Les grottes Chauvet et Cosquer menacées REPORTERRE

 

Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche), reportage

Sortant de la pénombre, les visiteurs clignent des yeux, à la fois éblouis par le soleil et ce qu’ils viennent d’admirer : des peintures rupestres datant d’il y a 37 000 ans pour les plus anciennes. « On a beaucoup aimé », déclarent Nathalie et Olivier, des Lillois venus avec leurs deux enfants en vacances en Ardèche. Ils assaillent leur guide de nouvelles questions. Quelle était la taille des artistes ? Certains dessins sont bien hauts. Et que signifient ces « ceintures » sur le ventre des bisons ?

À chaque flot de touristes qui sort de la réplique de la grotte Chauvet, dite Chauvet 2, la même scène se répète. Delphine, cheveux gris bouclés et microphone en bandoulière, guide depuis 2019, entretient l’émerveillement. « Cette grotte m’a embarquée, vous pouvez la voir cinq fois par jour et être encore émue face au dernier panneau des lions », dit-elle. Elle a autour d’elle une dizaine de touristes qui demandent que la conférence se poursuive. Elle aime les tenir en haleine. « C’est parce qu’on ne sait pas tout que c’est passionnant, il y a du suspens », explique-t-elle .

En effet, les mystères de la grotte Chauvet, découverte en 1994, sont bien loin d’avoir été tous révélés. Et pour les protéger, et se donner le temps de les éclaircir au rythme des progrès de la science, la conservation de la grotte originale fait l’objet de soins constants. Car même fermée grâce à un effondrement à l’entrée de la grotte qui a permis aux peintures d’arriver miraculeusement jusqu’à nous ; même si elle n’a jamais été ouverte au public et que la décision a été rapidement prise de construire une réplique ; même si la caverne est à 40 mètres de profondeur… Elle reste soumise, comme toutes les grottes ornées de France, aux aléas du monde extérieur. Et notamment, désormais, au changement climatique, ajoutant un nouveau défi au travail des conservateurs.

« Le changement climatique a plusieurs effets sur les grottes », explique à Reporterre Marie-Blanche Potte, conservatrice de la grotte Chauvet. Elle veille à la pérennité de la cavité et de ses trésors pour le compte du ministère de la Culture, qui en est le propriétaire. « Cela influe sur la température de la grotte. Ce n’est pas une évidence, mais les grottes ont la même moyenne annuelle de température que la surface. Simplement cela ne se répartit pas pareil, il y fait plus chaud en hiver et plus froid en été. »

Des précautions ont été prises

Les grottes se forment logiquement dans des sols perméables, en particulier à l’eau, et sont en lien avec la surface. Les événements climatiques extrêmes appelés à être plus fréquents, telles que sécheresses ou pluies intenses, « s’observent très bien dans la grotte Chauvet », poursuit la conservatrice. « On voit de l’eau dans certaines zones où l’on en avait jamais vu en trente ans, et en période de sécheresse des zones plus sèches que d’habitude. » S’ils sont étroitement surveillés, « pour l’instant ces mouvements d’eau et de température ne présentent aucun danger pour la conservation de la grotte », nous rassure-t-elle. En revanche, cela réduit sans cesse la plage de temps annuelle durant laquelle les équipes de recherche et de maintenance peuvent pénétrer dans la grotte. « On ne peut plus rentrer dans la salle du fond [celle des lions] huit mois par an », regrette-t-elle.

 
« Cette grotte m’a embarquée, vous pouvez la voir cinq fois par jour et être encore émue face au dernier panneau des lions », dit la guide. © Marie Astier / Reporterre

Des précautions ont aussi été prises en cas d’incendie en surface. Le risque augmente avec les températures. « On est en lien permanent avec la préfecture, et on préconise — on ne peut pas imposer — l’absence de largage par les canadairs au-dessus de la grotte », raconte-t-elle. « Ce serait un apport majeur d’eau, avec une composition et une salinité différentes de celle qui coule habituellement à Chauvet, cela pourrait modifier l’équilibre de la grotte », détaille-t-elle. Enfin, un incendie, avec la végétation brûlée en surface, lessivée par la pluie, « représenterait un apport de carbone majeur et élèverait la concentration en CO2 dans la grotte ».

Si à Chauvet, il n’y a pas d’inquiétude pour les peintures pour l’instant, les effets du changement climatique sur les grottes ornées n’en est pas moins devenu un sujet de préoccupation pour le petit monde archéologique français. Fin 2022, un programme de recherche a été lancé. Son but : prendre en compte la crise climatique dans la stratégie de conservation des cavités ornées. « Les températures du sous-sol augmentent petit à petit, de 0,3 à 0,6 °C tous les dix ans », nous explique par courriel le chercheur coordinateur du programme Bruno Lartiges. Cela augmente la différence de température « entre parties de la grotte peu profondes et parties plus profondes », modifiant en quelque sorte le microclimat de la grotte, la circulation de l’air et de l’eau. Cela peut par exemple « assécher les parois […] et rendre la peinture moins lisible, y faire de la condensation […] et lessiver la peinture, ou transporter des micro-organismes et déclencher des crises biologiques [comme des champignons colonisant les parois] », écrit-il.

En suivant de près le microclimat de trois grottes, ce programme espère donc pouvoir « identifier les situations critiques ou points de bascule, pouvant déboucher sur une altération rapide (physique et/ou biologique) du patrimoine orné ».

Cosquer, à la merci de l’élévation du niveau de la Méditerranée

Le risque est réel. À Lascaux, la hausse des températures terrestres n’est pas le seul facteur mis en cause, mais on sait qu’elle a joué un rôle dans les déboires qu’elle a subis. Elle a été d’autant plus sensible que son plafond n’est qu’à 10 m sous terre. « Les grottes ornées les plus menacées sont les plus superficielles, à moins de 10 m de profondeur », confirme Bruno Lartiges.

Le physicochimiste dit également être préoccupé, comme l’équipe de Chauvet, par les événements climatiques extrêmes tels que les sécheresses ou les épisodes de pluie intenses. Pour cela, « on peut juste croiser les doigts », estime-t-il.

Malgré la prise de conscience et les recherches en cours, il existe des chefs-d’œuvre que l’on ne pourra pas sauver. En particulier la grotte Cosquer, dont l’entrée se trouve dans les calanques de Marseille, à 37 m au-dessous du niveau de la mer. Les œuvres qui s’y trouvent ont été datées de 32 500 et 19 000 ans avant notre ère. Avec la fin de la dernière ère glaciaire, l’entrée de la grotte a progressivement été rejointe par la mer puis submergée il y a environ 10 000 ans.

« On peut juste croiser les doigts »

Son originalité est que, outre les classiques chevaux, bisons ou aurochs, on y trouve aussi quelques animaux marins représentés : phoques, grands pingouins, méduses, poissons, cétacés. Mais, parce qu’une grande partie de la grotte est sous l’eau, la majeure partie des œuvres était déjà perdue avant même la découverte en 1991. « On a estimé qu’il ne nous est parvenu que 20 % des surfaces qui étaient accessibles aux hommes pour de l’ornementation », explique à Reporterre Luc Vanrell, qui a été directeur scientifique de la grotte pendant vingt ans, jusqu’en 2021.

En montant, l’eau lèche les parois et efface les peintures. La grotte est à la merci de l’élévation du niveau de la Méditerranée, et surtout « du niveau maximum atteint par les eaux », souligne Luc Vanrell. Celui-ci peut aller bien plus haut que le niveau moyen de la mer. « Les marées peuvent atteindre jusqu’à 50 cm de haut dans la grotte », dit-il. Pire, à cause des tempêtes, « il y a déjà longtemps qu’on a passé le 1,40 m. On a une sorte d’effet de démultiplication ». Avec le changement climatique, « on sait que les tempêtes vont être de plus en plus intenses », souligne le scientifique, qui estime que les œuvres qu’il protège et étudie auront totalement disparu d’ici 150 ans « si on ne fait rien ».

À la sortie de la grotte Chauvet 2, l’évocation des effets du changement climatique sur les grottes inquiète les visiteurs. « C’est un patrimoine de l’humanité, qui doit aussi profiter aux générations futures », estime Christian, un grand-père venu de l’Ain. « La grotte date d’une ère glaciaire, elle a déjà connu un changement climatique », fait justement remarquer Nathalie la lilloise. « Elle a vécu le phénomène de façon lente », répond la conservatrice de la grotte Chauvet Marie-Blanche Potte. « Ce qui nous inquiète aujourd’hui, c’est la brutalité des événements : de la hausse des températures, des incendies… »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*