L’Occitan vu par un Universitaire Californien

Pour toutes celles et tous ceux qui ne sont pas indifférents au sort de la langue d’oc, et des autres langues maltraitées de France, voici un article qui mérite quelques minutes d’attention.

Cheminez : Oliver Whitmore, vous êtes un jeune universitaire californien et vous vous intéressez de près à la langue et à la culture occitanes. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? Dans l’occitan, qu’est-ce qui vous a attiré ?

Oliver Whitmore : On me pose cette question assez souvent mais je n’ai pas encore trouvé comment s’explique mon intérêt…
Je ne me souviens plus de la première fois où j’ai entendu parler de « l’occitan », mais ce n’est pas une langue qu’on pouvait étudier au lycée (où j’ai commencé le français, par contre…). Aux États-Unis, en dehors des spécialistes de langues romanes ou de littérature française, et les amateurs de vin qui reconnaissent peut-être l’indication géographique du pays d’oc, l’Américain moyen ne connait le mot « occitan » que par la marque de parfum « L’Occitane en Provence ».

Cheminez : Cette langue et cette culture occupent-elles une place reconnue dans les études universitaires aux États-Unis ?

Oliver Whitmore : Cela dépend. Pour les étudiants en littérature française, oui, on sait que l’occitan jouait un rôle important quant à la littérature médiévale. Plusieurs universités proposent un cours de littérature médiévale. Ce qui est bien moins connu, c’est que l’occitan a continué à exister bien après la Révolution et qu’il y a du monde qui se revendique encore de langue et de culture occitanes.  En dehors des études françaises, l’occitan est peu visible. Ceux qui s’y intéressent sous l’angle anthropologique, géographique, musical, etc. n’ont pas vraiment de relations entre eux. Sur un campus universitaire, la distance entre les disciplines se concrétise par la distance entre les bâtiments, la faculté de langues et littératures est loin de la faculté de musique. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai créé le « Occitan Studies Working Group » (le groupe de recherche en études occitanes) à Berkeley, pour réunir les personnes qui sont intéressées par un apprentissage plus poussé de l’occitan.

Cheminez : Il y a quelques mois, vous avez lancé une enquête auprès des occitanophones de France. Rappelez-nous quels en étaient les objectifs.

Oliver Whitmore : Ce projet vise à créer des leçons, des unités d’enseignement,  qui donnent la possibilité d’intégrer l’occitan dans les programmes en français.  Et, dans ce but, je voulais connaître les sujets que les personnes en lien avec l’aire occitane (dans toute sa diversité), souhaiteraient trouver dans le cadre d’un cours destiné aux anglophones. Pour les Américains, j’utiliserai les résultats afin de créer des leçons autour des pratiques et valeurs de la culture occitane. Pour les Occitans, ce projet constitue une chance que soient prises en compte les représentations de la culture occitane en dehors de la France. C’est sur ce point que je mets l’accent : le manque de visibilité de l’occitan dans la connaissance américaine est lié à la conception de la culture française décidée par l’État Français. En contribuant à ce projet, les personnes qui ont bien voulu répondre, occitanophones ou non, ont pu donner leur propre avis.

Cheminez : Cette enquête a-t-elle réussi à toucher un grand nombre de personnes et à recueillir donc un grand nombre de réponses ?

Oliver Whitmore : Oui, j’ai obtenu bien plus de résultats que ce à quoi je m’attendais. 200 personnes ont rempli le questionnaire, fournissant environ 1000 réponses qui m’aideront pour le développement de leçons. Un grand merci à toutes celle et à tous ceux qui y ont participé !

Albi, cité occitane classée au Patrimoine mondial

Cheminez : Après avoir collecté et traité ces réponses, quelles sont les grandes réflexions que vous inspirent les résultats ? Avez-vous été surpris par certaines grandes lignes qui se dégagent ?

Oliver Whitmore : Il y a certaines tendances qui ne m’ont pas surpris : par exemple, le rôle de la musique, l’histoire de la minorisation.  Un trait commun aux réponses est l’insistance sur la trajectoire de « Comment est-on arrivé ici et comment est-ce qu’on avance ? » Ce thème guide presque toutes les réponses : par exemple l’importance de connaitre l’histoire des troubadours et la musique polyphonique à travers l’histoire ; les pratiques agricoles dépassées par la production de masse et plus tard l’adoption des pratiques locales, bio, ou anticapitaliste, ou différemment porteuses de bien-être autant pour le consommateur que pour le producteur.

L’enquête fait ressortir des alignements concernant plusieurs points de revendication, linguistiques, culturels, géographiques, dans l’aire occitane. Certains s’identifient comme béarnais, ou béarnais et gascons, ou béarnais, gascons et occitans, etc. Les personnes interrogées s’identifiant comme gascons désirent montrer la connexion entre la Gascogne et l’Angleterre et la trace des mots gascons empruntés à l’anglais et au français.  Les personnes s’identifiant comme occitanes  s’intéressent à la vitalité de la langue dans les livres, les chansons et autres médias. Les réponses de Provence et de Dordogne questionnent le rôle de l’immigration : les migrants « internes » de Paris ou d’autres régions de France et les immigrants étrangers.

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Ce dernier point est très important si l’on considère les réseaux personnels qu’il faut développer pour les pratiques culturelles qui s’apprennent par la pratique et non pas par des livres ou par des annonces.  Les réponses ont indiqué que la culture occitane est bien ouverte aux autres (et en ce qui me concerne, par ma propre expérience, je le confirme), mais la question à développer est : comment faire croitre et renforcer ces liens culturels avec les autres ?

J’ai été frappé par des réponses soulignant l’importance de la culture médiévale. Pas seulement sur un plan quantitatif, mais aussi sur un plan qualitatif.  Les personnes sondées parlent de cette connexion au passé en l’intégrant au présent, c’est-à-dire : on continue les pratiques des ancêtres en les utilisant, en les adaptant aux besoins de notre siècle. Ce mode de vie est assez commun chez les Amérindiens et autres groupes autochtones. En termes anthropologiques, on parle d’ « héritage », mais le sens de ce mot (et plus encore du mot « patrimoine » !) en français me semble mal adapté.

Ariège, en terre occitane : reconstitution historique ; château de Montségur en hiver

Cheminez : Entrons à présent davantage dans le détail de ces résultats. Pouvez-vous nous dire d’abord précisément ce que font ressortir les réponses des personnes interrogées pour ce qui concerne le volet linguistique de l’enquête ?

Oliver Whitmore : Concernant le volet linguistique, il y a deux voies complémentaires. Le premier consiste d’enseigner des aspect ciblés de la langue en se concentrant sur des pratiques langagières qui font vibrer celle-ci, par exemple la musique, la poésie et toute la création artistique. L’autre voie souligne l’importance d’étudier d’autres groupes minoritaires et d’y mettre en évidence les processus de minorisation communs.

Beaucoup de personnes ont signalé qu’il leur est important de parler la langue et de s’engager dans sa revitalisation.

Cheminez : … Et pour ce qui concerne le volet culturel ?

Oliver Whitmore : Outre ce concept d’héritage anthropologique, un autre thème commun est la solidarité avec les femmes. On reconnait et célèbre la place égale et importante des femmes depuis le début de la culture occitane.

Joutes nautiques dans le port de Sète, cité occitane

Cheminez : Quelles vont être les conséquences – à court ou à plus long terme – de cette enquête ? Comment allez-vous infléchir votre enseignement dans le domaine occitan ?

Oliver Whitmore : Tout d’abord, je présenterai des versions de ce projet aux colloques académique suivants :  Association de la langue française : Français et créoles entre héritage(s) et avenir(s) : https://afls2024nola.sciencesconf.org/?lang=fr et Langues régionales, d’Outre-mer et minor(is)ées : quelles urgences linguistiques : https://urgencelinguistique.sciencesconf.org/  )

Je continuerai de créer des leçons pour des étudiants de français avec ces données. J’en ai déjà créé 5, dont 3 pour le niveaux A2 et 1 pour B1 et 1 pour B2. Dans cette vidéo en anglais, j’explique la création d’une leçon sur la Lutte du Larzac  (A2). https://blc.berkeley.edu/news/apr-26-2024-spring-blc-fellows-forum

À long terme, il y a quelques commentaires qui proposent un échange ou visite culturelle avec des institutions. Si jamais il arrive que je dirige des cours entièrement consacrés à la culture occitane, cela serait intéressant d’aller en France et faire un tour d’Occitània ensemble. Pour l’instant, une visite en visio est la seule chose réalisable. L’enseignement sur/en occitan reste difficile dans le cadre des cours de français, dont le but est surtout d’enseigner à parler français et discuter sur la culture en français. À la base de mes nouvelles leçons, je pratique une comparaison linguistique qui guide les étudiants et leur fait découvrir des extraits d’occitan écrit ou parlé (voir la stratégie de ‘Las palancas’ dans les Calandretas).  Ces extraits sont complétés par de l’information en français ou en anglais si nécessaire. (Je parle davantage de la place des langues dans le cours de culture française/francophone sur ce lien (en anglais) : https://academic.oup.com/fsb/article/44/167-168/67/7234463)

Cheminez : Comment trouvez-vous des médias, des livres, etc.  en occitan ? Comment s’engage-t-on dans la culture occitane à l’étranger ?

Oliver Whitmore : C’est assez difficile de se procurer des livres en occitan sans aller en France. La librariá occitana https://www.libraria-occitana.org/ est très ouverte à la livraison internationale, mais d’autres entreprises n’en ont pas la capacité, ou il faut se débrouiller en appelant. Cela peut être un obstacle pour d’autres personnes qui ne parlent pas bien le français.

En plus, les livres en occitan se trouvent assez vite épuisés. Même s’il existe des exemplaires d’occasion, il reste le problème du transport. Cela fait des années que je cherche une un bon exemplaire de La Quimèra de Bodon.

C’est plus facile avec la musique : les musiciens peuvent diffuser leurs titres sur Youtube, Bandcamp ou autres sites de streaming.

J’aimerais voir la même chose avec des livres (il n’y a pas beaucoup de livres numériques) mais je comprends bien les limitations et les préoccupations. C’est grâce aux moyens économiques de Bandcamp que les artistes peuvent même offrir leur musique. Il y a toujours la question des droits numériques… la plupart des productions de France TV 3 (en français ou en occitan) ne sont pas accessible au public américain…

Cheminez : Avez-vous eu l’occasion de visiter l’Occitanie (je parle bien sûr de la vaste aire géographique de langue occitane, et non de la région administrative) ou envisagez-vous de le faire ?

Oliver Whitmore : Oui, j’ai effectué une partie de mes études à Montpellier et j’ai visité la côte méditerranéenne. Je voudrais dire quelques mots sur les touristes. Je sais qu’il y a parfois des tensions entre les touristes et les habitants des aires touristiques.  Les touristes, autant les touristes internes (par exemple les Parisiens) que les touristes étrangers – comme moi ou mes étudiants – n’ont généralement pas de malveillance envers les habitants. Les tensions sont souvent dues à des différences d’attente ou à de petites fautes sur codes sociaux, fréquemment rangées sous le mot « ignorance ».  Dans ces types de discussion, on oublie parfois que l’on peut éduquer les touristes, sans les exclure complètement du territoire. Le travail que je fais assume ceci : que le touriste pourrait être sensibilisé aux modes de vie et aux codes locaux, être ouvert au monde sans que cela lui soit imposé. Les mouvements anti-touristes me semblent dangereux pour les cultures locales : comment peut-il y avoir ouverture aux autres si les autres sont exclus du pays ? Si on rejette les touristes, cela ne peut sensibiliser le monde à l’existence de l’occitan. L’occitan resterait caché derrière la France ‘nationale’… celle qui décide de l’image touristique que l’on va donner au monde…

Montpellier, une des grandes villes occitanes

Cheminez : Que pensez-vous des dangers que court la langue occitane en France et de ses capacités de résistance aux coups portés par le pouvoir parisien depuis des siècles ?

Oliver Whitmore : La manière dont la France traite ses langues rappelle les politiques sur l’homosexualité aux États-Unis avant son acceptation récente. On prêchait « la tolérance », sous-entendue: on ne veut pas vous tuer, mais faites ça chez vous et ne laissez pas de traces, on ne veut pas connaître votre vie privée.  Bien sûr, il y avait des personnes qui pratiquaient une tolérance progressiste et soutenaient fortement la cause homosexuelle, mais l’attitude consistant à jouer l’ignorance et l’indifférence a ralenti la marche vers les égalités.

Je crois que c’est un risque pareil qui concerne l’occitan : que l’occitan passe inaperçu et déconnecté des milieux sociaux, et surtout pour ceux qui n’ont jamais eu de contact avec l’occitan.

Il faut se rappeler que la valorisation, combinée à l’action politique, a pu convaincre un bon nombre d’Américains en une décennie. Même Barack Obama a changé d’avis sur le mariage gay au cours de ses mandats présidentiels. Qu’est-ce que l’on pourra faire pour l’occitan ?

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Cheminez : Quel regard portez-vous, en tant qu’Américain, vivant dans un pays fédéral, sur l’injonction française de ne parler qu’une langue au nom de l’unité nationale ?

Oliver Whitmore : D’un côté, je comprends, en théorie, les arguments du besoin de communication et de la fidélité à la nation, même si je ne suis pas d’accord. Ce qui me frappe le plus, c’est le moyen par lequel le gouvernement cache, voire étouffe les langues. Si la France promouvait sa diversité culturelle et linguistique et cultivait des façons de vivre dans chaque langue (y compris en donnant les moyens économiques !), la question d’intercompréhension ne se poserait même pas : il y aurait assez de traducteurs et de pratiquants…

Pensons à l’article 75-1 de la constitution française, selon lequel les langues ‘régionales’ « appartiennent au patrimoine de la France » Si tel était vraiment le cas, on serait au moins en droit d’attendre une reconnaissance de ces langues dans l’image que donne d’elle-même la France, dans l’Hexagone et à l’étranger. On pourrait apprendre l’alsacien à Pau ou le corse en Martinique. Mais dans les pratiques actuelles de l’État, ces langues sont confinées à leur région.

Cheminez : Est-ce que cette étude du cas occitan, qui est une langue régionale autochtone, a modifié votre vision du rapport entre l’état fédéral américain et les langues des natifs-américains ?

Oliver Whitmore : Je parlais avec un collègue de cette question et il nous semblait qu’une différence entre les groupes amérindiens est que parfois ces groupes désirent une reconnaissance et les moyens de promouvoir leur culture sans la participation active du gouvernement fédéral colonisateur. C’est-à-dire, pour certaines tribus, il serait complétement hors de question de permettre l’accès de leur culture à un étranger comme moi. En revanche en Europe, cette type de situation se rencontre moins, probablement grâce aux idées de l’universalisme. Le grand débat pour le cas amérindien et pour les peuples autochtones européens reste le même : qui contrôle l’ouverture au monde ? Qui contrôle les représentations de la culture et les relations avec le monde ? Quant aux Occitans, ce projet leur a fourni la chance de contribuer à cette action, et de sensibiliser des touristes étrangers à une conception culturellement et linguistiquement plus diverse, c’est-à-dire plus réelle, de la France.

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