La COP27 s’est achevée sur un bilan mitigé : un accord historique a été adopté sur la question des pertes et dommages, mais les États n’ont pas renforcé leur ambition climatique, toujours insuffisante.
Historique, mais largement insuffisant : ainsi peut-on résumer l’Accord adopté à la COP27 de Charm el-Cheikh. Elle s’est conclue au petit matin dimanche 20 novembre, après une journée et une nuit de retard et d’intenses tractations. L’Accord est jugé « historique » par les participants. S’il acte la création d’un fonds dédié aux financements des pertes et dommages [1] il n’apporte aucune autre avancée notable. L’objectif de contenir la hausse des températures à 1,5 °C est à nouveau réaffirmé, mais les délégations des 196 pays n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour augmenter leurs ambitions de réduction de gaz à effet de serre, pourtant insuffisantes, ou à affirmer la nécessité de sortir des énergies fossiles.
• Les pertes et dommages : un fonds dédié
Avancée majeure, la création d’un fonds dédié au financement des pertes et dommages est donc actée. Depuis 1991, cette demande des pays du Sud — les premiers touchés par les effets du changement climatique et pourtant les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre — a toujours été écartée par les pays du Nord. Mais la question a fait l’objet d’un coup de théâtre jeudi dernier quand l’Union européenne a annoncé soutenir ce projet. « Les pays riches […] ont opéré un virage à 360°. Ils ont mis fin à des décennies de blocage. […] C’est véritablement un pas de géant vers plus de justice climatique », s’est réjouie Fanny Petitbon, responsable du plaidoyer de Care France.
L’idée : accompagner les pays vulnérables confrontés à des événements climatiques majeurs « avec des financements rapides, effectifs et accessibles », a expliqué la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, à la sortie des négociations. Si les détails restent à définir, le fonds devra être opérationnel dès 2023. En outre, « un comité devra identifier les sources de financements de ce fonds, avec une optique la plus large possible. L’objectif est bien que le plus grand nombre de pays puisse y participer », a précisé le ministère de la Transition écologique. En ligne de mire, les grands pays émergents, tels que la Chine, dont la position comme pays en voie de développement pourrait évoluer.
Pour financer les pertes et dommages, l’accord prévoit également la mobilisation de la Banque mondiale, du FMI et des banques de développement. « Il recommande la mise en œuvre de financements innovants auxquels tous les pays peuvent contribuer », a aussi expliqué le ministère. Une lecture qui laisse une ouverture aux « taxes sur le maritime, le secteur aérien ou encore les énergies fossiles », a pointé Lola Vallejo, de l’Iddri, quelques heures avant la conclusion du sommet.
• L’ambition climatique des États n’a pas bougé
Les négociations concernant l’ambition climatique, se sont soldées par un cuisant échec. Hormis l’Union européenne, le Mexique ou la Turquie, aucun État n’a rehaussé réellement ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, comme promis l’année dernière. « L’ambition climatique était insuffisante avant la COP, elle n’a pas bougé d’un pouce à la COP. Dans le contexte de crise climatique qui touche toutes les régions du monde, cette occasion manquée est dramatique », a réagi Arnaud Gilles, responsable énergie-climat pour WWF. Maigre consolation, un temps menacé d’être purement et simplement rayé du texte final, l’objectif de contenir le réchauffement climatique à 1,5 °C a été réaffirmé. Pourtant, plus de 1 000 scientifiques avaient déclaré qu’il n’était « plus acceptable d’affirmer publiquement » qu’une telle limitation soit « toujours envisageable ».
• La sortie des fossiles balayée
Autre point de frustration : les pays n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la sortie des énergies fossiles. Le Pacte de Glasgow, adopté l’année dernière, avait levé un tabou en engageant les pays à une « réduction progressive du charbon » et la fin des « subventions inefficaces » aux énergies fossiles. Cette année, poussés par l’Inde, plusieurs pays [2] étaient prêts à aller plus loin en mentionnant la réduction, voire la sortie, de toutes les énergies fossiles. Une formulation jugée plus équitable, car le charbon plus abordable est davantage employé dans les pays en voie de développement, quand le pétrole et le gaz sont plus fréquemment utilisés dans les pays riches. « Nous avons réussi à élargir la coalition des pays qui prônent la diminution de l’utilisation des énergies fossiles, voire la sortie », en ralliant « des grands pays qui ont des économies assises sur ces ressources », a expliqué Agnès Pannier-Runacher. En vain. Le texte final reprend tout juste la formulation de Glasgow.
Pourtant, la combustion du charbon, du pétrole et du gaz est responsable de 90 % des émissions de CO2 mondiales. Mais « le sujet est redevenu tabou », a déploré Arnaud Gilles, de WWF. « Certains pays ont bloqué l’inclusion d’une telle formulation dans le texte, renvoyant à la responsabilité première des pays développés », a expliqué le Réseau Action Climat. La ministre a dénoncé « un manque de transparence des débats », en l’absence de « groupes de contact » qui associent habituellement un pays en développement à un pays riche pour avancer sur les points de blocage. D’autres accusent le lobbying acharné du secteur. « L’influence de l’industrie des combustibles fossiles s’est manifestée dans tous les domaines, a dénoncé l’une des architectes de l’Accord de Paris, Laurence Tubiana. […] La présidence égyptienne a produit un texte qui protège clairement les États pétroliers et gaziers et les industries des énergies fossiles. Cette tendance ne peut pas se poursuivre aux Émirats arabes unis l’année prochaine [3]. » Sans oublier que l’accord final use d’éléments de langage de l’industrie des énergies fossiles, en faisant notamment référence aux « circonstances nationales » de chaque pays [4]ou aux techniques de séquestration du carbone, pourtant largement controversées.
• D’autres rendez-vous manqués : agriculture, biodiversité, marché du carbone
Discuté dans les instances techniques de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, « le programme de travail [dit de Koronivia, et dédié à l’agriculture] a été prolongé sans remise en cause de notre système agricole, pourtant émetteur d’un tiers des gaz à effet de serre », a déploré le Réseau Action Climat. Le sujet est clivant : une partie des États mise sur l’agro-écologie et remet en question nos régimes alimentaires, quand d’autres préfèrent privilégier une « agriculture intensive durable ». Par ailleurs, les pays du Sud craignent que la définition stricte d’un modèle agricole durable ne menace leur sécurité par l’apposition d’une réglementation trop contraignante.
À quelques semaines de la COP15 sur la biodiversité qui se tiendra à Montréal, le sujet est aussi le grand absent du texte final. Aucune mention de l’importance de la biodiversité pour lutter contre le changement climatique n’apparaît. Un « silence absolument gênant », dénonce Arnaud Gilles.
Enfin, les discussions techniques sur la mise en œuvre des règles de fonctionnement du marché du carbone n’ont que peu avancé. La chargée du plaidoyer climat de CCFD-Terre Solidaire Myrto Tilianaki note toutefois « l’introduction de failles dangereuses pour l’ambition climatique et le respect des droits humains », avec le retrait de leur mention dans le texte final.
La COP27 était aussi une COP « silencieuse et très inquiétante pour de nombreux militants », a dénoncé Laurence Tubiana. « La question des droits humains et de l’espace démocratique sera également au cœur des préoccupations de la société civile » l’année prochaine, prévient le Réseau Action Climat. La COP28 se déroulera à Dubaï aux Émirats arabes unis, l’un des plus grands réservoirs de pétrole au monde.