Le collectif Scientifiques en rébellion organise une COP alternative à Bordeaux afin de dénoncer l’échec de la gouvernance climatique mondiale et d’inventer de nouveaux imaginaires.
Bordeaux (Gironde), reportage
« Le message est terrible. La COP28 est témoin d’une faillite : celle de la gouvernance climatique internationale. » Un micro à la main, le biochimiste Jérôme Santolini s’adresse à l’assemblée avec la pédagogie du professeur et la fièvre de l’activiste. Dans ce hall austère de la Base sous-marine de Bordeaux, tout de béton vêtue, la température est un brin plus fraîche qu’à Dubaï. Bienvenue à l’alter-COP des Scientifiques en rébellion. Ces femmes et ces hommes en blouse blanche ont quitté leur laboratoire pour investir ce bâtiment du 30 novembre au 3 décembre, et dénoncer « la farce qui se joue sous nos yeux ».
« La COP28 n’est pas une solution, elle est le problème, assure Jérôme Santolini. Elle sature l’espace politique et empêche l’émergence d’alternatives. » Pour lui, les institutions restent enfermées dans un modèle datant des Trente glorieuses et sont incapables de s’adapter à l’ère de l’anthropocène. Preuve à l’appui, le procès survenu le 30 novembre à Paris : huit scientifiques et militants comparaissaient pour avoir occupé le Muséum national d’histoire naturelle en 2022. « Et pendant ce temps, les vrais criminels climatiques, connus depuis belle lurette, se promènent dans les couloirs d’une COP aux mains plongées dans le pétrole », s’insurge le chercheur.
« Les COP sont des machines à fabriquer une fiction collective »
Historienne des politiques du changement climatique, Amy Dahan tient à rassurer son auditoire : elle non plus ne croit pas en ces COP. « Néanmoins, ce cadre multilatéral a accompagné une certaine prise de conscience de l’urgence. » Avec une vingtaine de participations à son compteur, elle atteste qu’avant le début des années 2000, aucun officiel ou presque ne croyait au changement climatique : « Il y avait un fort climatoscepticisme et, sur ce point précis, ça a évolué. »
Si tout n’est pas à jeter, le constat reste noir à l’heure du vingt-huitième rendez-vous pour le climat : « Il y a eu le protocole de Kyoto, l’accord de Copenhague, celui de Paris… Et qu’en reste-t-il ? » s’interroge Romain Grard, du collectif Scientifiques en rébellion. La Convention-cadre sur les changements climatiques, signée en 1992 à New York, témoignait du désir des parties prenantes de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre à un niveau viable. Trente-et-un plus tard, elles ont grimpé de 60 % : « Les COP sont des machines à fabriquer une fiction collective, dit la collapsologue Agnès Sinaï. Des milliers d’officiels construisent une rhétorique insaisissable pour le commun des mortels et tout cela ne sert qu’à occulter le tabou des énergies fossiles. »
« Aujourd’hui, on n’a plus le luxe d’être simplement contre, estime Romain Grard. On ne peut rester les bras croisés, alors il faut inventer autre chose. » Des alternatives, Agnès Sinaï en a plusieurs à suggérer. À commencer par la création d’une Cour internationale de justice climatique, sur le modèle de la Cour pénale internationale de La Haye : « L’accord de Paris est un traité politique totalement dénué de sanctions. Les États sont à la fois juges et parties, ça n’a aucun sens. » Elle propose en outre d’initier une Convention citoyenne internationale pour le climat, ou encore une COP de la décroissance. Aussi utopistes soient-elles, ces pistes ont le mérite d’inventer de nouveaux imaginaires.
Là est aussi le pari de cette alter-COP : s’approprier le narratif trop longtemps accaparé par les puissants. « On a toujours attendu des scientifiques qu’ils pondent de grands rapports à déposer sur le bureau de tel ou tel ministre », constate Stéphanie Mariette, généticienne des populations. Seulement, à quoi bon si c’est pour les entendre parler de croissance verte ensuite ? « Aujourd’hui, ce cadre institutionnel, créé par l’État, ne suffit plus. On doit s’en libérer et aller directement au contact des citoyens, au plus près des luttes locales. »
Un fossé entre le grand public et les scientifiques
Géographe et contributeur du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), Wolfgang Cramer partage cette observation : « Je suis fasciné par la figure que l’on a construite du scientifique volontairement naïf. On se contentait de constater. On observait monter et descendre ces courbes, pour les décrire ensuite dans un langage froid et neutre. » Il met au défi quiconque de trouver un seul point d’exclamation dans les travaux du Giec. « Et de retour à la maison, on passait à autre chose, déplore-t-il. On considérait que plus nous étions désengagés, plus nous étions crédibles. C’était un contrat imaginaire avec la société. »
Cette posture a creusé un fossé entre le grand public et les scientifiques. « J’ai le sentiment que nous restons souvent entre nous, confirme l’océanographe François Sarano. Et cet entre-soi confortable rebute les citoyens que l’on devrait convaincre. Nous faisons peur, nos discours effraient. Pourtant, il faut séduire. » Comment ? En cherchant d’autres interlocuteurs que ceux des revues spécialisées où sont publiés les travaux et ceux des colloques internationaux où les chercheurs ne rencontrent que leurs pairs. « Il devient crucial de construire des ponts avec le grand public », abonde Julian Carrey, enseignant physicien à la blouse blanche et aux cheveux ébouriffés.
Plus facile à dire qu’à faire : une petite centaine de personnes à peine, scientifiques et journalistes compris, ont participé aux débats. Et au moins autant de chaises vides. Alors, à la tombée de la nuit, flottait dans l’air le sentiment amer d’un rendez-vous manqué.