Incendies et communautés autochtones au Canada REPORTERRE

Le Canada affronte l’une des pires saisons d’incendies de son histoire. Sans matériel de défense, ni pompiers à disposition, les communautés autochtones sont les plus vulnérables, assure l’anthropologue Robert-Falcon Ouellette.

Une année noire en chasse une autre. Comme en 2023 et en 2024, des mégafeux consument à toute allure les forêts canadiennes. Six millions d’hectares, soit deux fois la superficie de la Belgique, ont déjà été réduits en cendres.

En première ligne, les communautés autochtones sont « touchées de manière disproportionnée », a déclaré le 18 juillet Mandy Gull-Masty la ministre chargée des Services aux autochtones, qui affirme que les membres des Premières Nations sont 18 fois plus susceptibles de devoir évacuer leur logement que le reste des Canadiens. Depuis le début du printemps, 39 000 de leurs membres ont été évacués pour échapper aux flammes.

La colonisation des Amériques et son héritage politique ont participé à fabriquer la vulnérabilité des autochtones face aux incendies, comme aux autres catastrophes climatiques. Leurs déplacements forcés sur des terres isolées et mal desservies ont précipité des crises, à l’image des inondations au Manitoba au printemps 2011 ou encore du déplorable accès à l’eau potable dans le nord de l’Ontario.

Aujourd’hui encore, beaucoup ne bénéficient pas d’infrastructures et de services équivalents à ceux de la population non-autochtone. Ancien député (Parti libéral), désormais professeur agrégé à l’université d’Ottawa, Robert-Falcon Ouellette déplore que les membres des Premières Nations soient « traités comme des citoyens de seconde zone » par le gouvernement fédéral. L’anthropologue est lui-même originaire de la nation Red Pheasant, du peuple Cri.


Reporterre — Les communautés autochtones sont-elles plus vulnérables aux mégafeux que le reste de la population canadienne ?

Robert-Falcon Ouellette — Oui, je le crois. Les Premières Nations sont traitées comme des citoyens de seconde zone et cela a des répercussions immédiates sur le matériel dont elles disposent pour affronter les feux de forêt.

En février 2017, je suis parti à la rencontre des communautés autochtones des provinces de la Saskatchewan et du Manitoba. L’une d’elles avait la chance d’être parvenue à dégoter un camion de pompiers. Seulement, aucun habitant n’avait été formé et il n’existait aucune remise pour stocker l’engin.

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Au Canada, les températures tombent parfois à -30 °C. Ce n’est pas comme en France. Sans bâtisse chauffée, la tuyauterie d’un camion de pompiers éclate sous la pression de l’eau gelée. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé… En un hiver, cet équipement relativement neuf est devenu inutilisable.

Voilà un exemple parmi tant d’autres. Plus récemment encore, en juin, un grand feu de forêt a menacé la communauté de Pukatawagan. Les flammes se sont approchées à moins de 300 mètres de l’aéroport, seul véritable accès pour entrer et sortir de cette péninsule.

Seulement, les aéroports dans les communautés autochtones ne sont pas aux normes internationales. Ils sont si désuets que leur utilisation n’est possible qu’en conditions optimales. Résultat : l’armée canadienne a été incapable d’atterrir sur la piste pour évacuer les 3 000 habitants. Un hélicoptère a été utilisé, mais ne pouvait embarquer que sept personnes à la fois. C’était la panique là-bas, un désastre total. Je crois qu’on peut dire qu’un drame a été frôlé.

Et cette situation ne date pas d’hier.

Loin de là. En 2016, alors que j’étais député, j’ai interrogé une ministre — de mon bord politique — sur le nombre de personnes décédées dans les communautés autochtones à cause des incendies. Elle s’est contentée de me dire qu’elle ne savait pas. Rien de plus.

Alors j’ai décidé d’adresser une question au gouvernement fédéral. Une pratique quasiment inédite, puisque cet outil parlementaire n’est habituellement utilisé que par l’opposition. L’objectif était d’obtenir une réponse publique à ma question, et non une simple conversation à huis clos.

« La majorité des communautés n’a pas accès à un service de lutte contre les incendies efficace »

Mais celle-ci a été glaçante : le gouvernement a confirmé qu’il ne savait ni combien d’incendies avait frappé les réserves, ni combien de personnes avaient été blessées ou avaient perdu la vie. Pourquoi ? Parce que la personne du ministère chargée de collecter les données avait pris sa retraite. J’ai halluciné.

Le ministère a toutefois promis de mettre en place un commissaire autochtone des incendies, chargé d’assurer un soutien technique et de coordonner l’action des pompiers volontaires et bénévoles. Pourtant, en dépit des promesses, la majorité des communautés n’a toujours pas accès à un service de lutte contre les incendies efficace.

Dirigé par des autochtones, le brûlage culturel consiste — au-delà de son aspect spirituel — à créer une mosaïque intentionnelle de prairies et de forêts, en mettant feu à la végétation, lentement et à température contrôlée. Ces savoirs ancestraux sont-ils pris en considération par les autorités ?

Pas vraiment. Le pouvoir fédéral ne s’est jamais véritablement engagé à reconnaître le rôle sacré du feu dans nos modes de vie. Traditionnellement, nous, autochtones, allumons des feux pour éliminer les arbres vieillissants ou malades. Ceux en bonne santé ne meurent pas, et ainsi, nous aidons la forêt à se renouveler. Nous avons une compréhension fine des cycles de la terre. Seulement, que se passe-t-il quand l’administration refuse d’intégrer ces savoirs à la réponse climatique ? On obtient ce que nous vivons depuis trois ans : des mégafeux destructeurs.

« Il est temps que le gouvernement prenne notre sécurité au sérieux »

Or, ceux-ci font peser une menace terrible sur les Premières Nations. Ne serait-ce que sur la sécurité alimentaire. Les chevreuils, les orignaux et les wapitis meurent en masse. Qu’est-ce qu’il nous reste à manger ? Dans ces communautés, il n’y a pas de supermarché. Et s’il y en a un, les produits coûtent extrêmement cher. Pour une famille, la seule façon de subvenir à ses besoins est d’aller chasser. Résultat : ces feux ont un coût social sur des années, le temps que la biodiversité réapparaisse.

La question du développement économique des Premières Nations est souvent abordée. Seulement, comment voulez-vous qu’une communauté prospère si elle vit constamment dans la peur de voir ses maisons et tous les êtres de la forêt qui l’entoure réduits en cendres ? Il est temps que le gouvernement prenne notre sécurité au sérieux.

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