Non, les langues régionales n’ont pas disparu !
Beaucoup les croient déjà mortes alors qu’une dizaine de millions de Français les parlent encore. Enquête sur une fausse croyance.
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Autant vous prévenir tout de suite : cette semaine, j’ai décidé de vous faire peur, et même doublement peur. D’abord, je vais vous parler d’un philosophe, ce qui, en général, constitue un excellent moyen d’inciter les lecteurs à passer à un autre article. Ensuite, je vais tenter de vous convaincre qu’il existe, même dans une démocratie comme la France, un « appareil idéologique d’Etat », pour reprendre la formule de Louis Althusser – car c’est de lui qu’il s’agit. Un appareil idéologique d’Etat qui, de mon point de vue, opère en particulier dans le domaine linguistique.
Prenons un exemple : la plupart des Français sont convaincus que les langues régionales ont disparu. Oh certes, ils veulent bien l’admettre : en cherchant bien, il doit bien se trouver quelques vieillards cacochymes dans les Ehpad de basse-Bretagne et une poignée de bergers perdus dans des vallées reculées du Massif Central pour s’exprimer en « patois », mais enfin, ma bonne dame, tout cela appartient à un passé révolu. Au demeurant, leur disparition n’a strictement aucune importance. L’essentiel désormais n’est-il pas de baragouiner l’anglais ?
Cette croyance profondément ancrée constituerait le plus brillant des raisonnements si… lesdites langues régionales n’étaient pas encore largement pratiquées. Selon une récente enquête, en effet, 18 % des personnes interrogées déclarent parler l’une d’entre elles, ce qui représente au bas mot quelque 10 millions de personnes (1). Ce chiffre étant comparable aux audiences d’un match de foot de l’équipe de France à la télévision, cela revient à soutenir que personne ne s’intéresse au ballon rond dans notre pays. Bon courage !
Reste donc à comprendre comment, au mépris de la réalité, une telle conviction a pu s’imprimer aussi profondément dans les esprits. Et c’est là qu’il faut en revenir aux travaux de Louis Althusser. Qu’entendait-il par « appareil idéologique d’Etat » ? Ceci : « L’imposition d’une idéologie dominante diffusée par les institutions officielles : l’école, les administrations, les intellectuels les plus en vue, les médias, sans oublier certains partis politiques, syndicats et associations », résume le linguiste Pascal Ottavi. A force de diffuser tous la même vision, fût-elle erronée, celle-ci finit par apparaître comme une évidence qu’il n’est même plus nécessaire de démontrer.
Veut-on une illustration de ce procédé ? Le 24 mai dernier, quelque 300 personnes manifestent dans la capitale pour exiger la démission du tout nouveau ministre Damien Abad, soupçonné de violences sexuelles et la plupart des médias évoquent ces protestations. Pourquoi pas ? A ceci près que, quelques jours plus tard, plusieurs milliers de personnes se mobilisent pendant plusieurs jours à l’occasion de la Redadeg, une course militante en faveur du breton. Et là, pas une ligne, pas une image, pas un son dans la presse nationale. Un miroir déformant qui contribue évidemment à « invisibiliser » l’existence pourtant bien réelle des langues minoritaires de France.
Traduction concrète des idées qu’a fini par imposer dans l’esprit de nos concitoyens cet « appareil idéologique d’Etat » en ce qui concerne notre sujet ? « Le français est une langue supérieure » ; « Le français est la langue de la liberté » ; « Le français est une langue claire » (entre autres). Autant de truismes dont voici les corollaires : « Les langues régionales ne présentent aucun intérêt » ; « Les pratiquer relève du communautarisme » ; « On ne peut pas être pris au sérieux quand on parle avec un accent régional », etc. N’importe quel étudiant de première année de sociologie recevrait un zéro pointé s’il débitait de pareilles inepties, mais, en France, faute de culture linguistique, cela passe !
Pour faire en sorte que le français reste notre langue commune sans devenir notre langue unique, il est donc nécessaire de procéder au préalable à un travail d’explication, de sensibilisation, de « conscientisation », comme on ne dit plus. Cela n’a rien d’impossible. La preuve ? Les langues ne sont naturellement pas le seul domaine où « l’appareil idéologique d’Etat » exerce son emprise. Longtemps, il a paru évident que les ouvriers ne devaient pas avoir droit à des congés payés ; que les femmes ne devaient pas voter ; que les homosexuels devaient vivre cachés, etc. Et puis, peu à peu, la société civile s’est mobilisée, les esprits ont évolué et la situation a changé. Tout simplement parce que ces causes étaient justes et qu’elles avaient reçu le soutien de l’opinion.
Il n’y a aucune raison qu’il n’en aille pas de même pour les langues de France.
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(1) Enquête Sociovision réalisée en 2021 pour le journal de 13 heures de TF1 auprès d’un échantillon de 3500 personnes âgées de 18 à 74 ans. Sur cette tranche de la population, 18 % de locuteurs représente un effectif de 8,1 million de personnes. Il faut y ajouter les (rares) locuteurs présents parmi les 16 millions de Français âgés de moins de 18 ans et les (nombreux) locuteurs présents parmi les 7 millions de Français âgés de plus de 74 ans. D’où cette estimation de 10 millions de locuteurs.
A LIRE AILLEURS
Le collectif national « Pour que vivent nos langues » a adressé un questionnaire aux candidats aux législatives afin de connaître leurs intentions concernant les régionales. Toutes les réponses reçues sont consultables sur cette carte interactive.
C’est à ce thème qu’est consacré le dernier numéro de la revue « Langues et Cités », publiée par la Délégation générale de la langue française et des langues de France (DGLFLF). Un document qui reprend les conférences prononcées lors des seconds États généraux du multilinguisme dans les Outre-mer qui se sont tenus à La Réunion en 2021.
A l’initiative de l’Agence régionale de la langue picarde, les cours d’apprentissage du picard sont complétés par une Maristér class animée par Jean-Luc Vigneux. La prochaine séance, qui se déroulera le 16 juin à 18 heures, prendra la forme d’un dialogue entre les participants et l’intervenant (ID de réunion : 870 3681 8045. Code secret : picard). Il est également possible de visionner les maristér class précédentes ici.
L’Office public de la langue occitane (OPLO) vient de publier une plaquette d’information concernant l’enseignement bilingue français-occitan à l’école. Elle comporte notamment une cartographie précise des établissements proposant ce type d’enseignements.
Concerts (avec Eric Marti et Eric Fraj, notamment) et bal occitan animeront les journées des 25 et 26 juin à Montbrun-Bocage (Haute-Garonne), dans la région du Volvestre, pour sa cinquantième édition. L’un des nombreux événements organisés dans le cadre de Total Festum, qui propose au total quelque 80 spectacles, expositions, conférences et balades contées mettant en valeur les cultures catalane et occitane de la région Occitanie.
France Martineau, une linguiste de l’Université d’Ottawa, a analysé des milliers de vieux documents écrits. Selon elle, les jeunes d’aujourd’hui font les mêmes types de fautes que leurs ancêtres, mais on les voit davantage.
Au XVIIIe siècle, grande époque de la francophonie, peu de personnes parlaient français en dehors d’une vaste région parisienne et des élites européennes. Le français compte aujourd’hui bien plus de locuteurs, mais leur profil est bien différent, comme le souligne Yves Montenay sur son blog « Histoire, culture, économie et géopolitique ».
La « loi 96 » qui renforce la place du français au Québec sera-t-elle suffisante pour enrayer le déclin de cette langue dans la belle Province ? Ce texte permettra-t-il de défendre la diversité culturelle ou marque-t-il au contraire une forme de repli identitaire ? Les débats sont vifs au Canada après le vote de cette loi, qu’analyse ici par la journaliste Valérie Lion dans sa lettre « Attache ta tuque »
Il y a les contrepèteries volontaires – « Femme folle à la messe, femme molle à la fesse », écrivait Rabelais. Mais il en est d’autres qui s’échappent de manière probablement involontaire de la plume des meilleurs auteurs – « dans sa taille indolente et mollement couchée » (Alfred de Vigny). Cette petite anthologie des contrepèteries littéraires, qui les rassemble, rend hommage à cet art très particulier consistant à inverser lettres et syllabes afin d’en révéler le sens caché – le plus souvent grivois.
Petite anthologie des contrepèteries littéraires, par Catherine Guennec. First Editions.
A REGARDER
Bernard Fripiat répond à cette question en rappelant qu’en latin, le son [ü] n’existait pas. Utilem « utile », par exemple, se prononçait « outilem ». C’est à partir du VIIIe siècle que notre son [u] va apparaître, sous doute sous l’influence des Francs. Et que les difficultés vont commencer…
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