Risques climatiques autour de la Méditerranée REPORTERRE

C’est un cercle vicieux : renforcées par le changement climatique, les catastrophes naturelles s’imbriquent les unes aux autres. Elles risquent d’être plus fréquentes dans les prochaines décennies, surtout autour de la Méditerranée.

Maroc, Catalogne, Pyrénées-Orientales, Sicile, Grèce, Turquie… De nombreuses régions du pourtour méditerranéen subissent actuellement des sécheresses historiques. Ces sécheresses hivernales entraînent des restrictions en eau dans de nombreuses régions méditerranéennes ainsi que d’importants risques de feux de forêts, ainsi que le soulignait dès janvier le Centre commun de recherche de la Commission européenne.

Ironie cruelle : des régions toutes proches connaissent au même moment des crues catastrophiques, à l’instar du nord de la France fin 2023 et à nouveau dans plusieurs départements français lors du week-end de Pâques.

Ces deux séries d’évènements ne sont pas directement reliées. Elles sont toutefois annonciatrices d’une dynamique inquiétante : sécheresses, crues et feux risquent de voir leurs occurrences augmenter dans les prochaines décennies, particulièrement autour de la Méditerranée. Sous l’effet du changement climatique, ces différentes catastrophes naturelles suivront des dynamiques complexes et entremêlées, rétroagissant les unes sur les autres. Voici comment.

1 — Des pluies de moins en moins efficaces

Les sécheresses hivernales qui frappent la Méditerranée inquiètent, d’abord parce que le phénomène est voué à s’accentuer avec le changement climatique. Dans le sixième rapport d’évaluation du Giec, le chapitre consacré à la Méditerranée note, avec un haut degré de certitude, que les précipitations devraient diminuer d’environ 4 % pour chaque degré de réchauffement supplémentaire. La baisse concerne toutes les saisons dans le sud et le centre de la région. Elle est toutefois attendue surtout l’été dans le nord du bassin.

Dans la partie française de la Méditerranée par exemple, bien que les pluies soient attendues à la baisse l’été, le volume annuel de pluie ne devrait ainsi pas beaucoup évoluer. Il pourrait même être légèrement en hausse d’après les données des laboratoires français de modélisation du climat, regroupées au sein du projet Drias 2020.

Le changement crucial que cache cette stabilité, c’est la modification saisonnière de ces pluies. « Le changement climatique tend à renforcer les caractéristiques du climat méditerranéen, explique Antoine Nicault, qui a coordonné le Grec Sud, le Groupe régional d’experts climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il pleut plus à l’automne et au printemps, moins l’hiver et l’été. Ces tendances pourraient se renforcer. »

 

Premier problème de ces déficits hivernaux : l’eau est moins « efficace » lorsqu’elle tombe au printemps plutôt que l’hiver. La végétation qui se réveille pompe et transpire une partie de cette eau tandis que la température qui monte entraîne une plus grande évaporation des sols. En moyenne, près de deux tiers des pluies continentales repartent dans le ciel par cette évapotranspiration ! Ce phénomène est bien moins marqué l’hiver ; ce qui rend les pluies hivernales capitales pour recharger les nappes phréatiques.

« Les sécheresses hivernales que subissent la Sicile ou le Maroc sont des facteurs aggravants des sécheresses estivales. Mais à nos latitudes, ce type de prévisions est malheureusement impossible, car des précipitations abondantes juste avant l’été peuvent recharger les nappes », note Hervé Douville, climatologue à Météo France et coordinateur du chapitre dernier rapport du Giec consacré aux changements du cycle de l’eau.

2 — Des sols plus chauds et des phénomènes plus extrêmes que prévu

Les sécheresses hivernales sont d’autant moins compensées l’été que les températures, toujours plus chaudes, accentuent l’évapotranspiration : même à volume de pluie constant, un climat plus chaud signifie plus de sécheresses. Or, la Méditerranée est un « hotspot » du changement climatique, prévient le Giec : la région se réchauffe 20 % plus rapidement que la moyenne mondiale.

En Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca), c’est même pire : la région s’est déjà réchauffée de 2,1 °C tandis que la température moyenne du monde montait de 1,1 °C. Le Grec Sud note que, d’ici 2050, dans le scénario médian, la région devrait encore voir la température grimper de 1,7 °C par rapport à la période de référence 1976-2005, et voir le nombre de jours de vagues de chaleur bondir, passant de 2 par an à moyenne à 17.

 

Autre illustration juste à côté, dans l’Hérault, où le réchauffement a déjà provoqué une forte hausse de l’évapotranspiration annuelle. Entre 1960 et 2022, la quantité d’eau évapotranspirée chaque année dans l’atmosphère au détriment des nappes et cours d’eau a augmenté en moyenne de 300 mm, alertait dans une récente conférence l’hydroclimatologue Yves Tramblay, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Sécheresse des sols et réchauffement s’autoalimentent également dans un cercle vicieux puisque, plus un sol est sec, plus il se réchauffe vite. En septembre 2023, des chercheurs montraient, dans la revue Nature Climate Change, que les chaleurs extrêmes dans les sols augmentaient plus vite que celles de l’atmosphère, et que cette chaleur pouvait à son tour réchauffer l’air environnant, alimentant davantage les mécanismes de sécheresse dans une boucle de rétroaction délétère.

L’ensemble de ces phénomènes explique en partie la succession de records de sécheresses, qui s’empilent dangereusement ces dernières années, au point d’inquiéter les chercheurs. Une étude publiée en 2023 dans Nature Water anticipe que les crises de l’eau pourraient devenir plus sévères que ce que prévoyaient jusqu’ici les modèles.

« Les assèchements observés sont sous-estimés par la plupart des modèles climatiques. C’est une chose que l’on a signalée dans le dernier rapport du Giec, confirme Hervé Douville. Pour autant, on ne peut pas encore certifier si ce qu’on observe actuellement est lié uniquement au changement climatique ou en partie à la variabilité naturelle du climat. »

3 — La végétation : moteur des feux

L’une des conséquences possibles de ces phénomènes, c’est l’assèchement, voire la mort de la végétation, qui rend le milieu beaucoup plus vulnérable aux feux, comme ceux qui ont ravagé de larges parts de la France et de l’Europe en 2022, ou par exemple de la Grèce encore à l’automne dernier. Dans le bassin méditerranéen, le rapport du Giec sur le changement climatique et les terres émergées de 2019 estime que les « dommages causés par les feux incontrôlés » pourraient augmenter de 50 %, à moins de 2,5 °C de réchauffement global.

« On a longtemps entendu des climatosceptiques nier la réalité de la hausse des feux. La hausse était cachée par l’augmentation parallèle des moyens de prévention et de lutte. Mais on atteint maintenant une limite : nos moyens d’action ne suffisent plus et les feux augmentent, y compris aux hautes latitudes. Un climat plus sec favorise clairement les feux », souligne Hervé Douville.

« Nos moyens d’action ne suffisent plus »

Un lien contre-intuitif existe toutefois entre sécheresses et incendies puisque les sécheresses hivernales tendent, elles, à réduire le risque d’embrasement l’été suivant. « L’idéal, pour un incendie, c’est un hiver humide, car cela fait pousser la végétation. Si l’été assèche ensuite les plantes, cela donne la situation la plus ravageuse. Mais un hiver sec prive les feux de végétation, donc de combustible », explique le climatologue Joël Guiot, directeur de recherche émérite au CNRS, qui a lancé et coordonné le groupe méditerranéen d’experts sur les changements environnementaux et climatiques (MedECC).

4 — Plus de feux, plus de crues ?

À l’inverse, les feux peuvent indirectement augmenter les risques… d’inondations. Ils interfèrent en effet dans le lien entre sécheresse et crues. On constate souvent que les sécheresses précèdent et favorisent les crues. « C’est un phénomène très complexe mais, paradoxalement, un sol plus sec aurait plutôt tendance à avoir un rôle protecteur contre les crues en laissant l’eau s’infiltrer. Ce qui rend le sol imperméable, ce n’est pas la sécheresse en elle-même mais lorsque celle-ci entraîne la mort de la végétation. Car c’est elle qui crée des espaces dans le sol pour que l’eau s’infiltre. Les sols nus, notamment certains sols cultivés, sont ceux qui deviennent plus imperméables, peuvent entraîner ruissellements et coulées de boue », dit Olivier Payrastre, spécialiste des phénomènes de crues éclairs à l’université Gustave Eiffel.

Ainsi, la sécheresse entraîne la mort des végétaux, elle-même potentiellement accentuée par les feux, contribuant à rendre les sols imperméables et vulnérables à l’arrivée des crues et inondations. « Des travaux ont notamment montré le lien entre les mégafeux, en Grèce, et la survenue de crues éclairs. C’est un risque qui, en région méditerranéenne française, ne peut non plus être exclu », estime Olivier Payrastre.

Ces éléments aggravent les risques de crue mais la cause première de celles-ci est la même que celle qui provoque les sécheresses : le bouleversement du rythme des pluies. Si celles-ci seront plus rares aux moments critiques, aggravant les risques de sécheresses, elles seront aussi plus intenses dans le nord du bassin méditerranéen, montre notamment Yves Tramblay. Leur intensité venant alors renforcer le risque de dépasser la capacité d’absorption des sols, plus ou moins imperméabilisés par les phénomènes précédemment évoqués.

En Paca, les précipitations de plus de 200 mm par jour ont déjà doublé depuis le milieu du XXᵉ siècle, relève le Grec Sud. Nouveau paradoxe ici : les crues sont observées à la baisse depuis 1960 dans la région nord du bassin méditerranéen dans une étude publiée dans Nature en 2019, et pourraient continuer à l’être, malgré la hausse des pluies extrêmes. « La hausse de l’aridité tamponne en quelque sorte l’intensification des pluies. Beaucoup d’autres facteurs entrent en compte, notamment l’aménagement du territoire », précise Yves Tramblay.

Comment anticiper au mieux l’évolution de tous ces risques ? « Jusqu’en 2050, tous les scénarios sur la hausse des températures sont assez convergents, mais sur tout ce qui touche au cycle de l’eau, il y a énormément d’incertitude, rappelle Antoine Nicault. On a beaucoup de mal à anticiper les conséquences en cascade. Ce qui est sûr, c’est qu’on va vers des sécheresses plus fréquentes et plus intenses dans la région. »

Le sud du bassin méditerranéen est aussi dans une situation beaucoup plus critique. « Dans le sud de la France, la saison sèche qui fait 2 ou 3 mois va passer à 4 ou 5 mois, ce n’est pas insurmontable. Pour le littoral de l’Afrique du Nord, cela risque d’être bien plus dramatique, avec une végétation qui aura beaucoup moins de chance de pouvoir s’adapter au manque d’eau », craint Joël Guiot.

La certitude, pour l’ensemble des chercheurs interrogés : il est urgent de nous adapter à ces multiples risques climatiques, en réduisant notre vulnérabilité aux feux et inondations, et en réduisant notre consommation et nos besoins en eau, notamment. Et nous sommes, de l’avis de ces experts, loin de faire le nécessaire en la matière.

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