Economica sur Esprit Occitanie par le Professeur Maxime Maury

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«  Comment sortir de la société de la défiance ?»

Dans son éditorial du 22 avril, Pascal Perrineau, président de « sciences po alumni », nous indique que la confiance des Français dans leur gouvernement pour résoudre la crise sanitaire est infiniment moins forte qu’en Allemagne et qu’en Grande-Bretagne. Et d’ailleurs, l’Allemagne fait beaucoup mieux que la France dans la maîtrise des résultats sanitaires comme dans celle de ses finances publiques.
Soupçon et défiance d’un côté, sérénité et confiance de l’autre ! Tel est son constat.
Les enquêtes d’opinion confirment en effet ce diagnostic : pour ne citer qu’un seul chiffre, 1/3 seulement des Français, selon l’IFOP, estime que le gouvernement a eu une communication claire sur la crise sanitaire.
Il est vrai que l’absence de matériels de protection, les contradictions incessantes d’une parole publique surabondante et abîmée par le bavardage incessant des médias, ont brouillé la confiance. Jusqu’à voir le président de la République désavouer lui-même sa propre parole plusieurs fois de suite, et à quelques jours d’intervalle, comme sur le déconfinement des « personnes âgées ». En se trouvant contredit par ce « Conseil scientifique » qu’il a lui-même créé et qui devrait être astreint à une certaine obligation de réserve sur les décisions présidentielles. Désordre !
Et pourtant la « société de la défiance » est beaucoup plus ancienne malheureusement que la crise sanitaire. Pascal Perrineau nous rappelle en effet qu’il y a déjà 12 ans, deux chercheurs en économie, Yann Algan et Pierre Cahuc, démontraient dans un livre intitulé : « La société de la défiance » qu’en matière économique, enquêtes à l’appui, la France battait le record du monde de la défiance. Cela nous coûte beaucoup en termes de développement.
Pourquoi ? Et surtout pourquoi le problème est-il récurent ? Et quels sont ses rapports avec les modes de gouvernement qui génèrent la défiance ?
Déjà en 1973, Alain Peyrefitte posait le diagnostic dans un ouvrage resté célèbre :
le « Mal Français ».
La France a l’Etat le plus centralisé du monde. Entourée de pays dont la structure est fédérale de droit ( Allemagne) ou de fait ( Espagne, Italie), la France est le seul pays d’Europe où la nation se soit constituée historiquement autour de l’Etat. Et même postérieurement à l’Etat (celui des Capétiens et des Jacobins). Partout ailleurs, l’Etat est venu fédérer une nation préexistante comme en Allemagne ou en Italie, où les cités-marchande et les duchés parlaient déjà la même langue et disposaient d’une large autonomie avant l’avènement d’un État fédératif.
Ainsi la France est-elle le seul pays au monde à se représenter la société verticalement, de haut en bas : le « haut » et le « bas »; « redescendre » et « remonter » sont ainsi devenues des expressions quotidiennes et implacables de la langue française, inusitées dans toutes les autres langues.
En France, on conquiert le pouvoir pour le monopoliser et le confisquer. Alors qu’il faudrait le déléguer et le donner largement à la société pour créer de l’énergie, de l’adhésion, de l’efficacité et de l’intelligence collectives.
L’infantilisation des citoyens et la neutralisation de la société crée en France une relation névrotique « d’amour-haine » avec l’Etat, dont la crise des « gilets jaunes » a été une illustration tout comme l’est aujourd’hui la défiance actuelle sur la crise sanitaire.
En 1968, le général de Gaulle avait compris ce « mal français »; il voulait engager le pays dans deux réformes d’envergure pour nous en débarrasser :
  • une profonde décentralisation territoriale ;
  • la participation des salariés.
A peine esquissées, ces réformes n’ont jamais été conduites jusqu’au bout. Le problème est d’abord culturel : la culture étatique à la française l’en empêche.
Depuis 2016, nous disposons de régions de dimensions européennes, mais infiniment moins puissantes que leurs homologues étrangères. Le budget de la région Occitanie est dix fois inférieur à celui de la Catalogne et l’ensemble des régions françaises aligne une puissance financière à peine équivalente à la plus riche des régions allemandes.
Dans un pays dont les finances publiques sont ruinées, il ne s’agit évidemment pas de créer des budgets ou des impôts supplémentaires.
L’Etat devrait avoir la sagesse d’une grande réforme de décentralisation pour partager avec les collectivités territoriales sa propre fiscalité en vue de leur déléguer l’ensemble des fonctions d’accompagnement économiques et sociales. Et en se recentrant lui-même sur le régalien.
Cela supposerait de revoir un « mille-feuilles » territorial unique au monde, de le simplifier, de le clarifier et de miser sur la proximité.
Les Français aiment leurs Maires et se méfient d’autant plus que l’on « remonte » vers l’Etat.
Sur l’autre versant qui alimente la défiance , l’entreprise, il faudrait associer davantage les salariés aux résultats par l’intéressement et la participation. Limiter définitivement les dividendes comme cela commence à être le cas depuis la pandémie, mais aussi partager le capital sous forme de distribution d’actions avec une représentation systématique des salariés dans les organes dirigeants.
Dans le fond, il faudrait pouvoir traduire en français les deux mots anglais « empowerment » et « acountability » qui signifient :
  • donner du pouvoir ,
  • responsabiliser.
Car le roi est nu désormais. Et son immense dette menace ruines.
La réussite du déconfinement, indispensable à la survie économique d’un pays qui a perdu la moitié de son activité (cf le PIB marchand réduit de moitié), et le civisme qui est la condition de sa réussite sont l’occasion d’associer largement les citoyens au lieu de les traiter comme des enfants.

Dr Maxime MAURY Professeur affilié à Toulouse Business School

Ancien directeur régional Occitanie de la Banque de France
06 86 11 09 17

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