicales similaires à celles orchestrées par l’administration Trump dans le domaine de la santé.

« La communauté internationale est en train de se préparer à une éventuelle fermeture des serveurs aux États-Unis. La volonté des collègues américains de répliquer la quasi-totalité des données vers le Royaume-Uni ou Paris démontre qu’il y a une vraie crainte que ces données soient perdues », pointe Roland Séférian, modélisateur du climat au Centre national de recherches météorologiques (CNRM).

Manifestation «  Debout pour les sciences  » à Paris, en solidarité avec les scientifiques étasuniens, le 7 mars 2025. © Hervé Chatel / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Comme pour les observations, la logique de collaborations internationales est à la fois source de vulnérabilité aux soubresauts étasuniens et source de résilience, car tout ne dépend pas de ce qui se passe outre-Atlantique.

« Pour produire les nombreux modèles climatiques figurant dans les synthèses du Giec, il y a quatre groupes de modélisateurs aux États-Unis, sept en Europe, trois en Chine et de nombreux autres ailleurs dans le monde. Les États-Unis sont leaders, avec de très gros moyens de calcul. L’évolution en cours est bien évidemment dramatique, mais si un ou plusieurs groupes américains étaient empêchés, la production de modèles ne s’effondrerait pas non plus », tempère Roland Séférian.

Observations, échanges et sauvegardes des données, modélisations… L’omniprésence des États-Unis en climatologie leur confère logiquement une place de choix au sein du Giec. À titre d’exemple, sur les 842 auteurs du 6e rapport du Giec (excepté la synthèse finale), publié en 2021 et 2022, 91 travaillaient aux États-Unis, soit plus de 10 %.

Il s’agit, en outre, souvent de scientifiques expérimentés et jouant un rôle important dans le difficile travail de synthèse et d’écriture des rapports du Giec. À l’instar de Katherine Calvin, scientifique en chef à la Nasa et coprésidente du groupe de travail 3 du Giec depuis 2023, licenciée par Donald Trump et empêchée, ainsi que toute son équipe, de se rendre à une réunion de travail du Giec à Hangzhou, en Chine, en février dernier.

Combler les trous… jusqu’à quand ?

Comme souvent, depuis des mois, l’incertitude règne. « Il n’y avait aucun délégué des États-Unis à Hangzhou, mais nous n’avons eu aucune explication officielle. Nous n’avons aucune information suggérant un retrait des États-Unis du Giec », dit Robert Vautard.

Sur le moment, l’absence de l’équipe support étasunienne, qui devait organiser le travail du groupe 3, a été compensée par la solidarité des autres équipes. Pour la suite, les États-Unis permettront-ils à leurs chercheurs de contribuer aux prochains travaux du Giec ?

« Ma crainte est que, si aucun auteur du rapport n’a été validé par les États-Unis, cela leur serve d’argument pour contester la validité de son contenu, voire pour amoindrir la portée du consensus scientifique », dit Roland Séférian.

À défaut de savoir de quoi l’avenir sera fait, chacun continue autant que possible son travail de recherche. Et en appelle au sursaut international. « Nous sommes nombreux à être passés par les États-Unis pour nous former. Plein de collègues vont être au chômage là-bas et pourraient contribuer à la recherche en Europe ou en Asie, mais il faudrait le budget pour cela », plaide sans trop y croire Davide Faranda.

D’autant que l’Europe, avec le programme satellitaire Copernicus qui fournit de précieuses données climatiques, pourrait prendre une part de leadership en cas de réorientation massive de la Nasa en dehors des sciences du climat.

« Je ne suis pas sûr que l’Europe, seule, pourrait combler les trous. Et puis, on ne remplace pas des bateaux qui placent des flotteurs dans l’océan ou des stations de mesures atmosphériques facilement, cela prend du temps », dit Davide Faranda.

La NOAA pourrait prochainement licencier plus de 1 000 autres salariés, annonçait le 21 mars le site d’information Axios, après une première vague quasi similaire en février. Face à un gouvernement étasunien autoritariste et qui s’émancipe de plus en plus du cadre budgétaire supposément défini par le Congrès, le chaos pour la climatologie ne fait sans doute que commencer.

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