La chronique de Michel Feltin-Palas ( L’Express )

Les langues régionales sont-elles victimes de la « modernité » ?
Selon certains, le breton, le corse ou le picard s’étioleraient pour une raison simple : si ces langues étaient adaptées au monde rural, elles ne le seraient pas à la France du XXIe siècle. Ils se trompent.
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C’est un argument que j’entends souvent : « Si les langues régionales disparaissent en France, personne n’y peut rien. C’est simplement l’effet de la modernité. » Même le grand Michel Serres – paix à son âme – débitait ce genre de sornettes. Or il n’en est rien car les langues minoritaires (tel est leur vrai nom) sont tout à fait adaptées au XXIe siècle, pourvu qu’elles disposent d’un cadre adéquat. Et je voudrais tenter de vous en convaincre cette semaine en prenant un exemple, ou plutôt deux.
De ce côté-ci de la Manche : le breton ; de l’autre côté, le gallois, soit deux langues celtiques situées dans deux pays européens de niveau économique comparable. Or qu’observe-t-on ? Voilà trente ans, ces deux langues étaient parlées par un nombre équivalent de personnes : 500 000 environ dans les deux cas. Aujourd’hui ? Le breton n’en compte plus que 200 000 tandis que le gallois, lui, dispose de 600 000 locuteurs (700 000 avec les gallophones de l’extérieur).
Pour expliquer ces deux trajectoires opposées, la modernité a donc bon dos, et je souhaite bon courage à celui qui prétendra expliquer que le gallois serait intrinsèquement mieux adapté au troisième millénaire que le breton. Non, la réponse est ailleurs et elle tient uniquement aux décisions prises – ou non – par les pouvoirs publics.
Au Pays de Galles, voilà plusieurs décennies que des mesures vigoureuses et cohérentes sont prises dans le domaine linguistique. Commençons par la politique. En 1942, le Welsh Court Act permet de plaider en gallois dans les cours de justice. En 1967, le Welsh Language Act autorise le gallois dans l’administration. En 1993, un nouveau Welsh Language Act place l’anglais et le gallois sur un plan d’égalité dans le secteur public.
Enchaînons par les médias. Une radio tout en gallois, la BBC Cymru, existe depuis 1977. En 1980, en pleine crise nord-irlandaise, le député Gwynfor Evans, 68 ans, annonce son intention de se mettre en grève de la faim si une télévision tout en gallois n’est pas octroyée. Pointée du doigt dans le monde entier, Margaret Thatcher cède et la chaîne S4C est lancée en 1982.
Terminons par l’enseignement. En 1990, l’étude du gallois devient obligatoire dans toutes les écoles jusqu’à 14 ans (puis jusqu’à 16 ans). Résultat ? Aujourd’hui, 20 % environ des enfants du Pays de Galles sont scolarisés en gallois première langue. Conséquence logique, c’est dans les classes d’âge les plus jeunes que l’on trouve le plus de gallophones. « Il s’agit d’une politique très volontariste, sans commune mesure avec ce que nous connaissons en France », souligne l’historienne, Rozenn Milin, créatrice de Sorosoro, un site remarquable sur les langues en danger.
C’est peu dire qu’en Bretagne, on a pris le chemin opposé. Certes, quelques gestes ont été consentis – autorisation d’écoles « en immersion », signalisation bilingue, subventions à quelques artistes – mais on reste à un niveau cosmétique. Pas de statut officiel dans le secteur public. Des programmes en breton réduits à la portion congrue sur France Bleu et sur France 3. Quant à l’enseignement dans les écoles de la République, non seulement il a lieu essentiellement en français, mais, dans sa réforme du bac, Jean-Michel Blanquer vient encore de diminuer les coefficients accordés aux langues régionales… Un chiffre pour résumer la situation : seuls 3 % des enfants de Bretagne ont accès à la langue bretonne à l’école.
Et pourtant, ce ne sont pas les militants qui manquent, loin de là. Non, ce qui fait défaut avant tout, c’est la volonté de l’Etat et la mobilisation des élus locaux. Les mesures réellement décisives sont toujours refusées, toujours. Pour reprendre une métaphore que j’ai déjà utilisée dans cette lettre, c’est un peu comme si, à Notre-Dame de Paris, on se contentait de mettre une bâche sur la cathédrale incendiée. On ne pourrait pas dire que l’on n’agit pas, certes, mais il est évident que la solution ne serait pas à la hauteur du problème. Pour les langues de France, on en est exactement là.
Un dernier élément joue dans cette comparaison. Au Pays de Galles, cette politique active a été menée plus tôt, à un moment où la transmission entre les générations avait simplement décliné alors qu’elle s’est quasiment interrompue pour le breton. La conclusion s’impose : si l’on veut vraiment changer les choses, il faudrait consentir encore plus d’efforts en Bretagne.
Mais le veut-on ?
MICHEL FELTIN-PALAS .

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