Diversité à géométrie variable : lettre ouverte au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel

Derrière la promotion de la « diversité », dont se pare le Comité supérieur de l’audiovisuel, se cache une éviction qui ne dit pas son nom : celle de la France rurale et de ses cultures régionales. Nous reproduisons ici la lettre qu’un lecteur a adressée au CSA.

Monsieur le Président,

La loi a donné au CSA la mission de veiller à ce que « la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés ». La période de l’élection présidentielle doit donner matière à relancer cette nécessité impérieuse, mais négligée, d’autant plus que le financement public y est impliqué.

À part quelques diffusions partielles très minoritaires et le caractère plus diversifié d’un nombre très restreint de canaux, il faut bien constater que cette mission est loin d’être respectée. Il est également cocasse ou paradoxal de constater que la diversité culturelle est mieux représentée dans les organes qui font exception au CSA : Arte et les chaînes parlementaires. Cette couverture reste notoirement insuffisante.

À l’heure où les quotas sont de mise, y compris dans la parité au Conseil du CSA, force est de constater qu’aucune personnalité régionale n’y siège ni qu’aucune notion de juste représentation de la diversité régionale n’y soit présente dans les directives permanentes aux entités concernées.

Les émissions de divertissement, de production culturelle et d’information ne sont qu’une constellation de productions centralisées faites pour une population minoritaire habitant la capitale et certaines métropoles. Leurs codes culturels sont souvent décalés ou incompréhensibles pour une grande partie des régions et des pays. Les « experts » ou les personnages clés convoqués à ces émissions le sont souvent en raison de leur résidence dans la capitale, proximité physique à des studios eux-mêmes centraux. Ces facilités complaisantes sont dérisoires et appauvrissantes, car les plus proches sont très souvent loin d’être les meilleurs. Certains profitent même de leur fréquence médiatique pour usurper une réputation imméritée ou confondre les genres. Cet isolement identitaire est une proie facile pour les « représentants d’intérêts » qui s’en servent abondamment, comme on le constate en parcourant le bilan annuel périodique de la HATVP.

Pour ces raisons, c’est toujours ce même cercle restreint qui est présent. Les liaisons à distance plus fréquentes par transmission Internet ne pallient pas ce phénomène, en raison de leur mauvaise qualité et de leur inégalité de traitement. Seuls des studios locaux permanents pourraient y contribuer. Cet important retard français dans la couverture numérique, avec des débits ridicules par rapport à nos voisins et une couverture très inégale, est sans doute l’une des priorités du pôle numérique ARCEP CSA.

Les tournages effectués en région peuvent être plus nombreux, mais ils procèdent là encore de la venue d’équipes temporaires centralisées essentiellement dans la capitale, avec une vision terriblement restreinte et appauvrie de la vie régionale, quand elle n’est pas caricaturale ou affligeante. La vision du paysage audiovisuel français actuel est réduite à celle d’un vase clos régi par l’entre-soi.

Les productions culturelles, économiques et académiques locales et régionales sont sous représentées dans tous les domaines, danse, musique, recherche, médecine, agriculture, théâtre, sciences humaines, transport, industrie, etc. 80 % de la production audiovisuelle concernent 20 % de la population. Quand les productions centralisées consentent à traiter de la « province » (terme péjoratif et révélateur), c’est le plus souvent au hasard d’un rapide aller-retour, ou d’une émission éphémère, selon les moyens de transport les plus faciles au détriment de la réalité.

Ainsi, une information et une production centralisées sont largement dispensées à une population qui ne l’est pas. Ces errements nuisent gravement à l’équilibre de la population et participent aux tensions montantes depuis plusieurs années entre une France centrale minoritaire et une France du terrain qui se sent de plus en plus exclue de cette canopée.

Pourtant, de nombreux ouvrages, de fréquents travaux de recherche insistent sur l’agrandissement de cette fracture à présent béante. Les premières alertes insistant sur les dangers de ce phénomène datent maintenant de quarante ans et plus.

Alors que la cohésion sociale figure parmi les enjeux prioritaires examinés par le CSA, il semble que ces enjeux en soient restés pour le moment au stade esthétique du constat et de la réflexion alors que l’urgence est aux réalités et à l’action. Sans doute est-il temps de réveiller ces travaux endormis.

Plus on hausse le ton, plus l’argument est faible. Le paysage audiovisuel manque cruellement d’autorité dans la période actuelle, au sens oublié de la définition d’Alexandre Kojève ou d’Hannah Arendt. Sa confusion le place dans la position du ridicule défini par Blaise Pascal.

Veuillez croire, Monsieur le Président, à l’assurance de ma haute considération, avec l’expression de mes sentiments consternés.

           Ludovic Grangeon     ( Revue Front Populaire  15 décembre 2021 .)

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