Les Occitans sont-ils les indiens de France ? par Michel Feltin-Palas

Langues régionales : les Occitans sont-ils les Indiens de France ?

Deux films sortis au même moment évoquent les Indiens Osages, qui entretiennent une longue amitié avec les Occitans. De quoi autoriser un parallèle entre ces deux cultures menacées ?

C’est une histoire aussi improbable que véridique. En 1827, un groupe de six Indiens Osages arrivent en France. A leur arrivée, ils sont accueillis avec autant de curiosité que d’enthousiasme et ont même l’honneur de rencontrer le roi Charles X. Mais peu à peu, ils sont oubliés, abandonnés et leur situation devient précaire. Impossible pour eux de rentrer aux Etats-Unis. Les voilà errant sur les routes de France jusqu’en novembre 1829. Epuisés, affamés, trois d’entre eux – Petit Chef, Grand Soldat et Femme Faucon – arrivent à Montauban, dans le Tarn-et-Garonne, où réside l’ancien évêque de la Louisiane française. Aussitôt, le prélat, le maire et la population entière se mobilisent et financent leur retour en Amérique.

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Deux siècles plus tard, l’épisode n’a pas été oublié. Une association, baptisée Oklahoma-Occitania, a été créée en 1989 et organise régulièrement des rencontres entre Osages et Occitans. La ville de Montauban, elle-même, est jumelée avec Pawhuska, la principale ville de cette tribu indienne. Une amitié exceptionnelle qui vient de faire l’objet du film de Francis Fourcou, Un pont au-dessus de l’océan.

Entre-temps, les Osages ont connu un destin exceptionnel. Originaires du Missouri, ils furent déplacés dans la seconde partie du XIXe siècle vers des terres rocailleuses et difficiles à cultiver du nord de l’Oklahoma. Mais le destin est parfois farceur. Au tournant des XIXe et XXe siècles, on découvre dans le sous-sol de leur réserve… l’un des plus grands gisements pétrolifères des Etats-Unis ! Les Osages deviennent immensément riches… et jalousés par des Blancs. Dans les années 1920, plusieurs dizaines de meurtres ont lieu dans la réserve. Ils resteront impunis avant que le FBI, nouvellement créé, n’y mette un terme.

Ce dernier épisode a inspiré le dernier long métrage de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, avec en vedettes Robert de Niro et Leonardo DiCaprio. Coïncidence ? Le film du réalisateur américain est sorti presque en même temps que celui de Francis Fourcou. Deux films aux moyens disproportionnés mais qui posent la même question : celle de la résistance des langues et des cultures menacées.

« Lutter pour la survie de nos cultures »

Certes, les deux situations ne sont pas comparables en tout point. « La violence de la situation sociale, du racisme, l’état de la langue, les génocides qui ont touché les Indiens d’Amérique n’ont rien à voir en intensité avec la condition des Occitans d’aujourd’hui », reconnaît volontiers Francis Fourcou. En revanche, un parallèle peut être établi concernant la question de l’appropriation culturelle. Aux Etats-Unis, les Blancs européens ont quasiment fait disparaître la civilisation indienne. Chez nous, l’Ile-de-France a imposé la sienne sur l’ensemble du territoire. Telle est d’ailleurs l’analyse du chef Osage Jim Gray : « Nous avons vécu les mêmes expériences, assure-t-il dans Un pont au-dessus de l’océan. Vous êtes devenus une partie de la France. Nous sommes devenus une partie des Etats-Unis. Nous savons ce que c’est de lutter pour la survie de nos cultures. »

La situation linguistique est plus dramatique aux Etats-Unis puisque la langue osage ne comptait plus que trois locuteurs natifs en 2002. Mais une prise de conscience s’est produite. Un alphabet a été élaboré, des écoles bilingues ouvertes, des cours pour adultes mis en place. Aujourd’hui, la langue compte quelque 500 locuteurs. Ce n’est pas énorme, mais la pente s’est inversée de manière spectaculaire. En France, la situation est inverse : si l’occitan recule, il compte encore plusieurs centaines de milliers de pratiquants réguliers.

Le plus curieux est cependant ailleurs : alors que ces deux films abordent des thèmes proches, ils ne provoquent pas les mêmes réactions chez nous. A Paris, on s’apitoie volontiers sur les Indiens d’Amérique, ces martyrs de l’histoire victimes d’impitoyables Blancs colonisateurs. A propos du film de Scorsese, le critique cinéma de L’Obs s’extasie ainsi devant « la puissance de sa charge contre le racisme génocidaire des pionniers ». En revanche, on méprise les défenseurs des langues minoritaires de France, considérés au mieux comme des amateurs de folklores ringards, voire de dangereux communautaristes menaçant la République. Réintroduire les langues régionales ? « Son équivalent en zoologie consisterait à réintroduire le dinosaure dans le quartier de la Défense », assurait le philosophe Michel Onfray dans Le Monde en 2010.

Cela dit, il serait trop facile de se contenter de dénoncer le méchant Etat français et l’indifférence de l’intelligentsia tricolore à l’endroit de notre diversité culturelle interne. Car il appartient aussi à chacun d’agir à sa mesure. Avec une grande honnêteté, le romancier Benoît Séverac raconte la mésaventure qui lui est arrivée lors d’un voyage en terre indienne. « J’ai rencontré l’inventeur de l’alphabet osage et celui-ci m’a demandé : ‘Tu t’intéresses à ma culture parce qu’elle est victime de l’hégémonie blanche, un peu comme vous en Occitanie avec le centralisme parisien ? Merci. Mais toi, que fais-tu pour ta culture ? Parles-tu ta langue ?' » Interloqué, Benoît Séverac a été contraint de répondre par la négative. « Cela a été un choc, un déclic, se souvient-il. J’ai été bousculé. Et l’entrevue était terminée. »

De retour en France, il s’est inscrit à des cours d’occitan. Aujourd’hui, il le parle.

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