Du 29 mai au 2 juin, 175 États ont poursuivi l’élaboration d’un traité international contre la pollution plastique. Malgré une entame laborieuse, une première version verra bientôt le jour.
Le fiasco diplomatique a été évité de justesse. Du 29 mai au 2 juin, à Paris, près de 3 000 politiciens, lobbyistes, scientifiques et représentants de la société civile ont bataillé sur l’épineuse question de la pollution plastique. Lancées six mois plus tôt en Uruguay, ces négociations doivent aboutir à la signature d’un traité international juridiquement contraignant d’ici fin 2024. Déjà ambitieux, ce calendrier a bel et bien failli devenir utopique tant l’entame de ce deuxième round de discussions a été le théâtre de querelles et d’obstructions.
À la clôture des débats, les organisations écologistes ont toutefois le sentiment du devoir accompli. Les pays producteurs — Arabie saoudite, Chine et Russie entre autres — ont eu beau tenté d’entraver l’élaboration du traité, les objectifs sont atteints, affirme Diane Beaumenay-Joannet, juriste à Surfrider : « Un mandat a été confié au Comité intergouvernemental de négociation pour rédiger le zero draft, d’ici novembre et l’acte III au Kenya. » Autrement dit, une première ébauche du traité, fixant les lignes directrices. « Comme quoi, même en présence des gros pollueurs, on peut bousculer les équilibres géopolitiques et notre modèle économique. »
Une entame laborieuse
Cinq jours plus tôt, dans son allocution liminaire, Emmanuel Macron décrivait la pollution plastique comme « une bombe à retardement » : « Aujourd’hui, nous extrayons des combustibles fossiles pour produire du plastique que nous brûlons ensuite. C’est un non-sens écologique. » Un discours soutenu par Inger Andersen, secrétaire générale adjointe des Nations unies, désireuse de faire de ce traité « l’accord multilatéral sur l’environnement le plus fort depuis l’accord de Paris ». Et pour cause, le temps presse : en deux décennies, la production annuelle de plastique a plus que doublé, pour atteindre 460 millions de tonnes. Si rien n’est entrepris, elle pourrait encore tripler d’ici à 2060.
Seulement, à peine la plénière débutée, l’euphorie s’est aussitôt dissipée. Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’assemblée devait achever la nomination des membres du bureau, entamée en Uruguay. Au termes des pourparlers houleux, la Géorgie et l’Estonie ont devancé la Russie dans le scrutin secret censé élire les représentants des pays d’Europe de l’est. Toutefois, cette élection a mis le feu aux poudres : « Nous voulons la garantie que [le recours au vote] ne sera pas considéré comme un précédent pour toute prise de décision », s’est alarmée une diplomate saoudienne, devant l’hémicycle.
En filigrane, l’Arabie saoudite ouvrait dès lors le débat du système d’adoption du futur traité, épaulée par la Chine, le Brésil, l’Inde ou encore la Russie. Deux options étaient alors sur la table : le consensus ou la majorité qualifiée. « Décider d’un vote à l’unanimité reviendrait à donner un droit de véto à ces pays les moins volontaires », prévient Henri Bourgeois-Costa, président de la fondation Tara Océan. Aussi crucial soit cette question, les pays pétrogaziers ont saisi l’opportunité d’orchestrer une diversion totale.
Quarante-huit heures durant, l’assemblée s’est déchirée sans parvenir à faire émerger d’accord : « Nous passons à côté de ce qui nous réunit ici, a alors tonné Camila Zepeda, de la délégation mexicaine. Passons à l’essentiel ! » Ce n’est finalement qu’au troisième matin qu’une décision fut esquissée sur une déclaration de cinq lignes. Celle-ci reconnaît les divergences et remet à plus tard le débat : « Deux jours pour dire qu’on est d’accord sur le fait qu’on n’est pas d’accord, soupire Henri Bourgeois-Costa. Les bloqueurs ont rempli leur mission et nous voilà désormais avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »
Restés sur le banc, condamnés à patienter, les observateurs de la société civile ont observé dégringoler leur temps de parole, à mesure qu’augmentait le retard sur l’ordre du jour. Le 29 mai, plusieurs d’entre eux ont brandi des pancartes sur lesquelles était inscrit « Pas d’espace pour la démocratie », sur le parvis de l’Unesco. « Déjà fortement marginalisés, les ramasseurs de déchets et les populations des pays les plus précaires n’ont même pas pu apporter toute leur expertise », dénonce Delphine Lévi-Alvarès, coordinatrice internationale de la campagne #BreakFreeFromPlastic. Pour dénoncer cette indifférence, des peuples autochtones venus des quatre coins du globe ont d’ailleurs organisé un contre-événement, le 31 mai.
Deux visions diamétralement opposées
Une fois clôturé le chapitre procédural, l’architecture du futur traité a enfin été approfondie. Pour cela, les délégations ont examiné le document élaboré au lendemain des négociations uruguayennes, contenant les différentes options. Deux grandes visions se sont alors opposées : celle abordant le cycle de vie complet du plastique, de la production à l’élimination, et celle, plus réductrice, consistant à dire que seuls les déchets posent problème et décrivant le recyclage comme un remède universel.
Dans cette tectonique des plaques diplomatiques, la coalition dite « de haute ambition », à laquelle la France appartient, a accueilli cinq nouveaux membres au cours des débats. Parmi eux, le Japon : « C’est un événement diplomatique majeur quand on connaît leur addiction au plastique », s’est félicité Christophe Béchu, le ministre français de la Transition écologique. Celui-ci a dit par ailleurs avoir observé un adoucissement des positions états-uniennes et brésiliennes, initialement réfractaires. « Cette dynamique inattendue est prometteuse », confirme Diane Beaumenay-Joannet.
Dispersés dans les délégations, quelque 190 lobbyistes ont toutefois tenté de freiner ces avancées, d’après le décompte de Mediapart. Ceux-ci défendaient les intérêts de géants planétaires, comme Nestlé, Lego, Exxon Mobil ou Coca-Cola… mais aussi français, à l’image de Carrefour, Michelin, Danone, Veolia ou TotalÉnergies. Parfois camouflés derrière des structures d’apparence verdoyante, comme l’ONG Alliance to End Plastic Waste fondée par l’industrie pétrolière, ils ont tenté de promouvoir la décarbonation de la production et les bioplastiques, pour sauver leur business model plastico-centré.
L’ultime point de friction concernait le caractère contraignant du texte. Si les acteurs les plus ambitieux ont soutenu l’instauration de mesures internationales obligatoires, d’autres pays, dont les États-Unis, ont recommandé de laisser chaque gouvernement établir des plans d’actions nationaux. L’ensemble de ces discussions devrait permettre au comité mandaté d’écrire un premier brouillon, qui sera présenté cet automne, à Nairobi (Kenya). D’ici là, Christophe Béchu a appelé ses homologues et les autres observateurs à poursuivre les négociations, « dans un cadre moins multilatéral », pour « battre le fer tant qu’il est encore chaud ».