Redonnons du pouvoir aux citoyens REPORTERRE

Une Assemblée fragmentée, un pays divisé, des partis sans majorité… Face à l’impasse actuelle, les politiques pourraient plutôt miser sur la démocratie participative en redonnant du pouvoir aux citoyens.

Et si la solution à la crise politique venait du peuple, de sa mobilisation et de son implication dans les processus de décision ? Alors que le fonctionnement de l’Assemblée nationale paraît bloqué faute de majorité, de nombreux acteurs de la société civile invitent les politiques à imaginer d’autres manières de délibérer ensemble et à inventer de nouveaux modèles démocratiques, dans la lignée des Conventions citoyennes, des budgets participatifs et des référendums d’initiative populaire.

Une certaine vision de la politique semble, en effet, avoir vécu. Fragmentée en trois blocs — le Nouveau Front populaire (NFP), Ensemble et le Rassemblement national (RN) —, l’Assemblée nationale est désormais ingouvernable. Sous le couperet des motions de censure, l’approche purement clanique et partisane paraît, elle aussi, vouée à l’échec vu l’équilibre des forces.

« Une opportunité de réinterroger nos institutions »

Sur le perron de Matignon, dimanche 7 juillet, le Premier ministre en sursis, Gabriel Attal, le reconnaissait lui-même. « Nous devrons assumer de tout remettre en question dès demain et bâtir une offre politique nouvelle. Le centre de gravité du pouvoir sera désormais, plus que jamais, entre les mains du Parlement », a déclaré le macroniste, enjoignant à la représentation nationale d’« inventer quelque chose de neuf, de grand, d’utile ».

Ces belles formules ont vite disparu sous le poids de la realpolitik et de la course au pouvoir. À chaque bout du spectre de l’échiquier politique, les états-majors bataillent pour tirer la situation à leur avantage. Le camp présidentiel refuse de reconnaître que le Nouveau Front populaire est en tête. Le Parti socialiste (PS) tente d’obtenir le plus grand groupe à gauche pour marginaliser La France insoumise (LFI), le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin cherche à séduire Les Républicains (LR) pour une coalition centrale. Tous tentent d’arracher cette majorité introuvable. Une autre voie serait pourtant possible. Faute d’accord entre élus, la clé pourrait aussi être extraparlementaire et se situer en dehors des logiques politiciennes.

« La crise actuelle est une opportunité de réinterroger nos institutions et leur fonctionnement, veut ainsi croire Cyril Dion. Notre modèle de démocratie représentative est à bout de souffle. » En 2019, le documentariste avait été à l’initiative de la Convention citoyenne pour le climat. Le groupe de 150 citoyens et citoyennes tirés au sort avait alors émis après de longues délibérations des mesures fortes pour l’écologie, que l’exécutif s’était empressé de ne pas appliquer.

Aujourd’hui, face à l’impasse, Cyril Dion plaide pour « aller plus loin que des assemblées consultatives ». « Si le Parlement est bloqué, si on a des difficultés à trouver des majorités pour voter des lois, utiliser des procédés comme des référendums d’initiative citoyenne délibératifs, déclencher des votations comme en Suisse sur un sujet précis, créer une assemblée citoyenne tirée au sort qui dégrossirait le débat en toute transparence, cela serait autant de manières de progresser », défend-il auprès de Reporterre.

Expérimenter, plutôt que dégainer des 49.3

« On a un an devant nous. On ne peut pas redissoudre d’ici là l’Assemblée. Alors soit on passe en force, on gouverne à coups de 49.3 et on va vers un appauvrissement démocratique généralisé, soit on expérimente autre chose, en impliquant la population », affirme le réalisateur.

À gauche et au sein de la société civile, ils sont plusieurs à considérer cette période comme charnière. « Au sortir des élections législatives, la France est dans une contradiction mortelle, souligne dans un blog de Mediapart le militant écologiste et pasteur Stéphane Lavignotte. […] D’un côté, nous devons prendre des mesures fortes pour soigner un pays meurtri sinon il risque de se jeter dans les bras du fascisme, de l’autre, l’Assemblée est incapable de les prendre. »

« L’Assemblée doit accepter d’être débordée par les citoyens »

« Sortir du vieux logiciel » est nécessaire, explique-t-il à Reporterre. Le militant appelle à inventer de « supercommissions parlementaires » en mode participatif et consensuel. « Dans les associations, dans l’éducation populaire, dans la communication non violente, il y a une foultitude de méthodes pour laisser de côté les affrontements et les affirmations des égos pour construire des consensus. » Le Parlement devrait s’en inspirer.

« L’Assemblée doit accepter d’être débordée par les citoyens. Elle doit davantage inviter la société civile à construire avec les députés la loi, redonner du pouvoir à la Commission nationale du débat public et greffer tous ces outils au travail législatif. »

« Une République délibérative »

Le militant rappelle que « seule Marine Le Pen profiterait du statu quo et du blocage à l’Assemblée nationale. Dans leur instinct de survie, il faut que les partis sortent de leur déni et changent de culture politique ».

Il y a en effet urgence. Selon l’enquête « fractures françaises » d’Ipsos, la défiance à leur égard est grandissante. Pour 58 % des Français et Françaises, la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus. 75 % pensent que les responsables politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels. Pour 69 %, « le système démocratique fonctionne mal ». 71 % des Français et Françaises n’ont pas confiance dans l’Assemblée nationale et 83 % se défient des partis politiques.

« La “démocratisation de la démocratie française”, selon l’expression de l’économiste Maxime Combes, est le seul moyen d’éviter la catastrophe. Si la démocratisation ne s’improvise pas et prend du temps, il faut dès maintenant enclencher la dynamique. »

 

Très concrètement, plusieurs chantiers pourraient être menés rapidement. Changer de mode de scrutin et promouvoir la proportionnelle pour les législatives est un dossier sur lesquels les forces politiques en présence actuellement à l’Assemblée nationale pourraient être raccord. Contrairement au mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, la proportionnelle permettrait de mieux refléter l’état de la société et serait plus représentative. Préparer dès maintenant la future loi de finances de cet automne en y intégrant les citoyens avec des budgets participatifs pourrait aussi être une manière de dépasser des clivages partisans. Pour impulser cette culture du consensus et de l’écoute, au sein de l’Assemblée, Stéphane Lavignotte plaide également pour l’examen en priorité de textes transpartisans, comme celui sur la fin de la vie ou sur les polluants éternels (PFAS), qui avaient trouvé une majorité en dehors des seules lignes des partis.

En parallèle, il pourrait être intéressant de profiter de la période pour rouvrir le dossier des cahiers de doléances des Gilets jaunes. Cinq ans après le lancement du grand débat national, les doléances n’ont toujours pas été rendues publiques. Près de 20 000 cahiers sont ainsi gardés au chaud dans les archives départementales. Un « trésor national » dont devraient s’inspirer les responsables politiques, estime la députée écologiste Marie Pochon, qui a déposé une proposition de loi transpartisane pour les rendre publics. « Ces idées émises par des citoyens pourraient irriguer la vie politique française, dit-elle. Ce peut être des outils utiles pour nous guider à l’heure actuelle. »

Certains proposent une remise en cause plus générale. « À une crise institutionnelle, il faut une réponse institutionnelle », clame ainsi le chroniqueur et politologue Clément Viktorovitch. Dans une récente vidéo, il relaye une pétition mise en ligne pour changer de Constitution et imposer une constituante. Il s’agit d’aller vers un régime plus parlementaire, un Sénat citoyen tiré au sort avec des conventions citoyennes, de monter des maisons du peuple et des agoras citoyens. « Une République délibérative » qui permettrait à la France d’être à la hauteur de son histoire, défend-il. Un vaste programme plus enchanteur qu’une coalition zombie…


Des exemples à l’étranger

  • Aux États-Unis, c’est à la suite d’un « sondage délibératif » auprès de citoyens tirés au sort que le Texas a décidé en 1998 d’accroître la part des énergies renouvelables au détriment du pétrole.
  • En Irlande, en 2015 et 2018, des assemblées citoyennes tirées au sort, suivies de référendums, ont permis d’inscrire le mariage pour tous et le droit à l’avortement dans la constitution d’un pays catholique, alors que l’enjeu divisait la société.
  • En Équateur, des budgets participatifs ont permis à la population de flécher les dépenses publiques vers des infrastructures (routes, canalisations d’eau) pour les plus pauvres, mais aussi de nombreux projets d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.

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