Francis Cabrel  » Les langues régionales sont victimes d’un génocide culturel  » ( Itv par Michel Feltin-Palas )

Francis Cabrel : « Les langues régionales sont victimes d’un génocide culturel »
Le chanteur présente ce 8 octobre un spectacle donné en plusieurs langues de France. Une manière pour lui de résister à la standardisation culturelle.
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Plus sa carrière avance, plus Francis Cabrel prend fait et cause pour l’occitan en particulier et la diversité culturelle en général. Il en apporte une nouvelle preuve ce 8 octobre avec un spectacle multilingue en langues régionales qu’il supervise dans sa bonne ville d’Astaffort. L’occasion pour L’Express de s’entretenir avec un artiste hors norme.
Vous présentez ce 8 octobre dans le cadre des Rencontres d’Astaffort, dans le Lot-et-Garonne, un spectacle multilingue en langues régionales, avec des artistes chantant en corse, en occitan, en alsacien, en créole, etc. Pour quelle raison ?
C’est mon ami Jean Bonnefon, membre du groupe occitan Peiraguda, qui a eu cette idée et a su me convaincre de sa pertinence. Le principe consiste à demander à chacun d’écrire dans sa langue en vue d’un spectacle commun. Une première session avait eu lieu voilà trois ou quatre ans et avait donné lieu à un concert très émouvant, avec des harmonies vocales étonnantes. D’où notre volonté de renouveler cette opération cette année, sous le parrainage du groupe corse I Muvrini.
Pourquoi un artiste comme vous, doté d’une très grande notoriété, éprouve-t-il le besoin de monter ce type de spectacles ?
Sans doute parce que je vois le français reculer, et parfois se soumettre au diktat anglais. J’y vois un parallèle avec l’occitan qui s’efface peu à peu devant le français. C’est pourquoi j’ai beaucoup de sympathie pour ceux qui se battent pour le perpétuer. Pour moi, c’est une leçon de courage, de ténacité et d’intelligence. Cela me replonge dans les racines de notre terre. Moi, je suis né ici. J’ai entendu parler cette langue lorsque j’étais jeune. Aujourd’hui, on ne l’entend plus guère à Astaffort, et je le regrette.
Vous allez plus loin puisque, dans votre dernier disque, vous chantez vous-même en occitan dans une chanson qui rend hommage aux troubadours, « Rockstar du Moyen Age », selon la formule de Claude Sicre, des Fabulous trobadors. Pourquoi ce choix ?
Cette langue m’intéresse car elle possède des images et des mots qui sonnent de manière lumineuse. Et je voulais en effet rendre hommage à Claude Sicre, une personnalité à la fois inventive et active pour la défense de l’occitan en particulier et des langues en général puisqu’il a monté le Forom des langues du monde à Toulouse.
Savez-vous parler occitan ?
Non ; je le comprends, mais je ne sais pas tenir une conversation. Cela dit, je suis décidé à l’apprendre.
Dans une autre chanson, In extremis, vous employez le terme de « génocide » pour parler du destin de ces langues.
Je confirme, car ces langues ne disparaissent pas d’elles-mêmes ; elles sont victimes d’un génocide culturel. On les a poussées vers la sortie de façon très brutale, en accordant une place prépondérante au français à l’école et dans l’administration. Aujourd’hui, des gens se battent pour leur redonner une place officielle, mais cela reste difficile : voyez la censure de la loi Molac sur les langues régionales par le Conseil constitutionnel.
Le milieu musical dans lequel vous évoluez est très épris de modernité. En défendant les langues régionales, ne craignez-vous de passer pour un ringard ?
Ce combat peut évidemment sembler d’arrière-garde, mais je crois que, de plus en plus, on se rend compte qu’il faut aussi regarder sous nos pieds. Ce qui nous tient est ce qui est le plus solide : le paysage, la cuisine, la culture. Et la langue, bien sûr. Si bien que, contrairement aux idées reçues, l’occitan me paraît au contraire assez moderne. Le succès des calandretas, les écoles immersives, le montre : il y a un mouvement de fond qui ne lâche pas et que je trouve très intéressant.
Comment réagit votre public, lorsqu’il vous entend chanter en occitan ?
Les occitanistes sont ravis, bien sûr. Mais il en va de même de tous ceux qui se battent pour leur langue, qu’ils soient Bretons, Corses, Basques ou Alsaciens. En fait, ce combat parle à tout le monde.
Vous avez également chanté en kabyle, en italien, en espagnol, mais pas en anglais. Est-ce une autre manière de défendre la diversité culturelle ?
Je suis passionné par l’espagnol car je vis à côté de l’Espagne ; par l’italien car ce sont mes racines familiales ; par le kabyle car cela a été un jeu avec le chanteur Idir. En revanche, je ne veux pas chanter en anglais car toute ma musique a été inspirée par les Anglo-saxons. Ce serait manquer d’humilité.
Que pensez-vous de vos collègues français qui décident de chanter directement en anglais ?
Cela m’attriste, quand cela ne me met pas en rogne. C’est de la soumission !
Les personnes qui, en France, s’expriment avec un accent régional subissent souvent des discriminations. Est-il exact que, jeune chanteur, votre maison de disques vous a obligé à modifier la prononciation du -o- de « rose » dans la chanson Petite Marie ?
C’est exact, en effet. Mon accent ne convenait pas aux Parisiens qui me faisaient enregistrer. Moi, à l’époque, j’arrivais de ma campagne. Je n’en suis pas fier, mais je leur ai obéi.
Mais vous avez réenregistré ce disque plus tard, en prononçant « rose » avec un -o- ouvert…
Sur scène, en fait, je ne me suis jamais contraint, et ce dès cette époque. Donc, quand cette chanson a été réenregistrée plus tard, elle l’a été avec ma prononciation naturelle. En fait, il n’y a que sur ce premier disque que j’ai prononcé -o- à la parisienne…
La loi Molac a été censurée par le Conseil constitutionnel. La réforme du bac de Jean-Michel Blanquer a diminué les coefficients accordés aux langues régionales, provoquant une chute des effectifs. Comprenez-vous pourquoi, en 2022, l’Etat continue de s’opposer à ces langues ?
Sans doute par peur du séparatisme.
Faut-il donc vous considérer comme un séparatiste occitan ?
Non, bien sûr. Ce danger n’existe pas, ou alors il est extraordinairement minoritaire. La majeure partie des militants souhaite simplement que ces langues restent vivantes à côté du français. On sait aussi que les enfants bilingues disposent d’un avantage à l’école. Il serait donc temps que l’Etat donne à ces langues les moyens dont elles ont besoin pour vivre.

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