
Allocution du gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom, le mardi 10 juin
Je voudrais dire quelques mots sur les événements de ces derniers jours. Le week-end dernier, des agents fédéraux ont effectué des descentes à grande échelle dans les locaux d’entreprises à Los Angeles et dans ses environs. Ces opérations se poursuivent à l’heure où je vous parle.
La Californie a l’habitude d’appliquer la législation sur l’immigration. Mais, au lieu de cibler les immigrés sans-papiers qui ont un lourd casier judiciaire et les personnes qui ont fait l’objet d’un arrêté d’expulsion définitif, stratégie que les deux partis défendent depuis longtemps, l’administration actuelle pousse à des expulsions massives, ciblant aveuglément des familles immigrées qui travaillent dur, sans tenir compte de leurs origines ou des risques qu’elles courent.
Ce qui se passe en ce moment ne ressemble à rien de ce que nous avons connu jusqu’ici. Samedi matin, des agents fédéraux sont sortis d’une camionnette banalisée près du parking d’un [magasin de bricolage] Home Depot, et se sont mis à embarquer des gens. Ils ont délibérément ciblé une banlieue à forte population latino. Une scène similaire s’est produite lors d’une descente dans les locaux d’une entreprise de confection du quartier de Downtown L.A.. Lors d’autres opérations, une ressortissante américaine enceinte de neuf mois a été arrêtée, une fillette de 4 ans a été embarquée, des familles ont été séparées et des amis ont littéralement disparu.
En réaction, des habitants de Los Angeles ont exercé leur droit constitutionnel à la liberté d’expression et de réunion et sont sortis dans la rue pour protester contre les actes de leur gouvernement. De leur côté, l’Etat de Californie ainsi que la ville et le comté de Los Angeles ont déployé leurs forces de police pour aider à maintenir la paix et, ils y sont parvenus, à quelques exceptions près. Comme de nombreux autres Etats, la Californie a l’habitude de ce type de troubles. Nous y faisons face régulièrement, avec nos propres forces de l’ordre. Mais cette fois, je le répète, ce n’était pas la même chose.
Lors des manifestations contre les contrôles fédéraux de l’immigration, dans le centre-ville de Les agents fédéraux ont fait usage de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc, et ont arrêté des personnes en bafouant leur droit à une procédure régulière. Sans même consulter les responsables des forces de l’ordre de Californie, Donald Trump a réquisitionné 2 000 militaires réservistes de la garde nationale de notre Etat pour les déployer dans nos rues, un acte illégal et gratuit.
Cet abus de pouvoir éhonté de la part d’un président en exercice a jeté de l’huile sur le feu, mettant en danger nos concitoyens, nos fonctionnaires de police et même notre garde nationale. C’est alors que la spirale infernale s’est enclenchée. Le président a surenchéri sur son dangereux déploiement de la garde nationale en attisant encore plus les flammes. C’était délibéré de sa part. A mesure que la nouvelle se répandait dans Los Angeles, l’inquiétude grandissait sur le sort des proches et des amis. Les manifestations ont repris. La nuit tombée, plusieurs dizaines de personnes ont commis des actes de violence et de vandalisme. Elles ont pillé des magasins.
Elles s’en sont prises à des policiers. Beaucoup d’entre vous ont vu des images de voitures incendiées à la télévision. Quiconque commet des actes de violence − je le dis tout net −, quiconque commet des actes violence ou détruit nos quartiers sera puni. Aucun acte délictueux ne sera toléré. Aucun. Plus de 220 personnes ont déjà été interpellées. Nous analysons en ce moment les images de vidéosurveillance afin de pouvoir établir des preuves supplémentaires et les fauteurs de troubles seront poursuivis avec toute la rigueur de la loi. Une fois encore, grâce à nos forces de l’ordre et à la majorité des Angelins qui ont manifesté dans le calme, la tension est retombée et s’est limitée à quelques pâtés de maisons de Downtown.
Mais ce n’est pas ce que voulait Donald Trump. Il a de nouveau choisi la surenchère, la méthode forte. Il a préféré les effets de manche à la sécurité publique. Il a « fédéralisé » 2 000 membres supplémentaires de la garde nationale. Il a décidé de déployer plus de 700 militaires d’active du corps des Marines. Il s’agit d’hommes et de femmes formés pour le combat à l’étranger et non pour assurer le maintien de l’ordre sur le territoire national. Nous honorons leur engagement.
Nous honorons leur bravoure. Mais nous ne voulons pas voir nos forces armées militariser nos rues. Ni à Los Angeles, ni en Californie, ni nulle part ailleurs.
Nous voyons des véhicules banalisés, des véhicules banalisés sur des parkings d’école. Des enfants qui ont peur d’assister à leur cérémonie de remise de diplôme. Trump organise une rafle militaire à Los Angeles, loin de son intention déclarée de s’en prendre uniquement aux auteurs d’actes de violence et d’infractions graves. Ses agents arrêtent des plongeurs de restaurant, des jardiniers, des journaliers et des couturières.
Ce n’est rien d’autre que de la faiblesse, de la faiblesse qui veut se faire passer pour de la force. Le gouvernement de Donald Trump ne protège pas les Américaines et les Américains. Il les traumatise. Et on a l’impression que c’est précisément son objectif.
La Californie continuera de se battre. Nous continuerons de nous battre pour nos citoyennes et nos citoyens, toutes et tous, y compris en justice. Hier, nous avons déposé un recours pour dénoncer le déploiement irresponsable de l’armée des Etats-Unis dans une grande ville du pays.
Et, aujourd’hui, nous avons demandé à un tribunal de rendre en urgence une ordonnance empêchant le gouvernement d’utiliser l’armée pour mener des opérations de police dans l’agglomération de Los Angeles. Si des citoyennes et des citoyens peuvent être appréhendés dans la rue sans mandat d’arrêt, sur la base d’un simple soupçon ou de la couleur de leur peau, ça veut dire qu’aucun de nous n’est à l’abri. Les régimes autoritaires commencent par cibler les personnes qui sont les moins aptes à se défendre. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Trump et ses fidèles s’épanouissent dans la division parce qu’elle leur permet de renforcer leur pouvoir et d’exercer toujours plus de contrôle. Au passage, Trump ne dit rien contre la violence et le non-droit s’ils peuvent lui servir. Quelle autre preuve nous faut-il que les événements du 6 janvier ?
Je vous demande, à toutes et tous, de prendre le temps de réfléchir à la menace en cours. Un président qui ne veut être encadré par aucune loi, ni aucune constitution, et qui mène une attaque en règle contre les traditions américaines.
Nous parlons ici d’un président qui, en un peu plus de cent quarante jours, a supprimé les organismes de contrôle susceptibles de lui demander des comptes pour des actes de fraude et de corruption. Il a déclaré la guerre à la culture, à l’histoire, à la science, à la connaissance. Les bases de données disparaissent, littéralement. Il s’en prend au premier amendement [de la Constitution américaine] et délégitime les organes de presse. Il menace de leur couper les vivres. Sous la menace, il est en train de dicter ce que les universités ont le droit ou non d’enseigner. Il prend pour cible les cabinets d’avocats et le pouvoir judiciaire qui sont les fondements mêmes de l’ordre social. Il réclame l’arrestation d’un gouverneur en exercice pour le seul motif qu’il a été « élu » – selon ses propres termes. Et nous savons tous que, ce samedi, il va obliger nos héros, l’armée des Etats-Unis, à se livrer à une parade vulgaire à l’occasion de son anniversaire, à l’image d’autres dictateurs déchus par le passé.
Sachez que cette crise ne se résume pas au mouvement de contestation de Los Angeles. Quand Donald Trump a demandé à avoir carte blanche pour commander la garde nationale, il a fait en sorte que ce recours s’applique à tous les Etats de cette nation. Cette crise nous concerne tous.
Elle vous concerne vous. La Californie est la première, mais il est évident qu’il ne s’arrêtera pas là. D’autres Etats suivront. La démocratie suivra.
La démocratie est prise pour cible juste devant nos yeux, le moment que nous redoutions est arrivé. Il est en train de manier un boulet de démolition pour détruire le projet historique de nos Pères fondateurs : trois pouvoirs égaux formant un gouvernement indépendant. Il n’y a plus d’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs. Le Congrès répond aux abonnés absents. Mike Johnson a totalement renoncé à ses responsabilités. L’Etat de droit cède de plus en plus la place au fait du prince. Ce n’est pas pour ça que nos Pères fondateurs se sont battus.
L’heure est venue pour nous toutes et nous tous de résister. Louis Brandeis l’avait bien résumé. Dans une démocratie, la fonction cardinale – sans vouloir vous offenser, Monsieur le Président – n’est pas celle de président, et encore moins celle de gouverneur. La fonction cardinale, c’est celle de citoyen.
A l’heure où nous parlons, nous devons toutes et tous résister et nous montrer responsables, car nous avons toutes et tous une grande responsabilité. Si vous souhaitez exercer vos droits au titre du premier amendement, s’il vous plaît, faites-le pacifiquement. Je sais que beaucoup d’entre vous ressentent en ce moment une grande inquiétude, du stress, de la peur. Mais je veux vous dire que vous êtes l’antidote à cette peur et à cette angoisse.
Donald Trump ne désire rien de plus en ce moment même que votre allégeance, votre silence et votre complicité.
Ne vous inclinez pas face à lui.