Michel Feltin-Palas mfeltin-palas@lexpress.fr |
Peut-on empêcher une langue de disparaître ?
Oui, répond François Bayrou, qui inaugure dans sa ville de Pau ce 1er juillet un projet unique en France autour de la langue et de la culture béarnaises : La Ciutat.
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Inédit. Original. Inouï. Choisissez l’adjectif que vous voulez, mais c’est bien un projet unique en France qui va voir le jour à Pau ce 1er juillet. Oh, je sais bien ce que vous allez dire : que ma fibre béarnaise me fait une nouvelle fois perdre tout sens de la mesure et de la hiérarchie de l’information. L’accusation est compréhensible, mais, tout bien examiné, je persiste et je signe : dans la bonne ville d’Henri IV, c’est bel et bien l’initiative la plus ambitieuse jamais menée dans le pays pour valoriser une langue et une culture régionales que s’apprête à inaugurer son maire, François Bayrou : la bien nommée Ciutat (« Cité », en gascon).
Jugez plutôt… La Ciutat est un « quartier créatif » tout à fait étonnant, centré autour de la langue et de la culture béarnaises. Et n’allez pas imaginer une ode poussiéreuse à la société du temps jadis, avec costumes traditionnels, charrues, bourrées et vielles à roue. Non, c’est un concept très moderne qui sera développé ici, selon une philosophie qui, finalement, ressemble assez bien au président du MoDem : puiser dans ses racines pour aller vers le contemporain. Bayrou n’est-il pas à la fois fils de paysan, béarnophone et agrégé de lettres classiques ? « Défendre ce que l’on est, ce n’est pas attaquer les autres, c’est aimer la diversité, explique-t-il à L’Express. Pourquoi faudrait-il que tout ressemble à tout ? ».
N’imaginez pas non plus un vague deux-pièces repeint à la va-vite, mais un ensemble de plusieurs immeubles regroupés autour de la place Recaborde, au centre-ville de Pau. Un lieu qui accueille une foultitude d’activités et d’acteurs illustrant cette vérité trop souvent oubliée : comme toute autre, la culture béarnaise dispose du potentiel nécessaire pour s’inscrire dans le présent, pour peu qu’on lui en donne les moyens. « Nous ne voulons surtout pas d’une approche folkloriste. Le but, c’est de sauver la langue », résume Vincenç Javaloyes, le directeur du projet de La Ciutat. Or, lesdits moyens sont au rendez-vous, qu’il s’agisse de cours de langue, évidemment, mais aussi de bibliothèques spécialisées ; de locaux dédiés à la recherche sur la langue et l’histoire béarnaises ; d’un centre d’interprétation du patrimoine culturel immatériel ; d’un studio de création musicale ; d’un café-librairie, sans oublier la présence d’une quarantaine d’associations…
Faute de pouvoir les décrire toutes, arrêtons-nous sur deux structures particulièrement innovantes, en commençant par Hum ! (1), le restaurant d’un tout nouveau genre conçu par David Ducassou. Ce chef, qui a longtemps oeuvré dans la bistronomie au côté de son compatriote Yves Camdeborde, y lance la « fastronomie ». Vous ne connaissez pas ce concept ? C’est normal : il sera inventé à La Ciutat. « Mon idée consiste à associer les avantages du fast-food – petits prix, service rapide, carte resserrée – aux plats traditionnels de la cuisine française. Hum ! proposera de la blanquette de veau, du navarin d’agneau, des pieds de cochon et naturellement les fondamentaux de la cuisine gasconne : le canard, l’agneau des Pyrénées, la volaille et même du sanglier. Le tout, bien sûr, à partir de produits locaux et bio. » Un lieu où la carte sera présentée en trois langues – béarnais, français et anglais – et où les clients pourront également… chanter, selon la tradition séculaire des cantères (2).
Un travail très original se prépare aussi dans le domaine musical et, là aussi, il s’agit de s’inspirer des musiques traditionnelles pour accoucher de créations contemporaines. Pour y parvenir, il était difficile de trouver mieux que la compagnie Hartbrut (3) laquelle, avec le groupe Familha Artùs, a développé cette approche pendant plus de vingt ans (voir rubrique « A REGARDER »). « Ici, nous pouvons accueillir aussi bien des joueurs de vielle à roue intéressés par la musique répétitive minimaliste qu’un guitariste électrique souhaitant composer un morceau à partir de la recette de la garbure » (4), indique Romain Baudoin, membre fondateur d’Hartbrut et conseiller artistique du centre de création musicale. Et, là non plus, nul enfermement. « Peu importe que les artistes accueillis à La Ciutat soient d’origine gasconne, provençale, alsacienne, tchèque ou sénégalaise, pourvu qu’ils partent de leur patrimoine d’origine et s’inscrivent dans une démarche de création », souligne Romain Baudoin.
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Tout cela suffira-t-il à sauver une langue aujourd’hui menacée de disparition ? Peut-être, car le terreau reste riche en Béarn, avec un nombre de locuteurs encore significatif, un réseau d’écoles immersives (les calendretas, dont le but est de former des élèves bilingues occitan-français) et des événements festifs attirant les foules (Hestiv’oc, Carnaval biarnès, La Passem, etc). Ce qui est certain, c’est que ce projet à la fois enraciné, innovant et ouvert, ancrera davantage cette culture dans le présent ; modifiera les représentations ; montrera que le béarnais (que certains préfèrent appeler gascon ou occitan), longtemps associé au passé et à la ruralité, peut être vecteur de création et prendre sa place dans la société contemporaine. Une leçon qui, bien sûr, vaut pour toutes les langues de France.
(1) Hum, qui signifie « fumée » en béarnais, évoque aussi une expression très populaire, à hum de calhau (littéralement « à fumée de caillou », autrement dit « en allant très vite »).
(2) Chants polyphoniques spontanés entonnés sans chef et sans partition lors des rassemblements collectifs.
(3) Hartbrut, qui fait bien sûr écho au français « art brut », renvoie à deux mots béarnais : hart « trop de » et brut, le bruit, soit « trop de bruit ».
(4) Soupe béarnaise.
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