Noël a été marqué par des records de douceur partout en France. Le froid devient « malheureusement remarquable », dit François Gourand, de Météo France. On en oublie les hivers passés : « Notre mémoire de la météo est courte. »
François Gourand est météorologue à Météo France.
Reporterre — 22,1 °C le 21 décembre à Ciboure, 20,6 °C à Biarritz, 15,2 °C à Strasbourg… Les températures enregistrées ces derniers jours sont-elles normales pour la saison ?
François Gourand — Non. Ce sont des températures extrêmes. Dans le Languedoc-Roussillon, nous avons mesuré des valeurs vraiment remarquables pour la période. L’avant-veille de Noël, des stations de référence comme Nîmes, Béziers ou Arles ont battu des records pour la Méditerranée. Nous avons également battu des records de douceur nocturne sur une grande partie du pays.
Météo France prévoyait que le 25 décembre 2022 serait le deuxième plus chaud de l’histoire de l’Hexagone. Ces craintes ont-elles été confirmées ?
Oui. Il s’agit du deuxième Noël le plus chaud de notre histoire, après celui de l’hiver 1997. Cela dit, d’un point de vue scientifique, cela n’a pas beaucoup de sens de comparer des journées. Il est plus parlant de se pencher sur des périodes de dix jours ou d’un mois.
Ces températures s’inscrivent dans une tendance plus globale de réchauffement des hivers. La météo varie énormément : lorsque le vent vient du Sud, on a chaud, lorsqu’il vient du Nord, on a froid, même dans un climat réchauffé. Mais le réchauffement climatique décale tous les possibles vers le plus chaud. Les jours de froids deviennent de plus en plus rares, et moins intenses. Les jours chauds deviennent au contraire plus fréquents et intenses. Pour un record de froid battu, on a une bonne dizaine de records de chaleur.
La tempête hivernale qui a frappé les États-Unis il y a quelques jours et la vague de froid observée en France au début du mois remettent-elles en cause cette tendance ?
Absolument pas. Le climat et la météo sont des choses distinctes. La météo, c’est au jour le jour. Le climat correspond à la moyenne de toutes les situations observées sur une trentaine d’années, minimum, ce qui permet d’avoir des données cohérentes et homogènes. C’est une moyenne des possibles. Ce n’est pas parce que vous avez un coup de froid que cela remet en cause le réchauffement.
Le type de circulation dynamique observée aux États-Unis le week-end dernier, avec des dépressions très creuses, alimentées par l’air humide du golfe du Mexique et poussées par un air continental très froid, existe depuis toujours. Malgré cet évènement, on va quand même observer des moyennes en décembre qui s’inscrivent dans la tendance au réchauffement du climat.
« La tendance globale est au réchauffement des hivers »
En France, le mois de décembre s’inscrit également totalement dans le réchauffement climatique. L’année 2022 révèle même par moments qu’il va peut-être encore plus vite que ce que l’on imaginait. On a senti le froid pendant quinze jours au début du mois, certes. Mais les dix jours qui ont suivi ont suffi à faire revenir la moyenne de décembre 2022 au-dessus des normales de saison, qui sont, il faut le rappeler, récentes. Ce sont les moyennes de la météo depuis 1991 jusqu’en 2020. Le froid observé au début du mois n’aurait rien eu de fondamentalement remarquable il y a quarante ans. On était très, très loin des valeurs qu’on observait encore à la fin du XXe siècle.
Et même si l’on avait un mois de décembre très froid, avec -2 °C d’anomalie, ça ne remettrait pas en cause le changement du climat. La seule chose, qui pourrait le remettre en cause, ce serait que les moyennes de température ne montent pas comme des dingues à travers toute la planète. C’est malheureusement ce que l’on observe aujourd’hui.
On peut faire une analogie : le climat, c’est comme un lancer de dés. Si vos dés ne sont pas pipés, la moyenne de vos lancers de dés va être d’environ 3,5, et vous allez probablement faire autant de 6 que de 1. Avec le réchauffement du climat, les dés deviennent pipés. Vous allez faire souvent 5 et 6, mais rien ne vous empêche de faire 1 de temps en temps.
- En février 1929, des hommes cassaient la glace sur la Seine à Paris. gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Ces épisodes froids ont beaucoup fait parler d’eux. À l’inverse, personne ne semble s’être trop attardé sur l’anormalité des températures douces de ces derniers jours. Peut-on y voir une forme de normalisation de la douceur ?
Oui. La sensation de froid a été exacerbée par le fait que nous vivons dans un contexte trop doux, avec des températures inédites. Il faut se rappeler des vacances de la Toussaint, où il faisait 25 °C…
Notre mémoire de la météo est assez courte. Nous avons du mal à nous rappeler des phénomènes extrêmes, et nous les modelons dans le sens qui nous arrange. On entend par exemple souvent qu’il est normal qu’il fasse chaud en été, que le bitume suintait l’été en 1976. Mais non : si l’on regarde les observations météo de l’époque, on voit qu’on était cinq degrés en dessous de ce qu’on a vécu dernièrement.
« Notre mémoire de la météo est assez courte »
2019, 2020, 2021 : les derniers hivers ont été extrêmement doux. C’est pour cela que nous avons trouvé le froid du début du mois de décembre bizarre : cela faisait plusieurs années que nous n’avions pas mesuré de températures aussi froides. Le froid devient malheureusement assez remarquable dans notre nouveau climat. Il ne l’était absolument pas dans les années 1980 et 1990.