+4°C en France : » Soit on s’adapte ,soit on lutte  » REPORTERRE

Alors que le gouvernement veut préparer la France à une hausse de +4 °C, pour le chercheur Thierry Ribault, le pays devrait plutôt stopper dès à présent « les délires technophiles responsables de la catastrophe ».

Afin de préparer la France à une hausse de 4 °C en 2100, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, lance le 23 mai une consultation ouverte au public. Différents scénarios d’adaptation au réchauffement climatique en seront issus. Pour Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales au CNRS et auteur de Contre la résilience — À Fukushima et ailleurs (L’Échapée, 2021), le gouvernement devrait plutôt agir et remettre en cause le capitalisme.

Reporterre — Depuis plusieurs mois, le gouvernement répète qu’il faut s’adapter au réchauffement climatique et enjoint les citoyens à anticiper la catastrophe. Que traduit ce nouveau discours ?

Thierry Ribault — Son usage m’interpelle et pose diverses questions difficiles à résoudre. Au fond, il faut se demander si la notion d’adaptation est vraiment adaptée à la situation actuelle. J’en doute sincèrement. À quoi veut-on donc nous adapter ? Peut-on véritablement s’adapter à un monde invivable ? S’adapter au réchauffement climatique, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Est-ce que cela ne s’oppose pas à l’action ? Est-ce que cela ne fait pas fi des causes réelles du réchauffement climatique ? Nous ne sommes pas prêts à nous adapter à tout.

Or, le gouvernement nous dit que « la réalité s’impose », que « nous devons préparer la France à une élévation de la température de 4 °C ». Mais qui est ce « nous » générique ? N’est-ce pas démagogique de traiter de la même manière les classes dominantes les plus polluantes avec les citoyens ordinaires et les personnes précaires ? Je ne suis pas certain que tout le monde doive s’adapter. Le gouvernement voudrait nous voir embarquer tous dans la même galère. Il nous dit « ramez et vous survivrez ». Mais qui va ramer pour l’adaptation ? N’y a-t-il pas des gens qui rament déjà suffisamment alors que d’autres ne font rien 

C’est aussi paradoxal d’entendre le gouvernement dire qu’il faudrait s’adapter au réchauffement climatique à l’horizon 2100 tout en prônant, par exemple, une pause sur la réglementation environnementale

Tout à fait. Le gouvernement déclare que nous devons nous adapter à 4 °C supplémentaires en 2100, mais dans le même temps, il continue, voire accélère, l’industrialisation de l’agriculture, l’extractivisme et tous les délires technophiles responsables de la catastrophe. C’est assez incroyable, en fait. Je dirai même que c’est audacieux de sa part. Le gouvernement veut nous intéresser à ce qui va se passer dans un siècle, il nous dit de nous préparer au pire et à un futur catastrophique, mais il ne fait absolument rien ici et maintenant.

C’en est désespérant…

Oui, mais c’est voulu. C’est d’ailleurs le leitmotiv de tout régime que je qualifie de « résilio maniaques ». Ils jouent sur la peur et sont en permanence dans une sorte de dissonance cognitive, une forme de double pensée. Dans son discours, Christophe Béchu dit que « nous devons agir comme si tout dépendait de nous », mais en même temps répète que « nous devons nous adapter en mesurant que tout ne dépend pas de nous ». Un moment, il faudrait savoir ! Soit on s’adapte, soit on lutte contre. On ne peut pas faire les deux à la fois, simultanément.

« Macron veut nous adapter à son cortège de fausses solutions »

Pourtant, n’est-ce pas ce que préconisent de nombreux acteurs qui prônent à la fois l’atténuation et l’adaptation au changement climatique ?

Pour moi, c’est une tromperie totale ! Ce n’est pas du tout le même type d’action, le même registre politique. Les armes utilisées ne sont absolument pas les mêmes. C’est comme si pendant la guerre, on nous avait demandé de nous adapter à la présence de l’ennemi sur notre sol tout en lui résistant. Il ne s’agit pas d’avoir un jugement moral, mais de voir que cognitivement, s’adapter et résister ce n’est pas la même chose. Être dans la résilience ou la résistance cela n’a rien à voir. Les pouvoirs publics entretiennent une confusion totale entre ces deux champs sémantiques, parce qu’ils ne veulent pas résister ni remettre en cause le système capitalo-technologique et industriel qui est à l’origine de ces catastrophes.

Emmanuel Macron, aujourd’hui, nous dit qu’il faudrait anticiper le climat en 2100 alors qu’il affirmait, il y a à peine six mois, lors de ses vœux, que personne n’aurait pu prévoir les incendies qui ont ravagé l’été dernier les Landes…

Cela s’inscrit typiquement dans cette double pensée dont je parlais précédemment. Je pourrais citer un autre exemple éloquent : le rapport de la mission d’information parlementaire sur la résilience nationale, rendu en février 2022 — trois jours avant le début de la guerre en Ukraine. Les auteurs y écrivent l’inverse et son contraire. Ils disent que « nous avons le devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu’ils vont être rattrapés par ces violences très rapidement. Quoi qu’il arrive », et ajoutent juste après qu’« il faut éviter que s’immisce au sein de la population des jeunes une peur du futur. La propension à l’anxiété et à la frustration des générations actuelles tend à réduire notre capacité de résilience collective dans une situation de crise grave ».

On ne sait plus quoi penser…

Oui, cela crée une forme de sidération. On nous dit qu’il n’y a pas de quoi être anxieux, mais qu’il faut se préparer au pire… L’objectif des gouvernants est en réalité de nous faire intérioriser les menaces, sans que l’on s’intéresse à leurs causes. Pour eux, ce qui compte est moins la teneur des événements à affronter que la mentalité que la population devra adopter, son sentiment de responsabilité vis-à-vis d’une catastrophe qu’elle n’a pas, elle-même, causée. La prise de conscience souhaitée par le gouvernement n’est en rien une manière de modifier la situation actuelle, c’est une façon de nous y soumettre, de la conforter. Il s’agit de perpétuer l’existant, de nous l’imposer, en culpabilisant les victimes.

Le gouvernement nous invite à mettre sous le boisseau des affects négatifs qui sont pourtant légitimes, il dit qu’il faut avoir peur, mais pas trop, car une fois en colère on peut se révolter. En bref, il mène une politique d’antirésistance et veut nous adapter à son capitalisme vert et à son cortège de fausses solutions : le nucléaire, les voitures électriques, l’agriculture de précision. Et ce faisant, il nous précipite dans des voies de non-retour qui aggravent encore la catastrophe.

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