Effets de la vague de froid sur les végétaux REPORTERRE

Le « Moscou-Paris », un flux polaire venu de Sibérie, glace la France. Après un hiver doux, le gel risque d’être fatal pour les végétaux, explique Serge Zaka, agroclimatologue, car « ils ont oublié de sortir leurs boucliers ».

Les météorologues l’ont baptisé le « Moscou-Paris ». Le 7 janvier, un flux polaire venu tout droit de Sibérie a fait dégringoler le mercure dans l’Hexagone. Les prochaines nuits promettent d’être glaciale, avec des pointes attendues à -20 °C dans les combes du Jura. Dans le Grand Est, la Franche-Comté et l’Auvergne Rhône-Alpes, le dégel devrait ne pas survenir du 8 au 11 janvier. Sur la côte méditerranéenne, des chutes de neige à très basse altitude pourraient être observées.

Quelques jours plus tôt, la Scandinavie affrontait déjà cette masse d’air froide : le thermomètre a atteint les -44 °C en Suède, et -26 °C à Oslo, capitale de la Norvège. Pour Serge Zaka, docteur en agroclimatologie, cette chute des températures est de mauvais augure pour la flore. Trompés par la douceur de l’automne, certains végétaux ont commencé à bourgeonner, voire à fleurir. Pour eux, le gel risque d’être fatal.


Reporterre — Le « Moscou-Paris » arrive sur la France. A quoi doit-on s’attendre ?

Serge Zaka — La température vient de chuter sous les normales de saison. Et ça fait un bon bout de temps que ça n’était pas arrivé. Il y a encore quelques incertitudes sur l’intensité et la durée de cet épisode de froid. Certains modèles le voient perdurer jusqu’à la mi-janvier, là où d’autres prédisent que cela durera seulement cinq jours.

Localement, les températures pourraient atteindre la barre des -5 °C, voire -10 °C. Mais attention, observer le thermomètre afficher de tels chiffres au mois de janvier… c’est tout à fait normal. Les records de froid sont beaucoup, beaucoup plus bas. Ce qui est anormal, en revanche, c’est que nous sommes presque perpétuellement restés au-dessus des normales de saison depuis le mois d’août. Et ça, ça pose problème.


Avec la douceur de l’automne, la flore a eu du mal à entrer en dormance, une phase pourtant précieuse à leur survie.

Exactement. Certains végétaux n’y sont parvenus qu’en décembre. D’autres, comme des amandiers ou des prunus, sont même déjà en train de fleurir, tant ils sont perdus. Des jonquilles, magnolias et autres fleurs de printemps voient aussi leurs bourgeons gonfler. Heureusement, ces floraisons précoces restent très minoritaires, mais pour les concernés, ça fera des dégâts.

« Le souci, c’est les hivers très doux »

Chez les arbres n’étant pas encore à 100 % en dormance, la sève risque de geler et de provoquer l’éclatement du bois. Les végétaux déjà bourgeonnants seront, eux, très exposés au risque de brûlures. Quant aux rares fruitiers déjà fleuris, un coup de gel à -5 °C et toute la récolte de l’année est perdue. On surveillera aussi les grandes cultures, où le blé et le colza anormalement développés du fait de la douceur de l’hiver sont plus sensibles au froid.


Le changement climatique est-il responsable de ce coup de gel brutal ?

Le souci n’est pas le gel en lui-même. Nous ne sommes pas en train d’affronter une vague de froid historique. Le souci, ce sont les hivers très doux, qui eux sont à imputer au changement climatique. Ils déboussolent complètement les végétaux, qui en oublient de sortir leurs boucliers. Leur cycle biologique est décalé dans le temps, avec des répercussions colossales.

On se souvient d’avril 2021 et des quelque 4 milliards d’euros de pertes de récoltes. Le gel avait été le déclencheur, mais le véritable responsable était le changement climatique. La croissance hivernale des végétaux étant beaucoup trop avancée, en raison des douces températures et les productions n’avaient pas survécu au froid. Le World Weather Attribution a d’ailleurs démontré que le changement climatique augmente de 60 % la probabilité que l’on vive à nouveau cela d’ici 2050.

Par ailleurs, ces décalages du cycle biologique impliquent une perte tardive des feuilles, synonyme de saison de repos plus courte et donc de fatigue supplémentaire. Sans compter qu’un tel phénomène réduit aussi la saison de recharge des nappes phréatiques, les végétaux pompant l’eau beaucoup plus longtemps dans l’année pour alimenter leurs feuilles.


La flore garde-t-elle des séquelles de ces événements, année après année ?

Oui. Ces épisodes, additionnés aux sécheresses et aux canicules, fatiguent durablement la flore. Dans les forêts, la mortalité des arbres ne cesse de s’accroître. Ces cinq dernières années, l’accumulation de tous ces stress thermiques les a épuisés. Résultat : ils deviennent vulnérables, sans défense, et finissent par mourir attaqués par des maladies.

Dans les forêts, la mortalité des arbres ne cesse de s’accroître, comme ici à Chantilly dans l’Oise. © Mathieu Génon / Reporterre


Plus les hivers seront doux, plus ces variabilités naturelles seront fatales à la flore. Comment peut-on y remédier ?

Plusieurs solutions existent. La première serait de conserver les mêmes espèces, mais en changeant les variétés. On cultiverait ainsi des abricotiers dont le débourrement [moment de l’année où les bourgeons se développent] survient quinze jours plus tard, ce qui protégerait les bourgeons plus longtemps. Problème : le remplissage du fruit interviendrait aussi avec retard, et serait donc davantage exposé aux canicules et sécheresses. Tout est question d’équilibre.

L’autre façon de s’adapter consiste à carrément changer d’espèces. Ainsi, on commence déjà à planter des pistachiers dans certaines régions. Ou encore des figues, des kakis et des olives. Seulement, la création d’une nouvelle filière prend au minimum trente ans. Ces cultures d’avenir demandent des moyens financiers, techniques et humains importants. Il faut s’y mettre maintenant. La plus grande erreur serait de continuer à faire comme aujourd’hui : c’est-à-dire planter encore et toujours les mêmes variétés aux mêmes endroits. Ça ne fera qu’empirer d’ici 2050.

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