La chronique de Michel Feltin-Palas ( L’Express )

Michel Feltin-Palas
mfeltin-palas@lexpress.fr
Droits linguistiques : la France dans les pas de la Chine et de la Turquie ?
Dans ce domaine, notre pays fait partie des mauvais élèves
En Mongolie intérieure – l’une des cinq régions autonomes de la Chine – Pékin ne recourt ni aux internements ni aux arrestations massives. Non, la méthode mise en place par le Parti communiste est plus subtile et prend la forme d’une assimilation culturelle forcée et patiente à la culture majoritaire de l’ethnie Han. Sur les réseaux sociaux, les chansons mongoles sont censurées. Dans les écoles, les cours de littérature, d’histoire et de sciences politiques sont dispensés en mandarin. Quant aux livres traitant de l’histoire et de la culture mongoles, ils ont purement et simplement été retirés de l’enseignement primaire et secondaire.
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De la part d’une dictature, dira-t-on, cela n’a rien d’étonnant. D’autres régimes autoritaires ont suivi et suivent encore d’ailleurs à peu près les mêmes procédés. La Libye du colonel Kadhafi brûlait les livres rédigés en berbère. Staline, en son temps, avait entrepris de russifier les pays baltes. Et dans la Turquie d’Erdogan, le kurde est interdit dans les administrations.
Faut-il en déduire que ce n’est pas dans une démocratie que l’on verrait cela ? Cela serait aller vite en besogne. Car de fait, cette politique ressemble de très près à celle suivie en France, y compris, malheureusement, sous les régimes républicains. Même imposition dans les services publics d’une langue unique – celle de Paris. Même « oubli » des cultures locales (dans l’un de ses manuels, l’éditeur scolaire Belin a récemment assuré que le troubadour Bernat de Ventadour, qui employait évidemment la langue d’oc, écrivait en « ancien français »). Quant à l’Histoire… Seuls les hauts faits du territoire qui allait devenir la France sont enseignés et encore ceux-ci sont-ils triés avec soin. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le massacre par les troupes de Philippe Le Hardi de la population d’Elne (Pyrénées-Orientales) réfugiée dans la cathédrale de la cité catalane, en 1285, est totalement passé sous silence. Ce qui amène l’universitaire Ronan Le Coadic à dénoncer ce qu’il nomme le « nationalisme linguistique français« .
Ne soyons toutefois pas injustes avec notre pays car il n’est pas le seul à se montrer méfiant, voire hostile, à la diversité culturelle, loin de là. « La tendance normale de tout État est de tendre vers l’unilinguisme pour des motifs d’efficacité dans la communication, d’économie et d’unité nationale. 141 pays (sur 195 États souverains) sont ainsi officiellement unilingues (soit 72,3%) », peut-on lire sur l’excellent site de l’université – québécoise – de Laval.
Il n’empêche. Si la France se range dans la catégorie très fournie des mauvais élèves, il existe bel et bien d’autres nations plus respectueuses des droits linguistiques des minorités. Le Luxembourg, par exemple, qui traite à égalité l’allemand, le français et le luxembourgeois. La Suisse, qui fonctionne avec quatre langues officielles. Le Canada où, sans le bilinguisme en vigueur au Québec, le français aurait disparu depuis longtemps. On pourrait aussi citer la Finlande, qui accorde à peu près les mêmes droits au finnois et au suédois alors même que ce pays a subi pendant plusieurs siècles la domination de son grand voisin. Ou encore l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède ou le Royaume-Uni (liste non exhaustive) qui, contrairement à nous, ont ratifié la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Ce qui n’est pas notre cas.
Sur le terrain des droits linguistiques, la France se retrouve donc dans le même camp que la Chine de Xi Jinping et de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. N’y aurait-il pas voisinages moins embarrassants pour le pays des Droits de l’Homme ?

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