Il y a 50 ans , le 1er Août 1975 l’opération  » Terres perdues  » des Comités d’action Viticoles en Languedoc

Texte de la thèse de l’universitaire Geneviéve Abbé , sur l’histoire des luttes viticoles en Languedoc :
 » À la liste comparant l’enchaînement des actions en Corse et en Languedoc, il me
semble intéressant de confronter l’opération « Terres perdues », qui s’est déroulée le 1er


août 1975 dans le Midi viticole, à l’« Isola morta » corse, qu’elle précède d’un mois. Le
sens de l’opération est donné par les Comités d’Action qui déclarent : « Puisque l’Europe
nous raye de la carte pour faire place au tourisme, nous allons nousmême nous rayer de
la carte »156. Encore une fois, l’Aude est le point le plus chaud de l’opération qui consiste
à enlever ou changer de sens les panneaux de signalisation routière pour que les
touristes ne trouvent plus leur chemin, au moment où commencent les congés du mois
d’août. Après une veillée d’armes où tous les panneaux ont été tordus ou arrachés dans
une sorte de frénésie où se mêlent colère et joie destructrice, la région est rayée de la
carte.
Sous la chaleur caniculaire du 1er août, des touristes anglais, hollandais, belges,
allemands et italiens, mais aussi français, errent sur des petites routes, en particulier
dans les Corbières, qui ne mènent plus nulle part. Un tract très court leur est distribué,
rédigé en français, anglais, allemand et italien :
« Madame, monsieur, les vignerons qui vous détournent de votre route sont
navrés de vous gêner ainsi. Ruinés par une arrivée massive de vins italiens
commercialisés à des prix très inférieurs au prix officiel communautaire, ils constatent
que lors de la réunion du 21 juillet 1975 à Bruxelles
Monsieur le ministre italien de l’Agriculture a prétendu continuer son
dumping.
2° Messieurs les ministres de Hollande et de RFA se sont refusés à l’application
par Bruxelles des contraintes financières et qualitatives.
Pour réclamation, adressezvous à votre Consulat par le canal de la
préfecture »157.
À travers cette action et par la voie de ce tract, la situation, telle qu’elle est vécue par les
viticulteurs, est clairement résumée et les responsables sont désignés. C’est d’abord
l’Italie (« le ministre italien de l’Agriculture a prétendu continuer son dumping ») qui ne
joue pas le jeu d’une concurrence loyale ; c’est aussi « Bruxelles », c’estàdire le Marché
commun européen où les négociations sont dominées par l’Allemagne et la Hollande
156 Revel (B.), Montredon, Les vendanges du désespoir, op. cit., p. 172.
157 Arch. dép. de l’Aude, 98 J 38 : CGVM, Syndicat des Vignerons CarcassonneLimoux.

( « Les ministres de Hollande et de RFA se sont refusés à l’application par Bruxelles des
contraintes financières et qualitatives »). C’est, enfin, le gouvernement français qui est
responsable de la gêne occasionnée aux touristes, en ne soutenant pas les
viticulteurs (« Pour réclamation, adressezvous à votre Consulat par le canal de la
préfecture »).
Le tract s’adresse avant tout à ces Européens, pour la plupart venus du Nord, qui
« déferlent » vers le Sud destiné à devenir « la cour de récréation de l’Europe »158.
Bretagne, Corse, Languedoc, les « périphéries » semblent se soulever contre le
centre, « minorités contre l’Empire » chante Claude Marti (Montségur, 1972). Le thème
du « colonisé de l’intérieur » qu’a théorisé l’occitaniste Robert Lafont159 est facilement
compris dans ces régions dont les trajectoires économiques présentent quelques
similitudes avec des modèles de type colonial » .

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