Taxer les ultrariches, réduire la pollution : loin d’être un fardeau, l’écologie pourrait devenir une source d’économies et de recettes pour l’État. Alors que le gouvernement la néglige, Reporterre a imaginé un autre scénario.
Et si on arrêtait de faire comme si l’écologie était un gouffre à milliards ? En dévoilant ses grandes lignes budgétaires pour 2026, François Bayrou a décrété mardi 15 juillet une année blanche pour la transition écologique. Gel des dépenses, coupes dans les agences publiques, priorité donnée à la production et à l’armée : le signal est clair. Alors que les vagues de chaleur s’enchaînent et que les alertes s’accumulent sur le retard de la France en matière climatique, le gouvernement choisit de ralentir.
Pourtant, toutes les analyses le montrent : différer l’action écologique, c’est alourdir la facture. Le coût de l’inaction dépasse de loin celui de la transition, affirme — entre autres — le Haut Conseil pour le climat. Il est là, « le moment de vérité » de notre siècle. Et si l’écologie demande des moyens, elle peut aussi en rapporter. À rebours du discours gouvernemental, Reporterre esquisse un contre-budget pour faire rentrer — ou économiser — les milliards.
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Agriculture : bannir les pesticides, ça rapporte
Le coût réel de l’usage massif des pesticides est vertigineux. Selon une estimation publiée en 2022 dans la revue Frontiers in Sustainable Food Systems, il pourrait s’élever jusqu’à 8 milliards d’euros par an en France, en incluant les frais de santé, les conséquences environnementales, les subventions et les coûts de régulation. Et encore, cette évaluation reste prudente : de nombreux effets sur la santé publique et la biodiversité n’ont pas pu être intégrés, faute de données disponibles.
Or, loin de freiner l’usage des pesticides, le gouvernement vient de faire, à nouveau, machine arrière. La loi Duplomb, adoptée en juillet, autorise, via une dérogation large et sans limite temporelle, le retour de certains néonicotinoïdes.
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Pendant que l’État recule, la facture, elle, grimpe. Le coût de potabilisation de l’eau lié à l’agriculture et à l’élevage — nitrates, pesticides — était estimé à 54 milliards d’euros par an, dans un rapport de 2017 de Générations futures.
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L’air pollué, ça coûte
Alors que les zones à faibles émissions ont été enterrées en mai, la pollution de l’air est, selon une estimation de Santé publique France parue début 2025, responsable de dizaines de milliers de maladies chroniques chaque année — asthme, AVC, diabète, cancers — pour un coût global de 16,5 milliards d’euros par an. Rien que pour l’asthme infantile, les coûts atteignent 7 milliards d’euros, dont plus de 4 milliards dus aux particules fines.
Pour l’établissement public, respecter les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé en matière de qualité de l’air permettrait d’éviter près de 75 % des maladies liées aux particules fines, soit une économie potentielle de 9,6 milliards d’euros par an. Agir sur le trafic routier, les chaudières au fioul, l’agriculture et l’industrie est donc autant une mesure de santé publique qu’un geste pour les finances de la Sécurité sociale.
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Fiscalité climatique : faire contribuer les plus polluants… et les plus riches
La fiscalité continue de peser largement sur les classes moyennes et populaires. Pourtant, d’autres leviers, plus équitables, existent. Selon un rapport publié par Oxfam en mars 2025, neuf mesures de fiscalité climatique pourraient générer jusqu’à 104 milliards d’euros par an pour financer la transition.
Parmi elles figurent une taxation renforcée des dividendes versés par les entreprises non alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris (48,5 milliards d’euros estimés), une taxe verte sur les transactions financières (30 milliards d’euros), un impôt sur les sociétés « climaticides » (4 milliards d’euros), ou encore une surtaxe sur les héritages à forte intensité carbone, comprenant par exemple actions dans des entreprises pétrolières et voitures de luxe thermiques. L’ONG propose également un ISF climatique, indexé sur l’empreinte carbone du patrimoine financier, qui pourrait rapporter 15,6 milliards d’euros par an.
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Autre piste débattue ces derniers mois : la « taxe Zucman », du nom de l’économiste Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité. Cette mesure, défendue par une large partie de la gauche et de nombreuses associations — mais ignorée par François Bayrou — vise à imposer à hauteur de 2 % le patrimoine des 0,01 % les plus riches, soit les 1 800 foyers détenant plus de 100 millions d’euros d’actifs. Gain estimé : entre 15 et 25 milliards d’euros par an, selon les calculs de Gabriel Zucman, soit quatre fois plus que ce que rapportait l’ancien ISF, supprimé en 2018.
L’objectif ? Corriger une injustice fiscale flagrante : selon l’Institut des politiques publiques, les ultrariches paient aujourd’hui proportionnellement moins d’impôts que la moyenne des Français. Et leur patrimoine, principalement composé d’actions et de biens professionnels, échappe en grande partie à l’impôt sur le revenu. Dans un pays où les 1 % les plus riches émettent en moyenne dix fois plus de CO2 par personne que la moitié la plus pauvre, il s’agit aussi de faire financer la transition par celles et ceux qui en sont les principaux responsables.
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Sol et béton : taxer l’artificialisation
Alors que la France s’est engagée à atteindre le « zéro artificialisation nette » d’ici 2050, l’actuelle fiscalité continue de favoriser la bétonisation. La taxation des plus-values foncières, la taxe d’aménagement et la cotisation foncière des entreprises incitent à construire sur des terres vierges plutôt qu’à réhabiliter l’existant.
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Selon le WWF, une réforme cohérente de ces dispositifs — revoir les incitations fiscales à l’implantation commerciale en périphérie, modifier la fiscalité des plus-values immobilières pour inciter à réutiliser le bâti existant — permettrait de récupérer entre 2 et 5 milliards d’euros par an, tout en freinant l’étalement urbain. À condition d’associer ce rééquilibrage à un soutien fort aux collectivités qui désartificialisent, aujourd’hui dépourvues de moyens pour le faire.
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Transports : en finir avec les privilèges fiscaux des plus polluants
Le secteur aérien concentre une série d’avantages fiscaux difficilement justifiables en pleine urgence climatique : kérosène détaxé, TVA nulle sur les vols internationaux, dont les compagnies low cost tirent massivement profit. Pourtant, il s’agit d’un mode de transport profondément inégalitaire. Selon le Réseau Action Climat (RAC), les passagers sont majoritairement jeunes, urbains et aisés, et 75 % des émissions liées à l’aviation proviennent de voyages de loisir.
Parmi les propositions évaluées par le RAC, la « taxe grands voyageurs » coche toutes les cases : efficace pour réduire les émissions, génératrice de recettes et socialement juste. Ce dispositif — l’inverse des programmes de fidélité — ferait payer davantage les passagers les plus réguliers. Résultat : 13,1 % d’émissions en moins dans le secteur, 2,5 milliards d’euros de recettes par an et une contribution concentrée sur les voyageurs les plus fréquents.
Autre mesure efficace : le relèvement de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, dite « taxe Chirac », assortie d’un barème spécifique pour les jets privés en location. Une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, qui réduirait les émissions de 8 % et rapporterait près de 4 milliards d’euros par an.
Côté route, le malus au poids appliqué aux voitures pourrait lui aussi être renforcé. Aujourd’hui, seuls les véhicules les plus lourds sont concernés. Le WWF propose d’abaisser le seuil de déclenchement à 1 300 kg, un poids que franchissent déjà 40 % des voitures neuves vendues en France.
En instaurant un barème progressif jusqu’à 150 euros par kilo au-delà de 1 700 kg, la mesure permettrait de décourager l’achat des SUV les plus massifs et de rapporter jusqu’à 2 milliards d’euros par an. De quoi financer un bonus écologique plus généreux, mieux ciblé sur les véhicules sobres et accessibles aux ménages modestes. Le WWF préconise des exonérations ou des plafonnements pour les véhicules destinés aux familles nombreuses.
Ce contre-budget n’est qu’un début. Si vous avez d’autres pistes, idées ou propositions concrètes, vous pouvez nous les envoyer à planete@reporterre.net : nous les publierons peut-être dans notre infolettre !