Aprés les incendies , paysans et chasseurs s’unissent dans les Corbières REPORTERRE

En août, un mégafeu a ravagé 17 000 hectares de garrigue dans les Corbières, près de Narbonne. Des paysans et des chasseurs ont décidé de s’unir pour repenser le territoire et tenter d’endiguer les futurs incendies.

Coustouge (Aude), reportage

« Ce n’est pas l’alliance la plus instinctive pour nous, mais cela s’est fait naturellement. » Au volant de son fourgon cahotant dans les collines escarpées près du village de Coustouge, dans l’Aude, Nicolas Mirouze, cofondateur du tiers-lieu paysan Beauregard, tente de suivre le 4×4 de Damien Couderc, président de l’association intercommunale de chasse.

Autour d’eux, les arbres calcinés et le sol noir témoignent encore du gigantesque incendie qui a ravagé 17 000 hectares en août. Le feu avait encerclé Coustouge en quelques minutes, ne laissant aucune chance aux pompiers de contenir les flammes qui ont dévoré plusieurs habitatio

Le collectif paysan Beauregard, groupe local de l’Atelier paysan, a lancé le programme « Refleurir les Corbières » pour semer durant l’automne des semences variées de fleurs et graminées. Jusqu’à fin novembre, chasseurs et paysans s’allient pour redonner vie à ces garrigues brûlées.

Damien, président de l’Association intercommunale de chasse agréée Saint-Victor a recu 1,7 tonne de semences de graminées et légumineuses de la Ferme St-Hubert, pour reverdir près de 25 hectares. © Antoine Berlioz / Reporterre

Des espaces abandonnés par l’agriculture

Les roues couvertes de glaise, le fourgon atteint enfin le sommet d’une petite colline, d’où s’étend un paysage désolé. « Les incendies ont mis à nu nos paysages, et on observe encore mieux la déprise agricole à l’œuvre ici, pointe Nicolas. Les friches viticoles sont nombreuses, et le feu s’est nourri de celles-ci pour se propager rapidement. Tout autour, on distingue aussi de nombreuses terrasses bâties en pierre sèche par nos ancêtres pour cultiver la terre. »

Avant le passage du feu, ces espaces abandonnés par l’agriculture étaient densément recouverts de pins d’Alep et de végétation broussailleuse — un véritable carburant qui a attisé les flammes et donné à l’incendie du 5 août une ampleur inédite.

« On a décidé de lancer des actions de régénération des sols, en semant là où c’est possible pour créer des couverts végétaux et tenter d’endiguer le cycle infernal du feu, puis de l’érosion et de l’aridification qui appellent le feu suivant. Nous allons semer des centaines d’hectares sur toutes les communes affectées par les cinq grands incendies de l’été », explique le vigneron, qui cultive 25 hectares de raisins en biodynamie.

Le tracteur du tiers-lieu Beauregard, antenne locale de l’Atelier paysan. © Antoine Berlioz / Reporterre

À quelques mètres du fourgon, le 4×4 de Damien Couderc est arrivé sans encombre au sommet de la colline malgré les chemins chaotiques. Le véhicule tire une remorque remplie de sacs de semences. « La Ferme Saint-Hubert, basée dans le Cher, a fait don d’1,7 tonne de semences à notre association, confirme l’instituteur. On a de l’avoine, du blé, des pois, du trèfle ou de la luzerne », détaille-t-il en soulevant un sac.

Planter pour mieux chasser

« Mon père, déjà chasseur, avait planté ses premiers champs en 1985. Depuis, on a poursuivi ce travail en cultivant d’autres parcelles sur les 4 000 hectares où l’on chasse. Cela permet au gibier de se nourrir, et donc à nous de chasser. Ces champs sont aussi de véritables pare-feu contre les incendies. Nous avons également aménagé de nombreux chemins forestiers, comme celui-ci — et tout cela, à nos frais. On pourrait faire plus si on en avait les moyens ».

L’association de chasse regroupe les villages de Coustouge, Jonquières et Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, tous touchés par le feu du 5 août. « On a perdu 99,5 % des terres sur lesquelles on chassait. On a bien évidemment décidé de suspendre la chasse après l’incendie : c’était logique. Je pense qu’on ne pourra pas reprendre avant trois ou quatre ans », souffle Damien Couderc. Il dit pratiquer avec son association une « chasse populaire, ouverte à toutes et tous, peu importe les revenus, et en lien avec la nature qui nous entoure ».

Dans la garrigue, Nicolas, paysan du tiers-lieu Beauregard, Damien, président de l’association de chasse Saint-Victor et Pédro, éleveur de brebis. © Antoine Berlioz / Reporterre

Pour Nicolas Mirouze, qui se revendique de « l’écologie radicale » avec son tiers-lieu paysan Beauregard, l’alliance avec les chasseurs s’est construite autour de problématiques communes.

« Comme nous, l’association de chasse est confrontée à la baisse de ses effectifs et au manque de moyens. C’était logique de s’entraider, surtout qu’on partage le constat de la nécessité de redonner vie aux Corbières en réinvestissant les friches agricoles et en couvrant les sols de légumineuses et d’autres plantes. Dès le départ, notre idée était de le faire avec tous les acteurs des Corbières : on souhaite tisser des liens, contacter les propriétaires, et construire ensemble un vrai projet de territoire. »

La garrigue calcinée fait apparaître des murets de pierre qui informent des pratiques agricoles d’autrefois dans les Corbières, aujourd’hui délaissées. Il servaient à créer des terrasses de cultures, permettaient l’infiltration de l’eau dans le sol ou sa rétention, et délimitaient des espaces de pâturages. © Antoine Berlioz / Reporterre

Retour du pâturage dans les Corbières

Un peu plus loin, sur un autre versant, Pedro Pinto, jeune éleveur de brebis dans les Corbières, est à pied d’œuvre pour déchaumer une parcelle avant de semer. « C’est un peu le symbole de cette alliance : le tracteur vient du tiers-lieu paysan, et l’outillage de l’association de chasse », sourit Nicolas Mirouze.
Le tiers-lieu Beauregard défend également un retour du pâturage dans les Corbières pour entretenir les sols et retenir les flammes.

Le vigneron détaillait cette vision à Reporterre quelques jours après l’incendie : « Grâce à l’élevage, on occupe le territoire d’une manière bien plus étendue qu’avec une monoculture de vigne. Les troupeaux régénèrent les sols épuisés par la viticulture intensive et débroussaillent les friches : ce sont de véritables pare-feux contre les incendies ».

Lire aussi : « L’agriculture pastorale extensive est le seul rempart pour reprendre la terre aux feux »

Quelques minutes plus tard, la crevaison d’un pneu avant du tracteur oblige la petite équipe à interrompre les travaux du jour à Coustouge. Après quelques coups de fil, Damien Couderc parvient à joindre un ami de l’association de chasse pour venir réparer le véhicule agricole. Un contretemps qui n’entame pas l’enthousiasme des trois hommes, qui promettent d’amplifier la solidarité et ces actions au moins jusqu’à fin novembre dans les Corbières.

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