Esprit Occitanie / Economica par le professeur Maxime Maury

Le déconfinement doit absolument réussir à nous maintenir sur la « ligne de crête » évoquée par le Premier ministre : éviter « l’écroulement » de notre économie tout autant que la résurgence pandémique.
Nous ne sommes pas devant une crise, mais à proprement parler devant une catastrophe économique dont quelques chiffres donnent la mesure :
  • le PIB-marchand s’est contracté de 50% selon l’INSEE tout comme l’activité industrielle, le bâtiment s’est effondré ( -75%);
  • 50% des salariés sont en chômage partiel;
  • les 3/4 des agents publics sont en télétravail; avec les enfants à domicile, leur productivité a chuté;
  • selon les estimations, l’explosion du déficit public pourrait atteindre jusqu’à six fois le niveau de l’année 2019, le « Cercle des économistes » tablant sur une récession de -10%.
Face à cette catastrophe, les mesures de soutien économique n’ont plus de limites et se résument par le : « quel qu’en soit le coût » prononcé à Mulhouse par le président de la République. Il est vrai que celui-ci nous avait engagé, bien avant la pandémie, dans une voie déjà périlleuse en déclarant mystérieusement que « les règles européennes sur les déficits dataient d’un autre siècle ».
On peut certes concevoir, face à l’ampleur de la catastrophe, un abandon provisoire de toutes les règles de bonne gestion, mais jusqu’à quand ?
Pour le dire de manière imagée, la zone euro ressemble désormais à un « OPEN BAR » dont voici les différents cocktails servis sans limites aux clients:
  • les règles européennes en matière de limitation des déficits et de l’endettement sont (provisoirement ?) suspendues;
  • le bilan de la BCE qui achète les titres de dettes sans limites -et dans des registres de qualité de plus en plus dégradés- s’est dilaté dans des proportions vertigineuses jusqu’à représenter désormais près de la moitié du PIB de la zone euro, soit 5400 milliards (le bilan !), chiffre inouï dans l’Histoire;
  • son programme d’achat de titres (publics et privés) sera porté vraisemblablement à 1000 milliards pour l’année;
  • la BCE s’était autrefois fixée plusieurs limites : ne pas acquérir plus du 1/3 du gisement d’une dette nationale; la règle est abolie;
  • la BCE s’était également donnée une autre limite : acquérir des titres de dette publique, italiens par exemple, dans des proportions comparables au poids du pays dans son capital; cette règle est aussi abolie.
Même si la BCE ne l’a pas validée,
un attelage improbable de commentateurs ( Minc, Moëc) et d’hommes politiques français ( Baroin, Mélenchon) avance l’idée baroque d’une « dette perpétuelle » qui ne serait jamais remboursée et constituerait donc une pure création monétaire sans contrepartie. Ce qui serait en contradiction flagrante avec les Traités européens.
Le gouverneur de la Banque de France s’y est heureusement opposée dans son intervention devant l’Assemblée Nationale, le 5 mai.
Et des citoyens allemands ont porté plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsrhue pour circonscrire par avance l’intervention de la BCE. Lourds de dissensions au sein de la zone euro, des freins apparaissent donc à la planche à billets.
Enfin, pour ceux qui ne l’auraient pas compris, répudier la dette serait pure chimère : le pays qui le ferait s’exposerait à se voir couper tout accès au crédit et déficitaire, se trouverait donc acculé à la faillite.
Même la Grèce de Tsipras ne l’a pas fait !
Que va-t-il alors advenir de cet « open bar » qui ressemble pour notre avenir au dangereux triangle des Bermudes ?
Deux citations humoristiques peuvent nous éclairer :
« Il n’y a pas de repas gratuit. » ( Milton Friedman, économiste)
« Le rôle d’un banquier central est de retirer le ponch de la table quand les participants commencent à être trop gais. »
( Paul Volcker, ancien président de la FED)
Dans une économie qui ne retrouvera probablement jamais son niveau de départ (en raison des limitations prévisibles de la production de pétrole), la création monétaire devrait s’accompagner d’un énorme effort collectif pour :
  • travailler plus ; reconstruire;
  • réorganiser les services publics, contrôler la dépense publique, rechercher l’efficience;
  • réduire les inégalités, limiter les dividendes.
Et finalement, pour nous redonner des règles européennes plus adaptées que les anciennes, mais permettant de tracer sûrement des lignes jaunes pour maîtriser les risques.
Peu compatible avec l’état d’esprit actuel dominé par « la pensée magique », cet effort collectif risque de ne pas susciter l’adhésion, mais alors la réalité se rappellera à nous de trois manières qui sont échelonnées ici par degrés croissants de calamité :
I) L’inflation:
Patrick Artus explique bien l’enchaînement qui y conduit :
Toute perte de revenu entraîné par la dépression est aujourd’hui convertie en déficit public financé par endettement; cet endettement est à son tour immédiatement transformé en création monétaire sans contrepartie.
Cette création monétaire provoquera à moyen terme l’inflation de deux manières possibles :
par les actifs, ou/et
par les prix à la consommation.
La première enrichira les plus riches par une bulle boursière déconnectée de la réalité et par un prix de l’immobilier anormalement élevé. La seconde menacera les revenus non indexés. Dans les deux cas, les plus pauvres s’appauvriront.
II) Le défaut sur la dette :
Même si l’intervention massive de la BCE nous en protège pour l’instant, le risque est à prendre au sérieux. Il nous conduirait à un scénario de faillite de l’Italie, puis de la France.
En effet, demain la dette française tangentera la dette italienne d’aujourd’hui, et la dette italienne de demain celle de la Grèce d’hier. Danger !
Traditionnellement, les bons du Trésor étaient considérés comme les « actifs sans risque » par excellence et attiraient massivement les investisseurs en cas de crise. C’est moins le cas aujourd’hui : tout en restant proches de zéro, les taux d’intérêt français à 10 ans sont plus élevés que l’été dernier où ils étaient franchement négatifs. Les spreads versus l’Allemagne se sont tendus d’1/3.
III) L’éclatement de l’euro :
Il précipiterait dans la pauvreté la moitié de la société française.
Or de fortes tensions se dessinent aujourd’hui dans la zone euro :
  • l’impact économique de la crise sanitaire est asymétrique ( nettement plus fort au sud qu’au nord);
  • les dettes française et italienne divergent par rapport à la moyenne de la zone monétaire;
  • le jugement rendu par la Cour constitutionnelle allemande menace d’entraver l’action de la BCE qui joue le rôle d’assureur des finances publiques. Mais ce n’est pas vraiment son rôle !
Au moins aussi impérieuse que la nécessité de « trouver des masques », la priorité de l’heure devrait être la constitution d’un directoire fédéral de la zone euro !
Car il n’y a pas durablement de monnaie sans gouvernement. Sans règles ni transferts.
Un défaut sur la dette française, ou la disparition de notre grande monnaie européenne, causeraient infiniment plus de morts que le coronavirus. La faillite et la pauvreté sont des virus mortels et très contagieux. Qui s’en soucie ?
Dr Maxime MAURY

professeur affilié à Toulouse Business School
ancien directeur régional Occitanie de la Banque de France
co

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