La chronique de Michel Feltin-Palas ( L’Express )

Les programmes scolaires ne laissent quasiment aucune place aux œuvres des auteurs écrivant en breton, en corse ou en basque

Voilà quelques années, Françoise Cahen, une enseignante de français du Val-de-Marne, lançait une pétition. Son objet : la quasi-absence des femmes dans les programmes de l’Education nationale. « Jamais une auteure femme n’a été au programme de littérature en terminale L », s’offusquait-elle. Elle a fini par obtenir gain de cause et, désormais, nos chères têtes blondes découvrent sur les bancs de l’école aussi bien George Sand et Colette que Molière et Balzac. Très bien !

Et si l’on adaptait la même démarche pour faire reculer une autre inégalité ? Celle qui consiste, dans un pays où, depuis toujours, l’on parle et l’on écrit de nombreuses langues, à n’étudier que les auteurs ayant publié en français et non pas tous les écrivains de France.
Oh, je sais ce que certains d’entre vous sont en train de penser, un demi-sourire en coin : « Encore faudrait-il qu’il y ait de la littérature en patois ». Eh bien détrompez-vous. Au Moyen Age, les troubadours influençaient l’ensemble de l’Europe littéraire avec des poésies rédigées en langue d’oc. Dès 1545, un recueil de poésies religieuses et profanes était publié en basque par Bernat Dechepare. Sous la Renaissance, « Pey de Garros fondait une littérature gasconne qui rivalisait avec les plus grands de la poésie française « , comme le souligne le linguiste Gilles Couffignal. Au XVIIe siècle, l’écrivain dunkerquois Michael de Swaen (1654-1707) multipliait les chefs d’oeuvre en flamand – toujours étudiés comme tels aujourd’hui en Belgique et aux Pays-Bas. En 1904, Frédéric Mistral obtenait le prix Nobel de littérature pour une oeuvre en provençal…

J’arrête ici l’énumération, non sans préciser que ce mouvement littéraire se poursuit au XXIe siècle (1). Chaque année, plusieurs milliers de livres – oui, plusieurs milliers – sont rédigés en occitan, en basque, en corse, en breton, en créole, en alsacien… Ce qui signifie qu’au détriment de leur intérêt financier et de leur notoriété, des auteurs et des éditeurs, admirables de courage et de désintéressement, continuent à servir ces langues. Par fidélité à leurs ancêtres. Par amour de leurs régions. Parce que tous et toutes ont, chevillée au corps, cette conviction qu’elles ne mourront pas tant que des hommes et des femmes se battront pour elles.

Rendre l’étude de Mistral obligatoire en Provence

Et pourtant jamais, sauf exceptions rarissimes, ces hommes et ces femmes de lettres n’ont droit à une émission de radio ou de télévision (youhou, François Busnel !!!???). Jamais ils ne sont mis en avant sur les étals des librairies. Jamais la Fnac ne les invite à donner des conférences. Ce qui nous renvoie au problème précédent : l’éviction de l’école de tous les auteurs « coupables » d’avoir créé des oeuvres dans des langues de France autres que le français. « En soi, l’étude de ces écrivains partout en France ne serait pas impossible, puisque les programmes de français invitent les professeurs à « l’ouverture », mais, faute de projets et de compétences, rares sont les enseignants qui profitent de cette liberté », souligne Yves Bernabé, l’inspecteur général de l’Education nationale chargé des langues régionales. Il est vrai qu’ils ne sont pas formés pour cela. Et que le ministère, sauf rares exceptions, ne se préoccupe guère du sujet (euphémisme).

La solution ? Elle est simple à énoncer. Il suffirait de rendre cet enseignement o-bli-ga-toi-re. Décider qu’en Provence, les élèves soient tenus d’aborder ne serait-ce que quelques heures Frédéric Mistral et les autres. Appliquer la même règle en Bretagne avec Pierre Jakez-Hélias ; en Martinique avec Raphaël Confiant, etc. Et faire en sorte que partout, partout, en Ile-de-France comme en Franche-Comté et en Savoie, soit évoqué à un moment ou un autre l’existence de ces artistes.

On en est loin. Non seulement ces auteurs français écrivant en langue régionale sont ignorés par l’Education nationale, mais, parfois, on n’hésite pas à tordre les faits. Les éditions Belin ont ainsi osé affirmer dans un livre scolaire que Bernat de Ventadour, l’un des plus grands troubadours, écrivait en… « français du Sud » ! Que penserait-on, je vous le demande, si l’on expliquait aux enfants de Madrid que Molière écrivait « en espagnol du nord » ? Est-il abusif d’affirmer que l’on a affaire ici à une forme de propagande, qui vise à faire oublier que notre pays est riche de plusieurs cultures ?

Dès lors, pourquoi ne pas s’inspirer de cette enseignante du Val-de-Marne et lancer une pétition demandant que tous les enfants de France apprennent cette vérité : il existe dans notre pays des écrivains qui ont employé et emploient encore d’autres langues que le français et il est du devoir de l’Education nationale de diffuser ce savoir ? Une manière comme une autre de nous réconcilier avec l’intégralité de notre patrimoine national.

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