Sur le bout des langues , la chronique de Michel Feltin-Palas

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MAIS POURQUOI CHANTE-T-IL EN OCCITAN ?

Poète, musicien, directeur musical… Laurent Cavalié pourrait briller à Paris. Il préfère vivre à Narbonne et créer en languedocien. 

Dans une époque dominée par l’argent et la quête de la notoriété, Laurent Cavalié avance à contre-courant. Depuis trente ans, cet artiste éclectique, à la fois poète, collecteur, instrumentiste, compositeur et directeur musical (et l’on doit en oublier) a choisi pour s’exprimer une langue qui lui ferme automatiquement les portes des grands médias nationaux. Une langue qu’il aime appeler « languedocien », tout en employant aussi le terme
« occitan » – cette querelle sémantique n’est pas la sienne.Sa carrière en souffre ? A l’évidence. Son deuxième album en solo (1), qui vient de sortir, ne passera sans doute jamais sur NRJ ni sur RTL. Mais là n’est pas l’essentiel. « On ne sait jamais vraiment pourquoi on s’oriente dans telle ou telle direction, mais, dans mon cas, il s’agit sans doute d’une forme de réparation familiale, explique-t-il. Paradoxalement, cette langue s’est imposée à moi comme une nécessité parce qu’elle ne m’a pas été transmise. Mes grands-parents parlaient languedocien, mais on a fait en sorte qu’ils en aient honte. Ma grand-mère pensait que l’occitan était une déformation du français ! On n’imagine pas à quel point cette génération a souffert, à quel point on lui a donné une image dévalorisante de sa culture et de son identité. En devenant artiste, j’ai sans doute cherché à redonner de la dignité à cette langue et à ses locuteurs. »

Quand il prend conscience de tout cela, vers 20 ans, Laurent Cavalié s’inscrit dans la lignée de ceux qui forment « la nouvelle scène occitane », les premiers à avoir osé chanter, écrire et créer en languedocien, en gascon ou en provençal. « Ce sont eux qui ont ouvert la voie », dit-il, reconnaissant. Lui qui a été élevé en français décide alors d’apprendre la lenga nòstra (notre langue)… et s’aperçoit qu’à force de l’avoir entendue chez ses grands-parents, il la connaît en fait assez bien. Déjà musicien, le jeune homme plonge aussi dans les livres, lit les grands auteurs, apprend l’histoire de sa région… Ce faisant, il a le sentiment de renouer avec son identité profonde. « Une langue, dit-il, ce n’est pas seulement de la syntaxe, c’est un outil de la pensée, une façon de regarder le monde. »

Depuis trente ans, patiemment, modestement, Laurent Cavalié mène un extraordinaire travail de collectage de chansons dans les villages pour sauver un patrimoine fragile. Un répertoire dont il s’inspire aujourd’hui pour ses propres compositions, mais aussi pour le groupe Du Bartàs, dont il est le chef de file, et pour l’étonnant ensemble polyphonique féminin La Mal Coiffée, dont il est le directeur musical.

Et tant pis pour ceux qui le regardent d’un air pincé en le soupçonnant de verser dans un dangereux « communautarisme » ou dans un inquiétant « repli sur soi ». « Ce sont des clichés, répond-il. Pour moi, une communauté est une très belle notion et je ne vois pas en quoi le fait d’aimer sa région déboucherait automatiquement sur la haine de l’autre. En réalité, plus je m’intéresse à mon petit coin de terre, plus je plonge dans son histoire et dans sa culture, plus j’ai envie de connaître le reste du monde. C’est au contraire une manière d’accéder à l’universel. » Une pensée qu’il résume d’une très jolie formule : « Je ne me replie pas, je me ressource. »

Comme un symbole, Du Bartàs compte dans ses rangs un « Narbonnais d’origine marocaine » et mêle régulièrement à ses compositions des couplets en arabe, sur fond de rythme brésilien ou afro-cubain, avec des timbres de violon oriental et de guitare vénézuélienne. Pour le
« communautarisme » et le « repli sur soi », il faudra repasser.

(1) Laurent Cavalié sera en concert le 18 janvier à Sommières (Gard) pendant les Trad’hivernales et le mardi 12 février 2019 au Bal Blomet (Paris XVe) dans le cadre du festival Au fil .

MICHEL FELTIN-PALAS / L’EXPRESS

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