2. Faut-il revoir les normes environnementales imposées aux agriculteurs ?
3. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs portent-ils les revendications de l’ensemble du mouvement agricole ?
4. Quelles sont les solutions pour sortir de la crise agricole et garantir des revenus aux agriculteurs ?
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Le 29 janvier au matin, plus de 30 activistes de Greenpeace ont déployé une banderole devant l’Assemblée nationale en soutien aux agriculteurs, notamment dans leur lutte pour des revenus dignes. Nous interpellons Gabriel Attal en amont de son discours de politique générale, pour une réforme en profondeur du modèle agricole.
1. Quelles sont les causes de la crise agricole ?
La crise du secteur agricole n’est pas nouvelle. Cette situation est la conséquence directe des politiques agricoles et commerciales ultra-libérales menées depuis des décennies. Elles n’ont cessé de renforcer la mainmise de multinationales de l’agro-industrie et de la grande distribution sur le monde agricole et ont entraîné la paupérisation d’une partie des agriculteurs et agricultrices. En poursuivant ces politiques ultra-libérales et l’industrialisation à marche forcée, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron s’inscrivent dans cette logique de destruction du monde paysan.
Aujourd’hui, le constat est clair : de nombreux agriculteurs et agricultrices ne peuvent pas vivre dignement de leur travail. Près de 20 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté, tandis que des groupes industriels comme Lactalis ou des acteurs de la grande distribution voient leurs marges exploser au détriment de la rémunération des agriculteurs et agricultrices.
Quelques chiffres… Sur une brique de lait, la part reçue par un éleveur a baissé de 4 % entre 2001 et 2022 alors que celle des entreprises agroalimentaires a augmenté de 64 % et de 188 % pour la grande distribution !
Source : Eleveurs et consommateurs, grands perdants de la hausse des prix des produits laitiers (FNH)
Plus récemment, les hausses des coûts de production, elles-mêmes conséquences des fortes augmentations des prix de l’énergie et des intrants (engrais et produits phytosanitaires notamment), sont venues peser encore davantage sur de nombreuses exploitations agricoles. En parallèle, la grande distribution continue d’exercer une pression inacceptable sur les producteurs, en déterminant elle-même les prix et en jouant sur la concurrence déloyale de produits importés, facilitée par les accords de libre-échange.
A cela s’ajoutent les impacts déjà bien réels du changement climatique et du déclin de la biodiversité dont les agriculteurs sont les premières victimes.
2. Faut-il revoir les normes environnementales imposées aux agriculteurs ?
Certains acteurs, tels que le gouvernement et l’extrême droite, cherchent à mettre en scène une opposition frontale entre le monde agricole (qui est loin d’être uniforme) et les politiques et normes environnementales. Cette opposition est absurde.
Les agriculteurs sont parmi les premiers touchés par les conséquences du réchauffement climatique, tels que les périodes de sécheresse, les inondations, le manque d’eau, les tempêtes. Le changement climatique fragilise davantage les agriculteurs, entraînant des pertes de récolte massives dans certaines régions. Face à ce constat, il ne faut pas se tromper de cible : la transition agroécologique est une partie de la solution et non le problème.
Il serait dramatique de rejeter les politiques publiques environnementales et climatiques au moment où elles deviennent plus que jamais nécessaires. Elles sont destinées à protéger la survie de nos écosystèmes, la santé des habitant·es mais aussi des productrices et producteurs eux-mêmes. Les mesures environnementales doivent permettre d’assurer la pérennité et la résilience de l’agriculture sur le long terme. L’effondrement de la biodiversité ou encore l’appauvrissement considérable des sols la rendent très vulnérable face aux effets du changement climatique.
Les modèles agricoles les plus durables, préservant la biodiversité et les sols, sont justement les plus résilients face aux chocs climatiques et économiques. Cette transition agroécologique, ainsi qu’un cadre économique plus juste, doivent être soutenus par les pouvoirs publics. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités et ne pas laisser les agriculteurs assumer seuls les efforts très conséquents qu’impliquent ces transformations.
Édicter des normes environnementales plus ambitieuses ne suffit pas : il faut impérativement soutenir et accompagner les agriculteurs dans cette transition, faciliter leur mise en œuvre et lutter contre la concurrence déloyale de produits importés qui ne seraient pas soumis aux mêmes exigences environnementales et sociales.
Laisser croire qu’une suppression des normes environnementales résoudrait tous les problèmes est un mirage. Aider les agriculteurs dans leur mise en place est en revanche une nécessité absolue pour sortir de cette crise agricole.
3. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs portent-ils les revendications de l’ensemble du mouvement agricole ?
Le monde agricole est loin d’être uniforme et présente des disparités criantes, entre petites exploitations paysannes et multinationales agroalimentaires. La crise agricole et le mouvement de contestation actuel sont donc très larges, avec des revendications qui peuvent aller dans des directions radicalement opposées.
Il est nécessaire de mieux rémunérer les agriculteurs et agricultrices, notamment en appliquant vraiment les mesures issues des lois Egalim, et d’affaiblir ainsi le pouvoir inacceptable de la grande distribution sur la détermination des prix. Ainsi, Greenpeace soutient les demandes exprimées par les agriculteurs sur la nécessité de mettre en place des prix planchers, c’est-à-dire l’interdiction de la vente de produits agricoles en dessous des prix de revient, l’instauration de prix minimum d’entrée des produits importés, en particulier pour les filières les plus en difficulté, et l’encadrement strict des marges des intermédiaires, notamment de la grande distribution.
Il est également nécessaire d’aider immédiatement le secteur de l’agriculture biologique, l’un des plus impactés par la crise actuelle, mais aussi les exploitations qui favorisent des pratiques agro-écologiques, ou encore de stopper plusieurs traités de libre-échange.
En revanche, certaines mesures demandées par la FNSEA sont néfastes aussi bien pour l’environnement que pour la survie de notre agriculture.
C’est le cas notamment de la demande d’accélération des projets de stockage d’eau, tels que les mégabassines : cela va totalement à l’encontre des recommandations des scientifiques qui considèrent que ces projets, dont plusieurs ont déjà été retoqués par la justice, sont une « mal-adaptation » au changement climatique. Ces infrastructures sont une aberration dans un contexte où le changement climatique va nécessiter des mesures profondes d’adaptation et non un accaparement de l’eau par quelques grosses exploitations agricoles.
La demande actuelle de la FNSEA visant à réautoriser certains pesticides particulièrement toxiques est une démarche consternante qui met en péril la santé des agriculteurs, leurs conditions de production, ainsi que notre environnement. Il est impératif de dénoncer cette approche qui favorise les intérêts à court terme au détriment d’une vision plus durable et respectueuse de l’environnement.
Les velléités d’hyper-simplification des procédures en matière agricole constituent une tendance dangereuse permettant de faciliter l’industrialisation des systèmes de production, de limiter les contrôles et les études de risques sur les installations polluantes, et d’affaiblir les potentiels recours juridiques contre l’agro-industrie. Cette industrialisation à tout-va s’accompagne en réalité d’une destruction des emplois agricoles dont le nombre n’a cessé de diminuer ces dernières décennies.
Les dirigeants de la FNSEA, en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l’eau, cherchent avant tout à préserver un système agro-industriel et non à résoudre en profondeur les problématiques du métier de paysan, producteur d’alimentation pour toutes et tous les concitoyen·nes.
Enfin, il est illusoire de penser qu’une suppression des normes résoudrait tous les problèmes de la crise agricole en cours. De même, il est trompeur de laisser croire que le revenu complémentaire issu de la production d’énergie (agrivoltaïsme, méthanisation, agrocarburants, autant de fausses solutions pour lesquelles TotalEnergies et la FNSEA ont noué un partenariat) permettra de régler la question de la paupérisation des agriculteurs. Les agriculteurs ne devraient pas avoir à s’improviser producteurs d’énergie pour vivre.
Il est inquiétant de constater que les dirigeants de la FNSEA, en tant que syndicat majoritaire impliqué dans la gestion des politiques agricoles depuis des décennies (et en partie responsable de la crise actuelle), ou encore des Jeunes Agriculteurs, tentent de manipuler la légitime colère des agriculteurs pour promouvoir un agenda anti-écologiste, au profit des intérêts de l’agro-industrie et au détriment de ceux qu’ils sont censés représenter.
4. Quelles sont les solutions pour sortir de la crise agricole et garantir des revenus aux agriculteurs ?
Le système agro-industriel, soutenu par des politiques ultra-libérales, mène dans une impasse sociale et environnementale et entraîne la paupérisation du monde agricole. Chaque agriculteur et agricultrice doit pouvoir vivre dignement de son travail, dans un environnement sain.
Face à la crise agricole, voici plusieurs mesures qui nous semblent impératives pour réformer le monde agricole et garantir des revenus décents pour les agriculteurs :
- L’arrêt définitif des négociations de l’accord de libre-échange Union Européenne-Mercosur, un moratoire sur tous les autres accords commerciaux en négociation et un réexamen de tous les accords en vigueur, concernant la concurrence déloyale engendrée par cette politique de libre-échange, y compris au sein de l’UE entre pays membres.
- L’interdiction de la vente de produits agricoles en dessous des prix de revient et l’instauration de prix garantis pour les produits agricoles.
- L’encadrement strict des marges des intermédiaires, notamment de la grande distribution.
- Le soutien renforcé à l’installation et au maintien des agriculteurs en bio ou en transition, un soutien renforcé aux élevages écologiques, aux filières végétales pour l’alimentation humaine et aux légumineuses
- Une réforme de la Politique agricole commune (PAC) en profondeur, pour flécher l’argent public vers les structures écologiques et la transition, et non vers l’agro-industrie et les structures les plus polluantes comme c’est le cas actuellement.
Il faut aujourd’hui des réponses concrètes et ambitieuses de la part du gouvernement sur ces points, pour une transformation du système agricole, et non des mesures palliatives. L’État doit assumer ses responsabilités face à la crise agricole et environnementale : sans améliorer les revenus des agriculteurs, ceux-ci ne pourront pas mener la transition agro-écologique.