Le plateau de Millevaches, berceau des maçons creusois et des fameuses tapisseries d’Aubusson, est un des territoires les moins peuplés de France. Certaines communes ont une densité de 2 habitants au kilomètre carré.
« Le confinement ? Il n’a pas changé grand-chose dans nos vies », nous confie un habitant du plateau de Millevaches situé à cheval sur les 3 départements limousins (Creuse, Corrèze, Haute-Vienne). « Quand on vit sur un territoire comprenant une poignée d’habitants au kilomètre carré, on limite les risques épidémiques et on a des immensités quasiment désertes à notre disposition pour bouger. On a moins la pression car moins de risques ». Un luxe que de nombreux citadins jalousaient durant le confinement. « Tous les jours j’allais faire mon tour dans la forêt sans jamais croiser personne, je n’avais même pas l’attestation sur moi ».
Pour les courses, les épiceries sont restées ouvertes en s’adaptant à la situation, les commerçants ambulants ont continué leurs tournées et les circuits courts se sont déployés comme jamais. Déjà présents et opérationnels, producteurs locaux, associations et collectivités territoriales ont ainsi développé ou renforcé des modes de consommation alternatifs à la grande distribution. Il faut dire que certains habitants du plateau se trouvent à plus de 50 km du premier centre commercial. Ils se sont donc adaptés depuis longtemps et, la nature ayant horreur du vide, certains acteurs du territoire ont organisé des circuits de production/consommation locaux : maraîchers, paysans-boulangers, éleveurs, artisans… Il n’est pas rare, depuis les années 80, de voir débarquer de la ville de nouveaux habitants pour se lancer dans une telle activité et ainsi changer de mode de vie. Tout était donc en place pour répondre aux besoins durant la crise sanitaire et les restrictions de circulation.
Ici, donc, on a vécu cette période avec plus de sérénité qu’ailleurs. Un retraité raconte ce qu’il a vécu. « Pendant le confinement j’ai fait ce que je fais tous les ans : je prépare le potager, je taille mes arbres et mes haies, je fais mes semis sous serre, je coupe du bois, je nettoie à fond le poulailler et je range ma grange… Les seules différences, c’est que j’avais beaucoup moins de visites à la maison, que je ne pouvais pas aller boire mon petit verre au bar du village et que le facteur passait un jour sur deux. J’ai aussi passé un peu plus de temps au téléphone avec la famille et les amis ». Rien à voir avec la situation d’enfermement qu’ont pu connaître les citadins dont la seule distraction sociale se réduisait le plus souvent à applaudir à la fenêtre tous les soirs avant la messe du JT de 20 heures. Dans les hameaux perdus en pleine nature, les habitants ont continué à se voir. L’isolement est une réalité pour beaucoup d’anciens et la solidarité avec les voisins est une nécessité. Dans ces lieux-dits comprenant quelques âmes, la vie sociale a perduré durant le confinement, mais en interne. Le niveau de contamination du département est parmi les plus faibles du pays, de quoi tirer quelques enseignements.
Cette qualité de vie a fait des émules et la saison touristique 2020 a été excellente. Beaucoup de touristes citadins ont même réfléchi à un plan B dans le cas où la situation sanitaire se dégraderait de nouveau. C’est ainsi que les agences immobilières croulent aujourd’hui sous les demandes de la part de citadins souhaitant un pied-à-terre creusois. Situation qui alerte certains élus et acteurs locaux qui ne voudraient pas que le département ne recense plus que des résidences secondaires. Le développement numérique (fibre, réseaux mobiles…) semble être une solution puisque de nombreux espaces de « coworking » se déploient pour encourager le télétravail et inciter les arrivants à rester toute l’année.
La crise sanitaire aura donc été le révélateur d’un intérêt croissant pour ces territoires trop souvent négligés. Néanmoins il convient à présent de préserver et favoriser les circuits courts, les petits marchés locaux, les organisations collectives (groupements d’achat) qui sont le quotidien d’une bonne part des habitants de la campagne limousine et d’éviter une forme de gentrification de nos campagnes que certains dénoncent déjà. C’est tout l’enjeu d’avenir pour ces territoires qui semblent tenir là, enfin, leur revanche sur l’exode rural.
.Article de Manuel Tourbez , journaliste indépendant publié sur le site : frontpopulaire .fr