Donaldld Trump a annoncé des droits de douane de 20 % sur les produits en provenance de l’Union européenne. Un coup dur pour le secteur du vin, déjà fragilisé et dont les États-Unis représentent un quart des exportations.
« C’est le flou total » : au téléphone, Laurent Rousseau avoue multiplier les nuits blanches depuis quelques jours. La cause de ses insomnies ? Les nouveaux droits de douane décrétés par Donald Trump. Un coup dur pour ce vigneron, qui exporte une grosse partie de sa production de bordeaux outre-Atlantique. « Les États-Unis, c’est 20 % de notre chiffre d’affaires, précise-t-il. C’était un marché en pleine croissance, mais à présent… On ne sait pas où on va. »
Alors que les produits européens seront taxés à hauteur de 20 % à partir du mercredi 9 avril, le secteur viticole est en ébullition. Chacun a sorti sa calculette pour tenter d’évaluer les conséquences. La Fédération française des exportateurs de vins et spiritueux table sur un recul d’environ 800 millions d’euros des exportations. La Confédération nationale des producteurs de vins à appellations d’origine contrôlées estime la perte nette pour le vignoble français à un milliard d’euros.
« Ça vient s’ajouter à une situation de crise sans précédent »
Des chiffres difficiles à confirmer pour le moment, selon l’économiste Jean-Marie Cardebat : « Il y a beaucoup d’acteurs dans la chaîne logistique d’export vers les États-Unis, indique le chercheur, professeur à l’université de Bordeaux. Tout dépendra des comportements de chaque maillon. » Dit autrement, les négociants et autres grossistes pourraient chacun rogner sur leur marge afin de freiner la hausse finale du prix du vin. Dans ce cas, la baisse des ventes pourrait être limitée autour de 7 %, d’après le spécialiste.
Malgré tout, l’annonce a fait l’effet d’un coup de massue auprès d’une filière viticole déjà fragilisée. « Clairement, c’est un peu la catastrophe, constate Thomas Gibert, secrétaire national de la Confédération paysanne. Car ça vient s’ajouter à une situation de crise sans précédent. »
Depuis les Corbières (Aude), où il n’a quasiment pas plu depuis quatre ans, Jeanne Fabre détaille ce « mauvais alignement des planètes » : « La hausse des droits de douane survient alors qu’on a de grosses difficultés de production du fait du climat et dans un contexte de chute de la consommation de vin, indique-t-elle. Ça commence à faire beaucoup. » Malmenée par le dérèglement climatique, la viticulture française peine aussi à réagir face au désintérêt des Français pour le rouge.
Un quart des exportations vont vers les États-Unis
Comme beaucoup d’autres, la famille Fabre a développé les exportations, afin d’écouler les bouteilles qu’elle n’arrivait plus à vendre dans l’Hexagone. « Ces vingt dernières années, on a restructuré le vignoble, pour fournir le marché mondial », remarque Fabrice Chaudier, consultant spécialiste de l’économie viticole. Résultat, aujourd’hui, « 45 % du marché se fait à l’export », principalement vers les États-Unis, qui représentent 25 % du total des exportations. En 2024, la France y a envoyé l’équivalent de 32 millions de caisses.
Les nouveaux droits de douane apparaissent ainsi comme le raisin de trop sur un gâteau déjà friable. Avec une crainte, que « les premiers à trinquer soient les paysans », selon les mots de Thomas Gibert. Dans le Bordelais, Laurent Rousseau ne dit pas autre chose : « S’il le faut, on fera un effort sur les prix, mais on risque de vendre à perte. » Côté Corbières, on ne veut pas parler de baisser les prix : « On a de si petits rendements qu’on n’a pas de marge sur lesquelles rogner », tranche Jeanne Fabre.
« Cette crise pourrait se traduire par la disparition de 7 000 emplois directs »
Installée dans le Cognacais, une vigneronne — qui préfère rester anonyme — se dit « très inquiète pour les paysans, notamment les jeunes nouvellement installés ». Dans cette région viticole qui exporte 98 % de sa production — là encore principalement outre-Atlantique — le business du cognac est aux mains de grandes maisons de négoces. LVMH, Pernod Ricard, Rémy Cointreau… « Les actionnaires continuent et continueront de toucher des dividendes, dénonce la viticultrice. Les producteurs, en revanche, vont être en souffrance. »
Outre les cultivateurs, les premiers touchés pourraient être les salariés de la filière. Dans un communiqué, la CFDT Agri-Agro estime que « cette crise pourrait se traduire par la disparition de 7 000 emplois directs » dans le territoire. En première ligne, les verreries, menuiseries, et autres usines de packaging.
« Faire de cette folie une opportunité »
Alors que faire ? Pour Thomas Gibert, il est urgent de « développer une vision stratégique de long-terme » pour la viticulture. Même son de cloche du côté de Fabrice Chaudier : « On sait depuis trente ans que le marché se rééquilibre, que les gens veulent davantage de blancs et de bulles, et on ne s’est pas adapté à ces évolutions. On n’a pas de stratégie nationale portée par la filière et l’État. »
« Il est urgent d’explorer d’autres destinations »
Pour le consultant, les 160 millions d’euros investis ces deux dernières années pour déraciner des ceps pourraient servir à réorienter notre production vinicole vers les attentes des consommateurs. « On peut être meilleurs en commercialisation, trouver de nouveaux clients, estime-t-il. Et produire du vin qui corresponde à la demande : blanc, à bulles, bio, de qualité. On pourrait faire de cette espèce de folie une opportunité ».
La bio, gagnante de la crise ?
Un avis partagé par Jean-Marie Cardebat : « Rester aussi exposés aux marchés étasunien, chinois, russe, c’était très dangereux, analyse-t-il. Il est urgent d’explorer d’autres destinations, en Asie, en Amérique latine mais aussi en Europe. » D’après l’économiste, « reconquérir la demande » passera aussi par de nouvelles pistes : des bouteilles plus petites (pour les foyers moins buveurs), le sans alcool…
Pour Jeanne Fabre, la bio pourrait également sortir gagnante du chaos actuel. « C’est une agriculture plus résiliente et un marché encore porteur, malgré la crise », souligne celle qui préside aussi l’association professionnelle Sud Vin Bio.
« Un certain nombre de pays, notamment en Europe du Nord, sont très demandeurs de produits qui respectent l’humain et le terroir », abonde Laurent Rousseau, membre du label Vignerons engagés. « Et puis, conclut Jeanne Fabre, produire sans tuer le vivant, c’est l’avenir. Même Trump ne pourra rien y changer. »