Notre futur climatique vu par Julien Dupont Article de REPORTERRE

Paris sous l’eau, l’Occitanie en désert : ces cartes imaginent notre futur climatique

Avec ses cartes et ses mots, l’artiste-enseignant Julien Dupont raconte des futurs. Une farandole d’avenirs dessinés par l’évolution du climat, les océans qui montent, et surtout l’imagination. Reporterre l’a rencontré.

Professeur d’histoire-géographie en collège, Julien Dupont est aussi artiste cartographe. Dans un ouvrage publié début mars, Imaginer Demain, Chroniques cartographiques d’un monde à venir (Armand Colin), il imagine les contours du monde futur, profondément modifié par le changement climatique, d’ici un à deux siècles. L’exercice, volontairement irréaliste, veut interpeller sur les futurs possibles qui nous attendent. L’auteur nous a autorisé à reproduire quelques-unes de ses cartes et nous a livré quelques réflexions autour de son travail.


Reporterre — Pourquoi avoir fait le choix de passer par la cartographie pour imaginer l’avenir ?

Julien Dupont — Les cartes me servent depuis longtemps de support pour raconter des histoires fictives mais aussi rendre compte de phénomènes, ou de sentiments. J’ai réalisé des cartes qui décrivaient certains aspects du confinement pendant la pandémie de Covid-19, autour du quotidien, des questions de migrations ou de complots, par exemple.

Les cartes peuvent être utilisées comme un média. Dans ce livre, mes cartes cherchent aussi à faire passer un message, je les utilise un peu comme des dessins de presse : elles ne prétendent pas à l’exactitude, sont dessinées à la main et peuvent être provocatrices. Elles ont vocation à s’adresser au grand public et à susciter des réactions, à surprendre, à faire réfléchir.

« Les Grandes Pluies de la fin du XXIe siècle gonflèrent les fleuves et rivières, engloutissant sous la boue de nombreuses cités, désormais noyées sous la végétation. […] Ce qui reste de la ville de Lyon vers 2124 : un gros village installé sur la rive gauche du Rhône. » (Extrait du livre « Imaginer demain », de Julien Dupont) © Julien Dupont

Vous mentionnez dans votre livre des travaux scientifiques, des projections des climatologues pour le futur et vous dessinez quelques cartes du monde présent. Mais vos cartes du futur s’exonèrent de tout réalisme. Pourquoi entretenir cette ambiguïté entre science et fiction ?

Le futur est un territoire hors d’atteinte, forcément propice à l’imaginaire. Mon travail fait écho aux œuvres de science-fiction ou d’anticipation, de la littérature ou du cinéma. Certaines se sont complètement trompées, d’autres ont été visionnaires. Se dégager de cette idée de plausibilité absolue permet de laisser dériver les récits possibles et d’extrapoler, de tirer le fil à partir des scénarios envisagés par les scientifiques. Cela permet d’ouvrir des pistes pour l’avenir, en montrant des choses très pessimistes mais aussi d’autres plus utopiques comme ma carte de l’Afrique, où le continent aurait réussi à se réapproprier l’usufruit de ses ressources et à se développer de manière vertueuse.

Paris, 2124. Julien Dupont imagine la capitale transformée en mer intérieure après de « Grandes Pluies » de la fin du XXIe siècle, inspiré du roman « Nostalgie de la magie noire », de Vincent Ravalec (1997). © Julien Dupont

Les cartes charrient des symboles forts et participent à forger notre représentation du monde, notre manière de l’habiter. Peuvent-elles être, en ce sens, un levier important dans la bataille des imaginaires, la bataille culturelle qui est menée au nom de l’urgence écologique ?

Les cartes ont souvent été des outils de puissance, utilisés par les pouvoirs publics. Les cartes officielles sont porteuses d’une aura qui reste forte aujourd’hui, comme objet d’autorité : je le vois dans mes classes, les élèves griffonnent parfois sur les murs, jamais sur les cartes. Je le vois aussi chez des adultes : en réaction à mes cartes provocatrices où je superpose l’Europe et le Moyen-Orient ou la France et le Maroc, je reçois parfois des commentaires identitaires, violents ou choqués.

Le front pionnier antarctique, 2424. « À la fin du XXIIIe siècle, les derniers survivants du changement climatique arrivèrent à migrer vers le dernier continent habitable, préservé de la fournaise et dont le dernier glacier avait disparu en 2298. (…) Des villes minières surgirent bientôt, et bien qu’interdites, elles furent tolérées en raison des besoins en métaux des stations, elles aussi de plus en plus peuplées. » (Extrait du livre « Imaginer demain », de Julien Dupont) © Julien Dupont

On reçoit généralement les cartes officielles, ces représentations du monde, de manière passive, sans les questionner. L’Éducation nationale a aussi comme programme de faire comprendre les cartes aux élèves, mais jamais d’en construire. Nous sommes plusieurs collègues à essayer de mettre ça en place et c’est intéressant de voir la réaction des élèves. Lorsqu’on leur demande d’imaginer des cartes, de cartographier leur environnement, certains élèves très scolaires paniquent un peu face au vide, à cette liberté offerte, tandis que d’autres moins à l’aise à l’écrit le sont davantage avec ce genre de dessins.

Agriculture vivrière à grande échelle, réappropriation des ressources minières pour le développement des populations locales, collaborations pour développer de vastes réseaux de lignes TGV et cyclables pour vélo-cargos électriques : Julien Dupont dessine un avenir utopique pour une Afrique qui se serait émancipée grâce au « Grand Changement » provoqué par les troubles climatiques. © Julien Dupont
Imaginer demain. Chroniques cartographiques d’un monde à venir, de Julien Dupont, aux éditions Armand Colin, mars 2024, 208 p., 19,90 euros.

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