» Macron fait le choix des canons plutôt que celle du pain  » REPORTERRE

La loi de programmation militaire, à l’Assemblée depuis le 22 mai, prévoit une hausse conséquente du budget des armées. Par cela, la France « participe à la perpétuation du chaos mondial », selon l’économiste Claude Serfati.

Claude Serfati est économiste et membre du conseil scientifique d’Attac France. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’industrie de la défense, il a publié en octobre 2022 L’État radicalisé – La France à l’ère de la mondialisation armée (éd. La Fabrique).


Reporterre — Depuis le 22 mai, les députés examinent le projet de loi de programmation militaire (LPM), qui prévoit un budget des armées de 413 milliards d’euros sur sept ans (2024-2030). Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Claude Serfati — Il s’agit d’un budget gigantesque, en hausse de près de 41 % par rapport à celui de la précédente LPM (295 milliards d’euros d’enveloppe budgétaire pour la période 2019-2025). Cela représente donc un coût financier énorme. Selon le Haut conseil aux finances publiques, il faudra d’ailleurs sûrement diminuer les dépenses des autres ministères afin de financer cette loi. Emmanuel Macron fait donc le choix des canons plutôt que celui du pain. Et ce alors même que ces sommes, démesurément grandes pour les capacités financières de la France, sont démesurément petites par rapport à ce que le pays souhaite incarner dans le monde : une grande puissance mondiale.

C’est l’industrie de l’armement (Dassault, Thales…), ultra-polluante, qui va bénéficier de ces financements.

Ces milliards d’euros vont en effet tomber dans les poches de l’armée, mais aussi dans celles des grands groupes industriels qui partagent les commandes publiques. Depuis une trentaine d’années, le capitalisme mène une guerre à la nature en même temps qu’il mène une guerre à l’humanité — laquelle fait elle-même partie de la nature. Ce système industriel de l’armement, qui détruit déjà la planète de par ses activités aéronautiques notamment, va de fait polluer davantage en raison des crédits militaires qu’il va recevoir. La situation est tragique.

La dissuasion nucléaire est au cœur de ce projet de loi. En parallèle, lors du sommet du G7 à Hiroshima le 19 mai dernier, les chefs d’État, dont Emmanuel Macron, ont cosigné un texte affirmant « leur attachement à l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ». Comment expliquer une telle contradiction ?

Derrière cette rhétorique autour de la diminution des arsenaux nucléaires, qui n’engage strictement à rien, il faut bien voir que les pays impérialistes, dont la France, veulent continuer à développer la puissance nucléaire comme puissance de suprématie. Et, par ricochet, en interdire l’accès aux autres États. Rappelons que les cinq membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France) ont tous refusé de ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian), entré en vigueur en 2021. Il n’est pas question pour ces pays, concurrents économiquement et géopolitiquement, d’abandonner le nucléaire militaire.

Reste qu’il existe une quasi-spécificité française en la matière : en France, nucléaire civil et nucléaire militaire vont de pair, et les deux se stimulent mutuellement. L’exécutif augmente les crédits alloués au nucléaire militaire, lesquels permettent en retour d’alimenter un plan de charge civil, et réciproquement : plus de 50 milliards d’euros vont être investis pour la construction de six nouveaux EPR. Cela permet de donner au nucléaire militaire une sorte de légitimité sociale, industrielle et idéologique. C’est très inquiétant. Déjà parce que cela embourbe la France dans un modèle industriel qui n’est pas viable, mais aussi parce que plus vous développez des crédits militaires et sécuritaires, plus vous êtes amenés à devoir un jour les utiliser. Ce faisant, la France participe à la perpétuation du chaos mondial.

Cette loi pourrait-elle se transformer en outil de répression des mouvements écolos et sociaux ? Cinq milliards d’euros vont par exemple être alloués à l’acquisition de drones, qui sont désormais autorisés à survoler les manifestations.

Il y a de fait un resserrement de la lutte contre l’ennemi extérieur et contre l’ennemi intérieur, comme en témoignent les propos de Gérald Darmanin sur les « écoterroristes ». Depuis le début des années 1990, l’agenda dit de sécurité nationale fait progressivement converger défense et sécurité intérieure, le tout par le biais de technologies de surveillance, de filtrage, de reconnaissance et bien sûr de répression. Il est donc évident qu’une telle augmentation du budget des armées va de pair avec la perpétuation et l’amplification de lois liberticides.

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