Valencia / L’ urbanisation l’autre responsable des inondations REPORTERRE

La violence des inondations dans le sud-est de l’Espagne est un reflet du changement climatique, mais également la conséquence d’un étalement urbain qui n’a pas pris l’eau en compte, explique l’urbaniste Clément Gaillard.

Les violentes inondations qui ont frappé la région de Valence, dans le sud de l’Espagne, mardi 29 et mercredi 30 octobre, ont fait au moins 205 morts et d’importants dégâts selon un bilan toujours provisoire.

Urbaniste spécialiste en conception bioclimatique et adaptation au changement climatique, Clément Gaillard détaille pour Reporterre les raisons qui ont fait apparaître le terrain propice à une telle catastrophe.
Reporterre — Il a plu plus de 400 mm d’eau en quelques heures par endroits autour de Valence, une quantité qui n’avait pas été observée depuis septembre 1996 (520 mm en 24 heures). Lors de tels épisodes extrêmes, les inondations sont-elles une fatalité ?

Clément Gaillard — Il est clairement documenté que ces pluies exceptionnelles vont augmenter en fréquence à cause du réchauffement climatique. De ce point de vue, ce qui nous tombe sur la tête est en effet une fatalité à laquelle il va falloir nous préparer.

Mais il y a quelque chose que nous maîtrisons, c’est la manière dont nous gérons ces épisodes extrêmes, en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de traitement des sols.

Valence se situe au bout d’un bassin versant gigantesque. Elle récupère toutes les eaux qui n’ont pas pu s’infiltrer en amont. Par le passé, il existait des zones tampons en périphérie de la ville, mais 9 000 hectares de vergers valenciens ont été détruits entre 1956 et 2011, soit deux tiers de leur surface, comme l’a démontré le géographe Victor Soriano. C’est quasiment la superficie de Paris. Cette urbanisation, à proximité de zones inondables, a augmenté la vulnérabilité.


Après les inondations majeures de 1957, la municipalité de Valence a dévié le fleuve Turia, en aménageant un nouveau lit de 12 kilomètres qui contourne l’agglomération par le sud…

C’est une approche typique de pratiques de l’époque. Nous avons canalisé des cours d’eau, dans de gros tuyaux enterrés ou à ciel ouvert. Sauf que le cycle de vie d’un fleuve, à l’état naturel, n’est jamais complètement régulier. Il se déplace dans son lit majeur. Vouloir le contraindre est une erreur.

A contrario, à Genève, en Suisse, il a été décidé de faire l’inverse, avec une renaturation des cours d’eau, notamment de l’Aire. La rivière va être déviée dans une zone où elle pourra reprendre son cours naturel, sans lui imposer de forme ou de trajectoire prédéfinie.


L’Espagne est-elle un cas à part ?

Des zones urbanisées de manière un peu anarchique, à proximité de zones inondables ou dans des lits majeurs de fleuves, nous en trouvons partout dans le monde. Cela correspond à une époque où l’urbanisation s’est faite sans prendre en considération les enjeux liés à l’eau. Nous avons traité l’eau pluviale comme un déchet. Nous payons 150 années d’urbanisation brutale.


Que faut-il faire concrètement ?

C’est toute la question de l’urbanisme. Il y a deux chemins : si nous avons de l’argent, nous pouvons aménager les sols, les surfaces, les bâtiments. Le plus possible, il faut que les nouvelles opérations d’aménagement nouvelles prennent en compte ces sujets. Et nous avons la possibilité de faire évoluer l’existant. Certaines zones commerciales se désertifient aujourd’hui. Nous pouvons les transformer pour faire en sorte qu’elles soient plus poreuses et mieux adaptées.

Depuis les années 1970, un contre-modèle s’est développé, avec la « gestion intégrée des eaux pluviales ». Contrairement à la volonté de canaliser l’eau, cette méthode essaye de faire en sorte que les espaces publics que nous imaginons puissent servir de réservoir ou d’espace tampon pour retenir les eaux pluviales en cas d’inondation. Si nous observons qu’une rue se transforme en torrent, il faut la concevoir de telle manière qu’elle puisse servir de torrent en cas d’épisode extrême.

« Revoir nos aménagements et développer une culture du risque nouvelle »

Mais si nous n’avons pas de sous, ce qui est souvent le cas, nous devons développer une culture du risque. Comme au Japon où, dès l’école, chaque citoyen est formé aux réflexes à adopter en cas de tremblement de terre ou de tsunami. Il s’agit d’apprendre à vivre avec le risque. Face au risque d’inondation, cela doit nous conduire à revoir notre occupation des rez-de-chaussée, en faisant en sorte qu’ils ne soient plus habités dans les zones inondables. À Tours, par exemple, un collectif d’artistes a organisé une opération « jour inondable », en faisant comme s’il y avait une inondation. Les gens dormaient dans un gymnase, pour mimer l’évènement et s’y préparer.

Le mieux serait de suivre ces deux voies. Revoir nos aménagements et développer une culture du risque nouvelle. Avec le changement climatique, nous allons de toute façon rencontrer des volumes de précipitations qui n’auront jamais été prévus.


À chaque nouvelle crue, il semble que notre réflexe soit de renforcer les digues : faut-il revoir cette pratique ?

Cela peut typiquement être un cas de maladaptation : nous envisageons des solutions aux effets du changement climatique qui ne font que déplacer le problème. C’est une question philosophique importante, de savoir si nous pouvons nous adapter en évitant, justement, de déplacer le problème.

Cette précaution concernant les digues dépend néanmoins de la zone dont nous parlons : les Pays-Bas, par exemple, ne peuvent pas exister sans digues, parce que beaucoup de zones sont en dessous du niveau de la mer. L’important est que les politiques d’aménagement intègrent les enjeux hydrologiques, ce qui est généralement le cas lors des opérations d’urbanisme aux Pays-Bas, ou en Allemagne.


La ville est-elle, par essence, inadaptée au changement climatique ?

Au contraire, la proximité des équipements, en ville, permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre en limitant les besoins en transport. Le regroupement dans des villes est une stratégie adoptée par les humains depuis des millénaires pour simplifier les choses. Mais si nous densifions nos villes, nous risquons de réduire le coefficient de pleine terre. C’est-à-dire les zones permettant l’infiltration de l’eau.

Il faudrait donc faire grandir les villes en hauteur. Mais vivre dans des tours est moins bien accepté. Nous devons donc réussir à adapter ce modèle du mieux possible. C’est tout l’enjeu de l’urbanisme : trouver des compromis entre tous les enjeux. Nous n’avons jamais de réponse idéale, mais il faut au moins être capable de concevoir en connaissance de cause.

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