Adoptée le 19 décembre, la loi immigration ébranle le pays. Une opposition se constitue parmi les élus locaux, médecins, syndicats, bien décidés à ne pas appliquer les nouvelles mesures.
Un claquement de porte au cœur même du gouvernement. Mercredi 20 décembre, le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a démissionné. « Cela touche aux murs porteurs.(…) Je constate cliniquement que ce n’est pas possible pour moi d’expliquer ce texte », a indiqué l’homme politique gardois. Il répondait ainsi à l’adoption définitive de la loi immigration par l’Assemblée nationale et le Sénat mardi 19 décembre.
Un vent de résistance s’est levé contre le texte. Mercredi 20 décembre au soir, des manifestations ont eu lieu à Rennes, Besançon, Avignon ou encore Cherbourg. Mais surtout, élus, médecins, universitaires, syndicalistes, ont fait connaître publiquement leur désaccord voire leur intention de ne pas appliquer certaines dispositions de la loi.
Les trente-deux départements dirigés par des élus de gauche ont ainsi annoncé mercredi 20 décembre, dans un communiqué, qu’ils refusaient la « préférence nationale ».
Précisément, ils n’appliqueront pas la disposition de la loi concernant l’allocation d’autonomie, attribuée par les départements. Cette aide, réservée aux plus de 60 ans en perte d’autonomie, vise à couvrir tout ou partie des frais leur permettant de rester vivre chez eux. La loi immigration prévoit de restreindre son accès pour les étrangers hors Union européenne, qui devront résider depuis au moins cinq ans en France, ou trente mois s’ils travaillent. « Tous les habitants de nos territoires ont droit à la dignité, d’où qu’ils viennent », ont expliqué les élus. Ils envisagent de créer une autre aide visant à compenser celle supprimée. À Paris, ville mais aussi département, la maire Anne Hidalgo devrait présenter un ensemble de mesures détaillées ce vendredi pour contourner la loi.
Plus de quatre-vingt présidents d’université ont manifesté leur désaccord
« La CGT appelle à la désobéissance civile et à la multiplication d’actions de résistance contre cette loi à l’image de ce qu’ont fait trente-deux départements », a approuvé la secrétaire générale du syndicat Sophie Binet sur RMC jeudi 21 décembre au matin. « C’est ce qu’il faut faire partout. »
Plus de quatre-vingt présidents d’universités et d’instituts d’enseignement supérieur ont également fait savoir leur « opposition ferme et déterminée » aux mesures qui concernent les étudiants. À savoir, l’instauration d’une caution pour les étrangers venant étudier en France (sensée notamment garantir le retour dans leur pays), la limitation de leur accès aux aides sociales ou encore l’inscription dans la loi de frais de scolarités plus élevés. Trois dirigeants d’écoles de commerce réputées se sont également émus de ces dispositions.
Toujours du côté universitaire, l’Institut Convergences migrations, qui rassemble 700 chercheuses et chercheurs sur ces sujets, a également fait savoir sa « profonde indignation ». Pour eux, la loi immigration obéit à l’idéologie, loin des faits établis par leur travail, qui indiquent que la France est loin d’être submergée par les flux migratoires. « Résistons ! », écrivent les scientifiques. « L’Institut appelle au sursaut collectif et à la résistance constructive de tous les acteurs engagés sur les questions migratoires. »
Plus tôt en novembre, ce sont 3 500 médecins qui avaient affirmé leur intention de « désobéir » si la suppression de l’Aide médicale d’État (AME), qui permet aux étrangers en situation irrégulière d’être soignés, était actée. « Moi, médecin, déclare que je continuerai à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au serment d’Hippocrate que j’ai prononcé », s’engageaient-ils. L’AME est finalement maintenue, mais reste en sursis, car Élisabeth Borne a promis un débat sur le sujet début 2024.
Une désobéissance coûteuse
Tous ceux qui annoncent vouloir agir contre cette loi pourront-ils le faire ? Pas si facile. Par exemple pour les départements, « ouvrir des droits à des prestations sociales alors que les étrangers ne sont pas légalement éligibles, ça me paraît assez compliqué », estime le professeur en droit public Serge Slama. « Il y a un risque de contrôle de légalité par la préfecture et donc de censure par le tribunal administratif. »
Et s’ils créent leur propre aide, qui n’aura pas de soutien financier de l’État, il faut encore que le budget suive. Les Universités sont par exemple en train de constater cette limite. Depuis 2019, les étudiants étrangers ne venant pas de l’Union européenne doivent payer plus de dix fois plus de frais d’inscription que les étudiants français. La majorité des universités françaises n’appliquent pas cette mesure. « Mais ça pèse sur leur budget, vu qu’il n’y a pas de compensation par l’État », note Serge Slama.
« Quand Nicolas Sarkozy a commencé à aller chercher les enfants dans les écoles, on les a cachés »
Reste qu’il est toujours possible d’agir. « Comme la quasi totalité des lois en droit des étrangers sont iniques, la désobéissance civile est très fréquente », poursuit le professeur de droit public. « Quand Nicolas Sarkozy a commencé à aller chercher les enfants dans les écoles, on les a cachés », se souvient-il. Les collectivités se retrouvent aussi régulièrement obligées de « rattraper les carences de la loi et de l’État, parce que le public est là. » Il en va ainsi de l’hébergement d’urgence. La loi adoptée prévoit qu’il ne sera plus accessible aux personnes déboutées du droit d’asile ou visées par une obligation de quitter le territoire (OQTF).
Sur le terrain, de nombreuses communes devraient continuer de l’organiser de façon inconditionnelle, sans tenir compte de ces critères. Toujours à condition de pouvoir assumer financièrement la charge cependant.
Face à tous ces appels à la désobéissance, le président des Républicains s’est indigné, jeudi 21 décembre au matin, sur France Inter. « On est dans une République bananière ? Il y aurait des petits roitelets locaux qui décideraient de ne plus appliquer les lois de la République. C’est de la sédition », a déclaré Éric Ciotti. Pourtant, fin septembre, un membre de son propre parti, Laurent Wauquiez, avait annoncé ne pas vouloir appliquer l’objectif « zéro artificialisation nette », dans sa région Auvergne-Rhône Alpes. Cet acte de désobéissance n’avait pas suscité sa réaction.