A propos du tourisme en Occitanie , lettre ouverte à Carole Delga

Lettre ouverte à Carole Delga, présidente de la région Occitanie 

Copie à :

Virginie Rozière, présidente du comité régional du tourisme Occitanie.

Louis Villaret, président du Réseau des Grands Sites de France.

Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire.

Chère présidente,

Voilà près de deux ans que vous battez la campagne avec ce mot d’ordre, très simple : « L’objectif pour la région Occitanie est de faire partie du Top 10 des destinations touristiques européennes ». Ainsi, pour que la région ait l’insigne honneur de figurer aux côtés des îles Canaries ou de la Croatie au palmarès des paradis touristiques, vous avez lancé un fonds de 100 millions d’euros en partenariat avec la Banque européenne d’investissement pour financer des infrastructures et soutenir l’initiative privée. Surtout, vous menez une ambitieuse politique de marketing territorial fondée sur la labellisation de 40 « Grands Sites Occitanie » aux intitulés poétiques : « Carcassonne et les cités du vertige », « Collioure en côte Vermeille », « Bastides et Gorges de l’Aveyron »…

Quel est le but de ce label, officialisé par la signature d’un contrat entre la Région et les élus locaux ? En devenant Grands Sites Occitanie, ces endroits pittoresques seront accompagnés dans la « montée en gamme » de leur offre touristique. Ce qui leur permettra de servir – ce sont vos mots – de « véritables produits d’appel » pour partir à la « conquête de clientèles internationales », en particulier « les classes moyennes des économies émergentes qui constituent les gisements de touristes pour les quinze prochaines années »(1). En clair, il s’agit de passer d’un tourisme encore majoritairement régional à une destination internationale conçue pour les nouvelles bourgeoisies chinoises, indiennes ou brésiliennes.

Pour nous, habitants et habitantes d’Occitanie, cet objectif paraît quelque peu décalé. A l’heure où la crise climatique se précipite, le fait que l’économie régionale repose sur l’aéronautique et donc l’expansion du trafic aérien pose déjà problème. L’idée de la compléter par une politique touristique volontariste qui favorise encore l’hypermobilité et le trafic aérien témoigne d’une conception assez étriquée des sciences climatiques. Savez-vous que le tourisme, selon une étude récente de l’Université de Sydney, est responsable d’environ 8 % des émissions de CO2 dans le monde ? Ces dernières semaines, on a relevé dans la Région des températures approchant les 46 degrés. Pour la première fois de leur vie, des agriculteurs de l’Hérault, de l’Aude ou du Gard, ont vu leurs cultures se consumer sous les rayons du soleil. Est-il bien raisonnable de tabler sur des prévisions globales de 2 milliards de touristes internationaux à l’horizon 2030 ? L’extrême vulnérabilité de l’économie touristique aux aléas climatiques n’impose-t-elle pas, à elle seule, de reconsidérer ce genre d’investissements ? Demandons-nous plutôt comment on pourra cultiver la terre en Occitanie en 2030, et s’il y aura assez d’eau potable.

Certes, ce projet met l’accent sur le développement d’un tourisme « durable », « responsable », voire d’un « slow tourisme ». Mais cela nous semble plus correspondre à une logique de positionnement marchand par rapport aux segments de clientèle visés qu’à une réelle prise en compte de ces enjeux. L’idée de base reste d’inciter les gens à parcourir 8000 kilomètres en avion pour leur refiler une balade en vélo sur le canal du Midi.

Autre problème : il se trouve que les lieux dont le label Grand Site Occitanie actent la mise en tourisme, ce sont nos lieux de vie. Ce sont des coins paumés ou des quartiers populaires où l’on a encore le droit d’habiter au milieu des vieilles pierres, près de la nature, sans être pris à la gorge par des loyers exorbitants. Ce sont ces endroits, de l’Aveyron à l’Ariège, où, parce qu’on y échappe un peu plus qu’ailleurs à l’exploitation économique, il reste possible d’innover. Entendons-nous : non pas pour développer des objets connectés et des algorithmes, des drones et des robots, autre spécialité régionale. Non : nous parlons d’un genre d’innovation proprement « disruptif », au sens où il implique réellement une rupture avec le modèle économique et productif dominant. Comme dans d’autres localités semblables, c’est bien dans ces arrière-pays que depuis quelques décennies se réinventent l’agriculture paysanne, l’habitat écologique, l’artisanat ; des formes de vie collectives, des habitudes d’entraide et de partage ; et une création artistique riche, quoique faite par des pauvres.

Que se passe-t-il, quand on met, au milieu de tout ça, un écriteau traduit en toutes langues disant « destination touristique internationale incontournable », répercuté sur les plateformes de l’économie-monde ? On l’a vu avec les premiers « Grands Sites Midi-Pyrénées », qui ont commencé à luberoniser nos campagnes : les prix de l’immobilier flambent, la location saisonnière détruit l’offre locative à l’année, les inégalités sociales se creusent, les fermes se transforment en résidences secondaires. La mono-industrie touristique concurrence ou décourage d’autres activités moins rentables, mais infiniment plus valables du point de vue de l’intérêt général. Et bien sûr, entre les marchands de glace et les stands de tongs, il ne reste plus grand-chose de l’esprit des lieux.

Petit rappel : au niveau national, les premières Opérations Grand Site ont été créées à la fin des années 1970, justement pour tenter de sauver des sites ravagés par la surfréquentation. Parce qu’il « est absurde d’exploiter nos gisements touristiques comme on exploite une mine, en les vidant de leur substance », lit-on dans Le Monde en 1980, « on a dressé en 1978 une liste de 25 sites à la fois prestigieux et menacés »(2). Ainsi naît ce qui deviendra le label « Grand Site de France », dont le premier objectif est de préserver et restaurer des paysages fragiles et attractifs. C’est dire le cynisme de cette politique des « Grands Sites Occitanie », qui, eux, visent explicitement l’inverse : augmenter la fréquentation touristique en valorisant des « gisements » insuffisamment exploités.

Pour réaliser tout ceci, la Région s’est donné les moyens d’une « politique marketing offensive » : il s’agit, dans une ambition toute orwellienne, de « construire sa nouvelle identité pour devenir une référence tant pour les habitants que les clientèles françaises et internationales »(3). Nous voici, habitants, sommés d’incarner un concept de novlangue publicitaire : « l’Occitalité ».  Pourquoi Occitalité ? Parce que « l’Occitanie », apprend-on sur le site de la Région, « doit être la marque de destination qui incarne le mieux l’hospitalité »(4). Et la diversité de cette vaste région se retrouve centrifugée en une sous-culture occitane de cassoulet-canoë fondée sur « le sourire », « la convilialité », « l’hédonisme ». On trouvera difficilement meilleure illustration de ce que signifie marchandiser un territoire.

Chère Carole Delga, notre sourire ne sert pas à ça. Nous ne voulons pas être les têtes de gondoles d’une politique climaticide. En revanche, pour reprendre un mot d’ordre qui a résonné dans les rues de Barcelone ces dernières années, nous serions très heureux que l’hospitalité devienne la valeur-clé de notre région : investissons donc ces 100 millions d’euros pour améliorer l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, créons des commerces de proximité, des ateliers de réparation et de dépollution, des coopératives agricoles et artisanales, où les nouveaux arrivants pourront travailler aux côtés des habitants de la région pour construire une économie plus digne des enjeux de la décennie à venir.

 

(1)  « Appel à projets Grands Sites Occitanie », p. 7 ; « Cap sur l’innovation touristique : Schéma régional de développement du tourisme et des loisirs de la région Occitanie. », p. 26.

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