» Les langues de France , ces cathédrales oubliées  » par Michel Feltin-Palas ( L’Express )

Les langues de France, ces cathédrales oubliées
La France et le monde se mobilisent pour sauver Notre-Dame, et c’est formidable. Qu’attend-on pour en faire autant avec nos langues régionales?
Et si on ne reconstruisait pas Notre-Dame ? Une telle suggestion peut surprendre, je vous l’accorde, mais réfléchissez un peu. Après tout, la cathédrale parisienne n’est pas notre seul édifice gothique. Nous avons aussi Amiens, Reims, Chartres, Laonet tant d’autres. Alors pourquoi ne pas la laisser ouverte aux quatre vents et attendre patiemment qu’elle s’écroule ? Pourquoi dépenser autant d’argent alors que l’on en manque ? Laissons-la mourir de sa belle mort, et passons à autre chose !
Ce raisonnement, je le sais bien, ne tient pas la route une nano-seconde. Et si je fais mine de le défendre, c’est pour mieux poser deux questions qui me taraudent depuis ce funeste 15 avril. Pourquoi appliquer à un pan entier de notre patrimoine cette politique criminelle, cet abandon absurde, cette attitude irresponsable qui nous révulseraient si Notre-Dame en était la victime ? Pourquoi, pendant que la restauration de la sublime cathédrale s’organise dans une effervescence bienvenue, laissons-nous un autre feu ravager dans une indifférence générale les langues du beau pays de France ? Un incendie qui flambe depuis des siècles et aura bientôt terminé son oeuvre. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais l’ensemble des experts ! Si rien ne change, toutes les langues minoritaires de métropole auront disparu d’ici à la fin du siècle – toutes.
Oh, bien sûr, beaucoup jugeront sacrilège de comparer un « chef-d’oeuvre de l’art occidental » à de « vulgaires patois ». Ce en quoi ils se trompent lourdement, victimes de ce qu’il faut bien appeler une propagande éhontée. Le breton est une langue celtique qui rappelle celle des Gaulois. Le méconnu francique mosellan est la langue la plus proche de celle de Clovis. Les langues d’oc ont produit depuis le Moyen-Age une oeuvre littéraire exceptionnelle. Le basque est une langue non indo-européenne, ce qui le distingue de tous les autres parlers du continent ou presque. Et l’on pourrait continuer ainsi longtemps.
D’autres me rétorqueront que le déclin du flamand, du corse ou du provençal est le fruit de la « modernité ». A tort, là aussi. En réalité, le sort d’une langue minoritaire dépend pour l’essentiel des politiques publiques dont elle bénéficie – ou pas. Qu’on se le dise : il y a beau temps que l’on n’entendrait plus parler français au Québec si le Canada avait décidé de faire subir à notre langue le sort réservé chez nous au gallo, au picard ou à l’alsacien.
Le plus grave est que l’origine du sinistre, en l’espèce, n’a rien d’accidentel. Mieux – ou pire, selon les points de vue -, on connaît les coupables, en l’occurrence la kyrielle de chefs d’Etat qui ont dirigé le pays, depuis les monarques de l’Ancien Régime jusqu’aux présidents de la République, en passant par nos deux Empereurs. Tous ou presque ont cherché à mettre à bas ces modes de pensée et d’expression alternatifs, jugés dangereux pour l’unité nationale. Georges Pompidou ne déclarait-il pas en 1972 : »Il n’y a pas de place pour les langues et cultures régionales dans une France destinée à marquer l’Europe de son sceau » ?
On me dira aussi que les discours ont changé. Et c’est vrai. Pas un président qui ne se dise favorable à leur enseignement. Pas un ministre de la Culture qui ne vante leur « beauté » et leur « richesse ». Certes. Mais aucun qui ne soit décidé à prendre les seules mesures qui pourraient renverser la situation et qui consisteraient à les rendre utiles – oui, utiles – pour réussir ses études, trouver un emploi ou dialoguer avec l’administration. Au contraire. Jean-Michel Blanquer les maltraite dans sa réforme du lycée. Franck Riester leur accorde des moyens étiques – sait-il seulement qu’elles existent ? Certains magistrats s’acharnent contre des parents « coupables » de vouloir donner à leur enfant un prénom respectant l’orthographe traditionnelle bretonne. Résumons : après des siècles pendant lesquels il a ouvertement cherché à les anéantir, l’Etat les laisse désormais mourir, en veillant simplement à ne pas le montrer trop ouvertement.
D’autres n’ont pas cette prudence, qui se mobilisent pour la cathédrale de Paris tout en militant pour l’effondrement de notre patrimoine linguistique. Voyez François Fillon. L’ancien candidat à la présidentielle a publié un tweet, joliment tourné d’ailleurs : « Notre Dame en feu, Paris en larmes. Notre histoire se confond avec ses murs et le son de son bourdon. Nous l’avons tant aimée. Nous la reconstruirons ». Très bien. Expliquez-moi pourquoi le même homme refusait en 1999 la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales, en dénonçant « une société obsédée par la nostalgie du passé et, à tort, confortée dans ses frilosités » (1). Ajoutons aussitôt que François Fillon n’est en rien une exception et que son nom pourrait tout aussi bien être remplacé par ceux de Jean-Luc Mélenchon, d’Emmanuel Macron ou de Nicolas Sarkozy. Et de tant d’autres…
« La France est un pays curieux qui se passionne pour ses châteaux et ses églises, mais se désintéresse de son patrimoine immatériel », s’étonne Bernard Cerquiglini. Ce grand linguiste a raison. Toutes nos langues, à la vérité, expriment l’âme d’une Nation qui, n’en déplaise à certains, ne se réduit pas à Paris. Toutes méritent de voir accourir à leur chevet de valeureux pompiers, de généreux mécènes et d’attentionnés experts. Toutes représentent, à leur manière, des cathédrales de l’esprit humain.
Il n’est pas trop tard pour les sauver.
.MICHEL FELTIN-PALAS ( L’EXPRESS )

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