Le projet de texte proposé par la présidence émiratie de la COP28 ne parle pas de la fin des énergies fossiles. Il est rejeté par les Européens, les ONG, et les États menacés par la montée des eaux.
Dubaï (Émirats arabes unis), reportage
C’est le texte qui, de l’avis de nombreux observateurs, signera le succès ou l’échec de cette vingt-huitième conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Le projet de décision présenté par la présidence émiratie, lundi 11 décembre, se veut un guide mondial de l’atténuation, indiquant comment les 195 pays ayant ratifié la Convention devront réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Or, rappelle Pierre Friedlingstein, l’auteur principal du Global Carbon Project, « la stabilisation du réchauffement à 1,5 °C impose de réduire les rejets mondiaux de gaz à effet de serre de 5 % par an. ». Problème : le draft (brouillon), à négocier mardi 12 décembre, n’inclut pas clairement la sortie des énergies fossiles comme impérative.
Un document présenté la semaine dernière aux diplomates, le Bilan global des politiques climatiques nationales (Global Stocktake, GST) exposait le problème : si l’on s’en tient aux politiques climatiques actuelles (NDC), la température moyenne globale augmentera de + 2,5 °C à + 2,9 °C. Il fixait des objectifs : plafonner les émissions mondiales en 2025 et les faire chuter de 43 % entre 2019 et 2030. Pour y parvenir : triplement de la capacité mondiale de production des énergies renouvelables entre 2022 et 2030, doublement de l’amélioration de l’efficacité énergétique. Le GST évoquait aussi un déclin des énergies fossiles, sans précision.
Et pour cause ! Dans un courrier daté du 6 décembre dévoilé par le Guardian, l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP, dont les Émirats arabes unis font partie) appelait ses membres à rejeter « tout texte ou formule ciblant les énergies fossiles plutôt que les émissions ».
« C’est un texte Frankenstein »
Si bien que la proposition de décision publiée dans l’après-midi du 11 décembre ne prévoit rien de significatif sur la sortie du pétrole. Le texte de 238 paragraphes ne paraît pas cohérent : « C’est une concaténation des priorités de chaque pays. On dirait une longue liste de course dans laquelle chacun pourra retenir le signal qui l’arrange. Dans les précédentes versions, il y avait une cristallisation autour d’objectifs, dont on pouvait discuter de la formulation, mais qui tournaient autour des renouvelables, de l’efficacité énergétique et de la sortie des fossiles. Là, ça part dans tous les sens. C’est un texte Frankenstein », résume Lola Vallejo, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
Le texte se centre sur les réponses technologiques. Il reconnaît le besoin d’accélérer la transition énergétique. Et pour ce faire, propose de tripler la capacité de production d’énergie renouvelable et de doubler le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici à 2030. Mais tripler ou doubler par rapport à quelle année ? Ce n’est pas précisé. Autre proposition : réduire la production des centrales à charbon non équipées de système de captage de CO₂ et limiter l’ouverture de mines de charbon et la mise à feu de futures centrales. Là encore, sans mode d’emploi ni calendrier.
Pour accélérer la course vers le « zéro émission » du secteur énergétique, les rédacteurs suggèrent de recourir aux énergies renouvelables, au nucléaire, aux technologies de réduction et d’extraction des émissions : captage, réutilisation et stockage du gaz carbonique (CCUS), ainsi qu’à la production d’hydrogène bas carbone. Étant entendu que ces technologies pourront participer à la « substitution des énergies fossiles ». Sauf, peut-être, la production d’hydrogène « bas carbone », qui dans certains cas peut être issu… d’énergies fossiles.
« Le texte mélange des solutions réelles et bon marché à des fantasmes technologiques »
« Le texte mélange les énergies renouvelables qui sont des solutions réelles et bon marché à des fantasmes technologiques, comme la capture et le stockage de carbone, qui coûtent très cher et apporteront peu de résultats à court terme », souligne Arnaud Gilles, responsable des plaidoyers pour la transition énergétique au sein de la branche française du WWF.
Yamide Dagnet, de l’Open Society Foundations, regrette aussi l’incohérence entre cette vision techniciste et le combat en faveur de la biodiversité : « Il n’y a pas un mot sur les minerais stratégiques. Or, sans eux, pas de batterie, pas d’énergie renouvelable. Mais si l’on accroît leur production à la mesure de ce qui est demandé, cela promet l’ouverture de plus de mines et la destruction de toujours plus d’espaces naturels. »
Un progrès apparent, cependant : le draft évoque la réduction de la production et de la consommation d’énergies fossiles. « C’est déjà une avancée notable », souligne Lola Vallejo. Pour autant, il n’est plus question de la fin du charbon, du pétrole ou du gaz telle que mentionnée dans certaines propositions de versions préliminaires. Comment organiser la diminution de la mise sur le marché et de la consommation ? Elle devra être réalisée de manière « bien ordonnée » et « équitable », dit le projet de décision. Traduction : chacun fera comme il voudra et à son rythme. « Il est pourtant impératif d’établir un calendrier clair, sans laisser le choix aux pays, ce qui est actuellement le cas », commente Friederike Roder, vice-présidente de Global Citizen.
6 500 milliards d’euros d’aides aux fossiles en 2022
Enfin, le texte appelle à mettre un terme, « le plus vite possible » aux subventions aux énergies fossiles « inefficaces ». Aucune définition de la subvention efficace n’est cependant donnée. Rappel : le Fonds monétaire international estime à 7 000 milliards de dollars (6 500 milliards d’euros), le montant annuel des aides aux énergies fossiles octroyé en 2022 dans le monde. De quoi largement financer la transition climatique.
Le texte mentionne aussi une cinquantaine de fois la « finance ». Mais sans lui donner la moindre consistance, sans fixer de montant à débourser, ni désigner les objectifs de ces éventuels financements. Pas de liste, non plus, des financeurs. L’agriculture et l’agro-alimentaire ne sont pas mieux traités : une seule citation pour le secteur qui contribue à 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Un texte qui fait la quasi-unanimité contre lui
C’est peu de dire que le texte fait, pour le moment, quasiment l’unanimité contre lui. Le commentaire le plus cruel a été délivré par Alok Sharma, le président de la COP26 à Glasgow, voici deux ans : « Il est difficile de voir en quoi ce texte contribue à réduire rapidement et sérieusement les émissions d’ici à 2030 pour espérer atteindre l’objectif de 1,5 °C ».
Pour Agnès Pannier-Runacher (ministre française de la Transition énergétique), Teresa Ribera (son alter ego espagnole) ou Wopke Hoekstra (commissaire européen au Climat), « le texte est inacceptable en l’état ». Côté étasunien, on est moins virulent : « La formulation du texte doit être substantiellement renforcée », indique un communiqué du département d’État.
« Nous ne sommes pas venus ici pour signer notre arrêt de mort »
S’exprimant au nom de l’Aosis (Association des États insulaires), Toeolesulusulu Cedric Schuster, ministre des ressources naturelles des Samoa, estime que les États menacés par la montée du niveau de la mer « n’ont pas été entendus ». « Nous ne sommes pas venus ici pour signer notre arrêt de mort », complète John Silk, ministre des îles Marshall.
La journée du mardi 12 décembre — en principe dernier jour de la COP — va être d’une intense et trépidante négociation. « Nous avons un texte et nous devons nous accorder sur ce texte. Le temps de la discussion arrive à sa fin », indique Sultan Al-Jaber.
Les discussions ont repris en séance plénière de la COP. Chaque délégué national devra commenter le projet de décision. Une seule voie manquante signerait la fin du texte. Et l’échec de la COP28.