La chronique de Michel Feltin-Palas :  » Aux sources du mépris des langues régionales « 

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                              Aux sources du mépris des langues régionales
Le sort détestable réservé en France aux langues minoritaires s’explique en partie par le « racisme anti-Sud » dévéloppé par de grands écrivains français à l’encontre des Méridionaux.
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N’espérez pas applaudir un jour cette pièce à la Comédie-Française ni même dans les « théââââtres de gôôche » de la capitale. N’imaginez pas non plus la voir enseignée dans les écoles de la République. Trop dérangeante. Trop contraire au roman national. La Légende noire du soldat O (1) est pourtant une oeuvre admirable, originale et puissante. Son seul « défaut » ? Revenir sur un épisode aussi réel que fâcheux de la Première Guerre mondiale, épisode qui ne cadre pas vraiment avec les valeurs d’égalité et de fraternité censées guider nos Républiques.
Nous sommes en 1914. Après l’échec de ses premières offensives, l’état-major est vivement contesté. C’est alors que l’idée surgit : pourquoi ne pas faire porter le chapeau aux Provençaux du 15e corps d’armée, composé d’hommes venus de Marseille, de Toulon et de Nice ? Ces braves soldats n’y sont pour rien, se sont battus autant que les autres, sont morts par milliers, mais ces gens du Midi ont une réputation détestable et présentent tous les dehors du bouc émissaire idéal. Très opportunément, un article paraît bientôt dans Le Matin, un journal tenu par un sénateur ami des gradés, Auguste Gervais. On y lit ceci : « Surprises sans doute par les effets terrifiants de la bataille, les troupes de l’aimable Provence ont été prises d’un subit affolement. L’aveu public de leur impardonnable faiblesse s’ajoutera à la rigueur des châtiments militaires. » Les poilus de « l’aimable Provence » vont en subir les conséquences : brimades, humiliations, refus de soins aux blessés et même exécutions pour l’exemple.
Tragique, cet épisode méconnu méritait sans aucun doute d’être rappelé à la mémoire collective. Mais La Légende noire du soldat O est plus intéressante encore dans la mesure où elle met l’accent sur l’une des raisons qui ont rendu possible une telle injustice. Une raison que résume en une phrase André Neyton, l’auteur de la pièce : « Certains de nos grands auteurs et une partie de l’élite intellectuelle française ont contribué, par leurs écrits tout au long du XIXe et du XXe siècle, à entretenir une image dévalorisante des « Méridionaux », légitimant par leur notoriété un racisme qui n’osait pas dire son nom. »
Oh bien sûr, certains dénonceront ici un acte militant. André Neyton n’est-il pas aussi, n’est-il pas surtout, le créateur de l’étonnant théâtre de la Méditerranée qui, à Toulon, diffuse depuis des décennies des oeuvres qui mettent à l’honneur l’occitan ? Ce serait cependant aller vite en besogne car l’homme a de sérieux arguments à faire valoir, comme le montrent les travaux des historiens sur lesquels il s’est appuyé. Et comme le montrent surtout ces citations qu’il a rassemblées et qui ne sont, hélas, qu’une infime partie de cet antiméridionalisme qui fut en vogue à cette époque.
– « Approchez des pays du Midi, vous croirez vous éloigner de la morale même : des passions plus vives multiplieront les crimes. » (Charles de Montesquieu, 1689-1755)
– « Le sud enfin aurait bien besoin d’un tyran qui ferait faire des routes et obligerait les gens à mieux se tenir, à ressembler un peu plus à des êtres humains. » (Stendhal, 1783-1842)
– « Les Méridionaux sont sans scrupules, prêts à conquérir par tous les moyens la richesse et les honneurs. » (Honoré de Balzac, 1799-1850)
– « La nature et le climat sont complices de toutes les choses monstrueuses que font ces hommes. Quand le soleil du Midi frappe sur une idée violente contenue dans des têtes faibles, il en fait sortir des crimes. » (Victor Hugo, 1802-1885)
– « Le pays qu’on parcourt est admirable, mais les gens y sont bêtes à outrance. » (Prosper Mérimée, 1803-1870)
– « Ces frivoles Méridionaux sont la cause vivante de l’avilissement des consciences, de l’abaissement moral et politique de la France. » (Maurice Barrès, 1862-1923)
– « Si le Juif veut de l’argent, le Méridional veut des places, et tous deux d’ailleurs se tendent volontiers la main, s’entraidant comme larrons en foire. » (Gaston Méry, 1866-1909) (2)
– Le Midi est, en effet, le point de France où abondent à la fois les juifs et les protestants. La franc-maçonnerie eut donc là un terrain parfait. » (Charles Maurras, 1868-1952)
– « La Méridionale peuplée de bâtards méditerranéens, dégénérés, de nervis, félibres gâteux, parasites arabiques, rien que pourriture, fainéantise, infects métissages négrifiés. » (Louis-Ferdinand Céline, 1894-1961)
Il y en a ainsi des pages et des pages, aussi vertigineuses qu’abjectes. Doit-on préciser que, pour la plupart d’entre eux, leurs auteurs sont nés et/ou ont vécu au nord de la Loire ? Doit-on souligner que les quelques exceptions à la règle ont été victimes d’un phénomène appelé « honte de soi », qui consiste pour des individus ou des peuples dominés à singer le comportement des dominants dans l’espoir d’obtenir leur reconnaissance ? Doit-on rappeler que « le mot « racisme » est né en 1892, dans un texte qui proteste contre la submersion des Français du Nord de souche gauloise par ceux du Sud de souche latine », comme le souligne l’historien Nicolas Lebourg ? (3)
On dira que j’exagère, que je m’emporte, que je me laisse gagner par mon amour pour la diversité de ce pays. On n’aura peut-être pas tout à fait tort. Je répondrai cependant en posant une seule question. Relisez les citations ci-dessus, remplacez le mot « Méridionaux » par « Juifs », « femmes » ou « homosexuels », et interrogez-vous avec honnêteté. N’est-il pas légitime d’y voir un racisme anti-Sud répondant aux mêmes ressorts que l’antisémitisme, le machisme et l’homophobie ? Certes, celui-ci s’est depuis atténué, mais il en reste des traces : le mépris dont font l’objet encore aujourd’hui les « patois » et les accents méridionaux en sont deux des manifestations. Car il est une règle que les sociolinguistes connaissent bien : mépriser certaines langues, c’est, souvent, mépriser ceux qui les parlent.
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L’idée dérange, mais c’est un fait : historiquement, la France s’est construite sur la domination d’une culture sur d’autres cultures, notamment la culture d’oc. Et l’on aimerait être sûr que, depuis, Paris s’est départi de sa condescendance séculaire vis-à-vis « du Midi ».
On aimerait.            Michel Feltin-Palas .
(1) La Légende noire du soldat O, par André Neyton, centre dramatique occitan.
(2) Essayiste, pamphlétaire et journaliste français
(3) Le Monde, daté 31 octobre-2 novembre 2021.

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